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E
NSEIGNEMENTSLes impératifs d'une prévention oculaire -
vu formulé par Yves Pouliquen
(séance de l'Académie Nationale de médecine du 30 juin
1998)
Exposé introductif
Le mercredi 11 août 1999, à la mi-journée, une bande de
territoire français de 110 kilomètres de large, s'étendant de Fécamp à Sarreguemines,
sera plongée dans la nuit pendant presque deux minutes par une éclipse totale de soleil.
C'est pendant plus de deux heures que l'on pourra être le témoin de l'évolution de cet
étonnant phénomène. Pas seulement dans cette bande de territoire mais aussi, de partout
ailleurs en France où cette éclipse sera partielle. C'est un événement remarquable.
Depuis le début de ce siècle ce sera la troisième fois que se projettera sur notre sol
le cône d'ombre portée de la lune. Il ne concernera pas que les Français puisque cette
ombre touchera également le plateau anglais de Cornouailles, le sud de la Belgique, le
grand-duché de Luxembourg, le sud de l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie, la Roumanie,
etc. Ce sont donc des millions d'observateurs qui, au milieu d'un mois d'août
généralement ensoleillé en Europe occidentale, vivront l'événement. Les éclipses
totales sont exceptionnelles. Ainsi c'est sous Louis XV, en 1724, le 22 mai qu'on observa
à Paris la dernière éclipse totale de soleil et nous ne serons pas au rendez-vous de la
prochaine, le 3 septembre 2081. Aussi nous apprêterons-nous à vivre cet événement.
Remarquable par le spectacle grandiose de ce soleil qui devient, en plein midi, tout noir
sur fond de ciel noir et cerné d'une éclatante et vibrante couronne de feu, spectacle
impressionnant aussi par la nuit ou l'ombre qu'il répand sur notre terre. C'est dire
qu'il attirera un immense public, toujours friand des mystères de la mécanique céleste,
d'autant plus qu'il sera majoritairement en vacances.
Un tel phénomène pose des problèmes de sécurité
cruciaux. L'observation sans précaution d'une éclipse de soleil est très dangereuse
pour les yeux. Rappelons qu'en 1952, après une éclipse partielle, on a pu observer 52
cas de perte ou d'altération sévère de la vision, 145 en 1970 après une éclipse
totale, et 112 en 1980 pour ne citer icii que quelques rapports parmi les mieux
documentés. (1-2)
Pourquoi ces atteintes de la vision ? Parce que malgré
ses qualités constitutionnelles qui le protègent des radiations ultraviolettes de
longueur d'onde inférieure a 380 manomètres, aussi bien que des radiations infrarouges
de longueur d'onde supérieure à 1 400 nm, l'il est sensible aux radiations
visibles qui le pénètrent et qui se focalisent sur sa rétine (3). En cas d'exposition massive et durable à une
source lumineuse intense, il en résulte des altérations plus ou moins graves. C'est
ainsi que l'observation du soleil sans protection provoque des brûlures rétiniennes. Des
phénomènes photo-oxydatifs sont, dans ce cas, responsables d'une rétinopathie
photochimique (4). Les
lésions observées sont plus ou moins intenses ou réversibles selon la durée
d'exposition. Des dommages peuvent être constates après soixante secondes d'exposition
sans protection, mais on peut observer des altérations fonctionnelles pour une exposition
de moindre durée (5). De
plus, quand un instrument optique est utilisé, le seuil d'exposition tolérable peut se
limiter à une fraction de seconde. Ce qui est habituel car l'éblouissement est tel qu'il
oblige a interrompre l'observation. Cependant, les observateurs d'une éclipse ont
tendance à renouveler ce coup d'il et à potentialiser ainsi les risques oculaires.
Classiquement, l'exposition a une lumière visible très
intense provoque les réactions photochimiques signalées plus haut, mais celles-ci
peuvent aussi transformer l'énergie reçue en chaleur. C'est également cet effet
thermique qu'il faut craindre d'une exposition non protégée aux infrarouges. Il peut,
dans les deux cas, en résulter des photocoagulations de l'épithélium pigmentaire de la
rétine, sur lequel reposent les photorécepteurs, cônes et bâtonnets, avec formations
de zones rétiniennes aveugles. Ce risque est d'autant plus dangereux qu'il ne
s'accompagne d'aucune douleur et d'aucun symptôme immédiat. Ce n'est que quelques
heures, ou même quarante-huit heures après l'exposition, qu'apparaissent les signes
cliniques : une chute d'acuité visuelle, dont on ne peut dans immédiat prédire le
devenir et qui peut se prolonger de façon inquiétante. Elle dépend de la durée et de
l'intensité de l'exposition, donc des effets photochimiques et thermiques provoqués (6-7).
