bo Le Bulletin officiel de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports
Le Bulletin officiel de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports publie des actes administratifs : décrets, arrêtés, notes de service, etc. La mise en place de mesures ministérielles et les opérations annuelles de gestion font l'objet de textes réglementaires publiés dans des BO spéciaux.
Partager
Enseignements primaire et secondaire
Baccalauréat général
Programme limitatif pour l’enseignement de spécialité de littérature et langues et cultures de l’Antiquité en classe terminale pour les années scolaires 2024-2025 et 2025-2026
NOR : MENE2404047N
Note de service du 19-2-2024
MENJ - Dgesco C1-3
Texte adressé aux recteurs et rectrices d’académie ; aux vice-recteurs et à la vice-rectrice ; au directeur du service interacadémique des examens et concours d’Île-de-France ; aux inspecteurs et inspectrices d’académie-inspecteurs et inspectrices pédagogiques régionaux ; aux cheffes et chefs d’établissement ; aux professeures et professeurs de lettres classiques
Références : arrêté du 19-7-2019 publié au BO spécial n° 8 du 25-7-2019
Le programme d’enseignement de spécialité de littérature et langues et cultures de l’Antiquité, grec ou latin, en classe terminale est constitué de trois objets d’étude et d’un corpus de deux œuvres intégrales (ou sections notables d’œuvres intégrales), l’une antique et l’autre médiévale, moderne ou contemporaine, inscrites dans l’un des objets d’étude. Les deux œuvres, liées par leur thématique, font l’objet d’une étude conjointe qui les confronte. Elles sont définies dans un programme limitatif, publié au Bulletin officiel de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et renouvelé en totalité tous les deux ans.
I. Grec
En grec, pour les années scolaires 2024-2025 et 2025-2026, les œuvres retenues sont les suivantes :
- Aristophane, L’Assemblée des femmes, texte établi par Victor Coulon et Jean Irigoin, traduit par Hilaire Van Daele, Paris, Les Belles Lettres, collection des universités de France, série grecque, volume n° 55, 1983 ;
- Margaret Atwood, La Servante écarlate, traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch, Paris, Robert Laffont, collection « Pavillons Poche », 2021.
La confrontation de ces deux œuvres s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « L’homme, le monde, le destin » et du sous-ensemble « Le “grand théâtre du monde” : vérité et illusion ». Toutes deux, comme en réponse à la question posée par Margaret Atwood (dans sa postface à La Servante écarlate : « Les histoires à propos du futur partent toujours d’une question du type “Que se passerait-il si... ?”, et La Servante écarlate en a plusieurs »), jouent d’un décalage délibéré et explicite avec le réel, et questionnent, dans un jeu de miroir inversé – entre la satire burlesque recourant fréquemment à l’obscénité et la dystopie glaçante –, des systèmes établis et écrasants.
Problématique
Inscrites dans des situations seulement esquissées comme des théâtres d’ombres (les conséquences de la guerre du Péloponnèse pour l’une, pour l’autre une guerre à la frontière contre un ennemi et contre une résistance fantôme) qui tendent cependant l’action dramatique ou narrative, les deux œuvres mettent en cause des organisations sociales et politiques dont sont victimes les héroïnes des deux œuvres : celle imposée par les hommes athéniens sur les femmes, celle d’une théocratie puritaine et fondamentaliste distinguant radicalement les castes et les sexes. Ce sont ainsi la place des femmes, et partant des hommes, ainsi que leur rôle dans la communauté politique et sociale de la cité, qui sont interrogés dans l’humour grivois ou dans un prétendu témoignage a posteriori. Pour retrouver une forme de liberté contre le poids du réel, pour acquérir une voix et une force au sein de la société, les héroïnes doivent jouer avec le théâtre du monde et de la société : se dégager des contraintes par le travestissement, la dissimulation et l’usurpation d’identité ; s’affranchir, ne serait-ce qu’un moment, du contrôle sur la langue par une parole débridée, par des pratiques langagières détournées ou le recours à des codes linguistiques ; contre l’oppression physique, dérober des moments où elles peuvent se réapproprier leur corps et leur désir. Dans des approches presque antagonistes et dans un jeu soutenu avec les références littéraires et culturelles, mais aussi avec leur tradition et leur genre littéraires respectifs, la comédie antique et la dystopie futuriste offrent une critique au vitriol des stéréotypes et de l’idéologie dominante dans ses différentes manifestations et ses imprégnations dans les modes de vie et le langage.
Pourtant, paradoxalement et malgré leurs différences radicales de tonalité, elles semblent in fine afficher le même pessimisme, tant les femmes de la nouvelle assemblée ne paraissent guère meilleures que les hommes, tant le totalitarisme de Gilead, s’il n’a pas duré, a englouti de nombreuses femmes comme Offred.
