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Grenelle de l'Éducation [Compte rendu d'atelier] Atelier Gouvernance : Séance 3

L’incubateur du Grenelle de l’éducation permet une concertation large avec la société civile, sous la forme d’ateliers associant des représentants de la communauté éducative. Consultez le compte rendu de l'atelier gouvernance, séance 3, Le 4 décembre 2020.

Introduction de la séance

Bénédicte DURAND remercie les participants pour le travail réalisé lors des deux premières séances qui ont permis à certaines propositions d’émerger. Un travail de cartographie de ces propositions est actuellement réalisé et ces propositions seront débattues lors de la quatrième séance. 

Cette séance comprendra trois temps, en commençant par l’intervention d’Anne Barrère, spécialiste de la gouvernance et des interactions professionnelles au sein des établissements scolaires. Les propositions déjà formulées dans le cadre de l’atelier lui ont été présentées. 

Intervention d’Anne BARRERE

Anne BARRERE est sociologue de l’éducation et a travaillé notamment sur l’éducation artistique en Ile-de-France. Elle est également spécialisée sur le second degré et encadre des thèses sur la direction d’école. Elle s’intéresse à la sociologie du travail, à la différence entre la prescription et le travail réel. Les constats établis sur les difficultés enseignantes proviennent souvent de la non-prise en compte du travail réel. Elle a consacré sa carrière à une sociologie compréhensive des acteurs de l’école. 

En premier lieu, A. BARRERE parlera du triptyque « arbitrer/piloter/coordonner » : des constats sont établis sur le rapport aux collectivités territoriales : l’établissement scolaire et sa gouvernance se trouvent dans un espace qui se complexifie et devient foisonnant. De nombreux dispositifs relient l’établissement à son territoire et l’établissement doit prendre en charge des publics différents et s’ouvrir au territoire. Un déficit éducatif est constaté par tout le monde. L’établissement est un espace foisonnant, relié à l’extérieur, ce qui brouille les contours de la bureaucratie professionnelle qui s’arrête aux portes de la classe dans laquelle l’enseignant est autonome. Les enseignants se voient reconnaître une professionnalité à Bac +5 : certains sont prêts à échanger un peu d’autonomie dans la classe contre une autonomie définie par le collectif. Pour autant, la gouvernance doit se faire un contenant de cette complexité qui est parfois excessive et des temporalités parfois trop brèves. L’idée d’un projet englobant ne constitue peut-être pas la bonne solution puisqu’il peut être artificiel ou être un projet de plus qui s’ajoute aux autres. Le fait de contenir la fragmentation de l’action et des temporalités parfois accélérées peut être l’occasion de stabiliser un bien commun local, toujours plus important à l’ère des établissements dans ces dispositifs. Une dualité apparaît alors avec la classe autonome, qui permet aussi des discussions pédagogiques dans cet espace de l’établissement. 

Le second point concerne le triptyque « impulser, responsabiliser et évaluer » : l’institution est tendue dans des contradictions organisationnelles, dans une culture assez contrôlante, nationale et centralisée, mais aussi dans un dépassement de ce modèle qui ne convient pas vers un modèle post-bureaucratique, avec des réseaux, des partenariats et des coopérations. L’établissement est souvent plus post-bureaucratique que l’institution elle-même. Une tension systémique apparaît et la gouvernance doit gérer ces contradictions. Le mot « évaluer » participe à cette tension : l’évaluation peut être une alternative à la bureaucratique, mais elle se traduit en France par des procédures bureaucratiques. Cette gouvernance doit comprendre des mots importants : le reconnaître et le connaître. L’établissement est un lieu de reconnaissance des enseignants, de leur implication et de leur travail, même si ce n’est pas le seul. Cette reconnaissance est très importante. Il existe également des enjeux de connaissance puisqu’il est impossible de reconnaître sans connaître. Les enseignants doivent reconnaître la diversité des élèves, mais il n’est pas toujours sûr que l’encadrement reconnaisse la diversité des enseignants. il est normal que le chef d’établissement évalue l’organisation, mais il convient de faire un plaidoyer pour la pluralité des enseignants. La gouvernance du détour, qui valoriserait surtout la participation aux instances comme la pédagogie du détour, ne permet pas forcément aux enseignants d’approfondir leurs compétences. Certains s’insèrent dans des réseaux qui ne relèvent pas de l’établissement. Les organisations peuvent parfois prendre, mais sans savoir recevoir comme l’a montré le sociologue Norbert Alter. Dans les projets collégiaux, des paradoxes apparaissent puisque des projets qui émanent d’enseignants n’aboutissent pas. La gouvernance doit parvenir à impulser et reconnaître, mais aussi soutenir le travail réel. La gouvernance la mieux acceptée doit être équilibrée. 