L'observation d'un sujet à la phase aiguë du
phototraumatisme permet de déceler quelques signes typiques, qui traduisent les lésions
rétiniennes : petites taches, blanc-jaunatre, légèrement surélevées sur la fovéola
(macula) et qui restent visibles pendant deux semaines environ. Elles disparaissent
lentement, parfois totalement sans séquelles ou laissent place à des modifications
maculaires : une dépression fovéolaire ou un trou lamellaire. Les signes subjectifs
décrits par les patients sont variables en intensité et en durée. Impression de
post-images durables, d'erythropsie, vague trouble visuel ou plus sévèrement baisse
d'acuité visuelle d'intensité variable. Un scotome central (zone dans laquelle on ne
voit rien) ou paracentral, dessinant parfois l'éclipse observée, est aisément retrouvé
au relevé du champ visuel. C'est un moyen précis d'apprécier l'évolution du
phototraumatisme. L'angiographie fluorescéinique (examen qui permet, grâce à
l'injection intraveineuse de fluoresceine, d'analyser avec précision les lésions
rétiniennes) peut être normale ou révéler des altérations de l'épithélium
pigmentaire. L'évolution est peu prédictible. Le plus souvent un retour à la normale se
dessine en quelques mois. Parfois des séquelles sévères demeurent, qui vont handicaper
le sujet définitivement et d'autant plus que les lésions auront été bilatérales.
Elles sont toujours le fait d'une observation imprudente de l'éclipse et de l'usage de
mauvais filtres. D'où la nécessité "impérative" de mettre en garde les
populations et de recommander les mesures de protection les plus sécurisantes aux
millions de personnes, qui observeront l'éclipse.
Ces mesures résident tout d'abord dans l'information, une
information énoncée de façon claire car il a été démontré qu'à la vouloir trop
complète elle n'atteint pas ses destinataires, principalement les enfants et les
adolescents (8). De
surcroît, il est souhaitable qu'elle soit reprise dans les semaines et les jours qui
précéderont l'événement et tout spécialement par le personnel enseignant avant la
fermeture des classes. Dans cette perspective, il appartiendra à l'éducation nationale
de dispenser des instructions simples et précises aux parents et aux enfants, afin de les
mettre en garde contre les risques visuels encourus.
L'observation d'une éclipse de soleil sans protection ou
avec une protection inappropriée a des conséquences graves pour la vision. Elle est
particulièrement dangereuse lorsque l'éclipse apparaît partielle avant d'être totale
ou après l'avoir été ou lorsqu'elle est observée à partir de territoires éloignés
de la zone plongée dans la nuit. Dans le cas présent, cette bande de 110 km de large qui
recouvrira le nord de la France où le soleil apparaîtra pendant quelques secondes caché
par la lune, à 100 % (c'est le seul bref moment inoffensif pour l'il qui
regarderait sans protection). Ailleurs, au centre de la France, le soleil ne sera masqué
qu'à 90 %, à Lille à 95 %, à Marseille, à 80 %. C'est dire que sur la totalité du
territoire français, l'observation de l'éclipse réclamera une protection optique
adaptée.
Il existe des dispositifs optiques filtrants parfaitement
efficaces sous certaines conditions. Une première catégorie est représentée par un
support (verre, plastique) transparent aluminé, une deuxième est représentée par un
support (verre ou autres matériaux) très absorbant.
Les films plastiques genre Mylar, matériau utilisé
depuis quelques années à grande échelle pour l'observation des éclipses solaires,
répondent parfaitement aux critères de filtration. La densité, qui doit être
supérieure à 5, n'est pas indiquée sur la partie filtrante. On peut vérifier qu'elle
est convenable en regardant une lampe à incandescence : le filtre ne doit laisser voir
que le filament. Ils sont aisément implantables sur des montures jetables. Leur prix de
revient est bas, ce qui permet d'en faire un article de diffusion de masse. Leur défaut
réside dans la fragilité de ces plan-films plastiques très minces et pliables et dans
l'extrême minceur de la couche d'aluminium (une centaine d'angströms). Bien qu'on
réduise les risques de défauts graves en utilisant une aluminure double-face, ils
doivent donc être neufs, non pliés, sans rayures avant l'usage, sinon des défauts dans
le film protecteur risqueraient d'altérer dangereusement l'il observateur. Leur
faible coût devrait en recommander l'usage unique et leur déballage au seul instant de
l'observation. Notons qu'il existe des filtres en verre aluminé dits "filtres de
pleine ouverture" de qualité optique supérieure au Mylar et connus dans le commerce
du matériel astronomique. Ils offrent la même protection que le Mylar.
Les verres de soudeurs sont tout aussi recommandables, à
condition qu'ils portent un numéro d'échelon compris entre 12 et 16. Cette indication
est inscrite sur tous les verres de qualité et on rejettera ceux qui ne la portent pas.
Ils ont la préférence des astrophysiciens. Ils sont fournis non montés. En les montant
sur un support opaque (carton, plastique, bois, métal) dans lequel aura été découpée
une ouverture large de 1 à 2 centimètres et longue de 8 à 9 centimètres, ils peuvent
être maniés sans risque de coupure ou de bris.