II. Latin
En latin, pour les années scolaires 2024-2025 et 2025-2026, les œuvres retenues sont les suivantes :
- Sénèque, Médée, in Tragédies, texte établi et traduit par François-Régis Chaumartin, Paris, Les Belles Lettres, collection des universités de France, série latine, volume n° 332, 1996 ; Médée, in Tragédies, texte établi par François-Régis Chaumartin, traduit par Olivier Sers, Paris, Les Belles Lettres, collection des Classiques en poche, volume n°104, 2011 ;
- Dea Loher, Manhattan Medea, traduction d’Olivier Balagna et de Laurent Mulheisen, Montreuil, L’Arche, 2001.
La confrontation de ces deux œuvres s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « L’homme, le monde, le destin » et du sous-ensemble « Mythe et théâtre : héros et familles maudites ». Elle propose deux versions scéniques du mythe antique, l’une inspirée d’Euripide tout en s’en démarquant, l’autre transposant la scène dans un New York contemporain et interlope.
Problématique
Cette lecture comparée s’inscrit dans le parcours de lecteur de l’élève latiniste et parfois helléniste, qui, depuis le collège, dans sa rencontre avec les œuvres, a pu découvrir que de nombreux écrivains contemporains, français et étrangers, s’emparaient, dans leur création, des grandes figures, souvent féminines, et des mythes de l’Antiquité.
Pour lire Médée de Sénèque – et ceci vaut pour toute tragédie romaine –, il convient de considérer l’héroïne dans ce qu’elle a de profondément tragique, c’est-à-dire dans sa métamorphose de femme souffrante en monstre, et ce, sous les yeux des spectateurs. Quel parcours l’amène à sortir de l’humanité, lui permettant ainsi de prendre place aux côtés des grandes figures de la mythologie ? Cette sortie de l’humanité a une double conséquence : sa rupture avec les autres personnages qui, eux, demeurent humains, ainsi que son isolement qui la conduit à trouver refuge loin de la Terre, où elle n’a plus sa place, dans les hauteurs du ciel : Sic fugere soleo. Patuit in caelum via (v. 1022).
Pareille réflexion doit être menée en ayant toujours à l’esprit que ce que l’on a devant les yeux n’est pas seulement un texte mais un spectacle théâtral qui se caractérise, à Rome, par un emploi particulier des images. En effet, la dramaturgie romaine donne la prééminence au visible sur le dicible, préférant avoir recours aux images et à la musique qu’à la parole. Aussi, étudier le personnage de Médée, c’est apprendre à regarder le spectacle de son corps furieux, possédé, que le texte donne à voir grâce aux métaphores et comparaisons, fortes et saisissantes, dont la scène IV donne de nombreux exemples.
Il existe sous les plumes d’auteurs allemands trois réécritures contemporaines de Médée. La première d’Heiner Muller, Médée-matériau (1982), conçue sept ans avant la chute du mur de Berlin, livre la vision que le dramaturge, trouvant dans le mythe de Médée une métaphore des combats politiques de son époque, a de la société allemande dans laquelle il vit ; la deuxième de Christa Wolf, Médée (1996), est un récit au sein duquel l’autrice affronte son passé d’est-allemande en revisitant l’histoire de la magicienne ; la troisième – celle qui forme avec la tragédie de Sénèque le diptyque pour le programme limitatif – de Dea Lohrer, Manhattan Medea (1999), n’est en rien politique. La pièce met en scène Jason et Médée, immigrés clandestins, vivant dans l’underground de New York, où ils tentent de se reconstruire en luttant contre les fantômes de leur passé. Mais Jason décide de quitter Médée pour une autre femme. La veille de son mariage, celle-ci attend, à l’entrée de la demeure de la future mariée, une riche maison sur la 5e avenue, pour la tuer. Drame qui tire la tragédie antique du côté de la psychologie, la pièce représente une expérience profondément humaine, celle de la démesure de l’amour susceptible d’engendrer la folie meurtrière : « Va Jason / et célèbre tes noces. / Va / Avant que ce couteau une fois encore ne tue » (p. 92-93).
Entre ces deux versions du mythe se jouent à la fois continuité et ruptures : ces deux femmes, étrangères, humiliées, sont bien inscrites dans une filiation commune, tout en étant deux héroïnes très différentes : « Medea nunc sum. » Mais qui est Médée ? Et si tout semble opposer les univers représentés dans ces deux œuvres, leur poésie et leur tension dramatique paraissent, en revanche, dialoguer et se répondre par-delà la chaîne des réécritures.
Pour la ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, et par délégation,
Le chef du service de l’accompagnement des politiques éducatives, adjoint au directeur général de l’enseignement scolaire,
Jean Hubac