Ces deux moyens de protection assortis de quelques
recommandations simples nous paraissent devoir être proposés aux observateurs potentiels
de l'éclipse du 11 août 1999. Ils constituent le moyen physique le plus sûr de
prévenir les accidents oculaires. Mais les incitations à leur utilisation doivent
s'assortir d'un effort éducatif clair, répétitif et d'importance croissante dans les
jours qui précéderont l'éclipse. D'autant que le public avide du spectacle de
l'éclipse tient à ses recettes. Nombre d'entre elles prétendent protéger l'oeil durant
l'éclipse et ne sont en réalité que des "gadgets" qu'il est imprudent
d'utiliser. Enumérons-les pour les éliminer :
- un écran formé de une ou deux pellicules
photographiques noir et blanc ayant été complètement exposés au soleil puis
développées. Il est vrai qu'elles peuvent avoir un rôle de filtre, mais il faut être
certain que les émulsions de ces films contiennent des grains d'argent et non pas des
colorants, qui parfois les remplacent et ne jouent plus un rôle protecteur. Ou encore un
négatif noir et blanc avec des images ou un négatif couleur ;
- un disque compact audio ou informatique après en avoir
recouvert l'aire centrale ;
- une plaque de verre noircie à la flamme, au filtre
hétérogène peu fiable, fragile, effaçable au moindre contact et perméable aux rayons
infrarouges ;
- plusieurs paires de lunettes de soleil placées l'une
sur l'autre ;
- observer le déroulement de l'éclipse par réflexion
sur une surface d'eau.
Toutes ces méthodes sont, à des degrés divers,
préjudiciables à l'intégrité de l'appareil oculaire et doivent être condamnées.
N'oublions pas en effet que nous serons au milieu de
l'été avec des millions d'estivants, d'enfants en vacances, qui seront tentés
d'observer cette fascinante éclipse, qui se déroulera aux environs de midi. Si les
conditions météorologiques sont favorables à l'observation du ciel, ce qui est
probable, on peut craindre nombre d'imprudences et il serait coupable que ceux qui en
seraient victimes puissent n'avoir pas été informés des risques encourus et des
précautions à prendre. C'est tout l'enjeu de notre campagne.
Vu
L'éclipse totale de soleil observable sur le territoire
français le 11 août 1999, aux environs de midi, fera des Français qui le souhaiteront
les observateurs de cet événement exceptionnel. L'Académie nationale de médecine
attire solennellement leur attention, celle des parents, des responsables des communautés
d'adolescents ou de jeunes enfants sur les risques graves d'altération de la rétine
encourus par l'observation de l'éclipse sans un dispositif optique de prévention dûment
homologué, soit :
- des verres de soudeur du commerce d'échelon supérieur
à douze (12) ;
- des films plastique aluminés genre Mylar ou des lames
de verre aluminées du genre dit "filtres de pleine ouverture".
En revanche, sont totalement condamnés comme faussement
protecteurs :
- l'usage de films photographiques exposés ou non,
superposés, noir et blanc ou de couleur ;
- les disques compacts audio ou informatiques, même
après en avoir masqué l'aire centrale ;
- une plaque de verre noircie à la flamme ;
- la superposition de plusieurs paires de lunettes de
soleil, voire l'observation de l'éclipse par réflexion sur une surface d'eau.
Aucun ne pouvant prétendre, à coup sûr, protéger la
rétine d'une brûlure irrémédiable.
L'Académie, saisie dans sa séance du mardi 30
juin 1998, a adopté ce vu.
(1)
Del Priore L.V. - Eye damage from a solar eclipse. Totality eclipses of the sun, M.
Littman and K. Willcox Honolulu : University of Hawai press, 1991, p. 130.
(2)
Verna N.P. - Solar ec!ipse and its ocular effects. Indian Medical Journal, 1989, 83, n°
3, 74.
(3)
Boettner E.A., Wolter J.R. - Transmission of the ocular media. Invest. Ophthalmol, 1962,
1, 6, 776-783.
(4)
Chou B.R. - Protective filters for solar observation.
J. Royal Astr. Soc. Canada. 1981, 75, 36-37.
(5)
Pitts D.G. - Ocular effects of radiant energy in
D.G. Pitts and R.N. Kleinstein (eds), Environmental
Vision : Interactions of the eye. Vision and the environment,
Butterworth-Heinemann, Toronto, 1993, 151-220.
(6)
Chou B.R., Krailo M.D. - Eye injures in Canada following the total eclipse of 26 February
1979. Can. J. Optom., 1981, 43, 40-45.
(7)
Penner R., McNair J.N. - Eclipse blindness - Report of an epidemic in the military
population of Hawaii. Amer. J. Ophthalmol, 1966, 1452-1457
(8)
Chou B.R. - Eye safety during solar ec!ipses - Myths and realities in Z. Mouradian and M.
Stavinschi (eds). Theoretical and observational problems related to solar eclipses. Kluwer
Academic publishers, printed in Netherlands, 1997, 243-247