Enfin, le troisième point porte sur « partager et décider ». Les chefs d’établissements se retrouvent parfois dans le rôle du décideur solitaire. Des microdécisions doivent être prises et les enseignants ne tiennent pas forcément à partager cette décision. Si les instances délibératives ne doivent pas forcément se multiplier, elles doivent construire en collectif un certain nombre de réalités de l’établissement : l’ordre et le climat scolaires, la mise en œuvre de la laïcité, le système de sanctions. Cela permet un échange et des débats collectifs sur les difficultés vécues comme individuelles. Les parents, voire les élèves, pourraient participer. Le décider/partager ne peut que renforcer la gouvernance. 

Un représentant du collège des syndicats considère que la reconnaissance et l’aspect humain manquent, particulièrement dans le premier degré où les enseignants se retrouvent seuls face à la classe, aux responsabilités et aux projets. La reconnaissance et la valorisation manquent. Quand un projet est réalisé, les enseignants ne sont pas valorisés et ils sont même parfois ignorés. Les enseignants sont en outre peu écoutés, alors qu’ils ont besoin de partager, et sont mis à l’écart des décisions qu’ils subissent. L’enseignant ne croit plus à grand-chose et a l’impression qu’on ne croit plus en lui. Il doit retrouver sa place au sein de la société. 

Un autre représentant du collège des syndicats se demande pourquoi des enseignants privilégient l’autonomie individuelle tandis que d’autres privilégient le travail de groupe et le collectif. L’élève est maintenant au cœur du système, ce qui requiert une évolution des mentalités et des pratiques, mais aussi un travail collectif. Cette évolution constitue une difficulté majeure. Le manque de connaissance des enseignants est réel : malgré les remontées des représentants du personnel, une grande différence perdure dans la perception entre le ministère et le terrain. 

Anne BARRERE relève que ces appels constants au travail collaboratif coexistent sur le terrain avec un sentiment de solitude, alors que le collectif devrait empêcher la solitude. Cette solitude est construite par l’organisation et les chercheurs parlent de l’individualisation organisationnelle de l’enseignant qui est seul dans la classe. Une problématique consiste dans le fait que le travail en collectif est vécu comme une tâche supplémentaire qui ne s’articule pas avec les difficultés rencontrées dans la classe. Les projets sont souvent définis à quelques-uns, avec des acteurs du local, et cette envie de faire avec d’autres doit être articulée. Les enseignants doivent trouver un intérêt à l’autonomie collective, comme un espace d’autonomie plus grand. Ceci est possible si l’espace local permet de contenir certaines difficultés. Une souffrance institutionnelle existe, ainsi que des bonheurs relationnels. Une reconnaissance très forte est présente dans le cadre de la relation à l’élève et elle donne du sens au métier. 

Un représentant du collège encadrement soulève la question de la pluralité et de la diversité des enseignants : un parcours de long terme est maintenant conçu, puisque les enseignants sont plus ou moins engagés, sur la durée. Il est injuste de résumer les activités de l’enseignant sur l’année N. La mise en œuvre du PPCR s’appuie toujours sur une inspection et un moment précis, et non sur le parcours. L’autorité autorise et la direction doit rendre les choses possibles. 

Un représentant du collège des syndicats évoque la problématique de confiance de l’institution vis-à-vis du personnel. Le cadrage national est lié aux programmes, avec la difficulté de terminer les programmes qui annihilent une partie des projets et la solution consisterait peut-être à laisser plus de liberté individuelle. Enfin, la problématique d’ancrage local sur une dynamique se pose. Dans le premier degré, peu d’enseignants sont informés du projet d’école qui est lui-même peu ancré dans le territoire, puisqu’il émane de l’académie, du rectorat ou du ministère. 

Une représentante du collège des professeurs juge la reconnaissance des enseignants, dans les établissements, essentielle. Certains enseignants s’investissent, par exemple dans de nouvelles pédagogies, sans que cet investissement soit visible. Il conviendrait donc de le rendre plus visible. 

Anne BARRERE ne connaît pas bien le PPCR qui pourrait peut-être améliorer le « connaître ». Les chefs d’établissement fustigeaient l’ancien système d’évaluation. Ils jouent un rôle de ressources humaines au quotidien, très chronophage. Une gouvernance qui fonctionne permet de prendre en compte ces parcours et les évolutions souhaitées. L’infantilisation existe effectivement, ainsi qu’une contradiction à avoir des enseignants plus professionnels tout en leur imposant les pratiques pédagogiques. Une institution qui adresse constamment des demandes de changement sans se changer elle-même finit par se discréditer. Enfin, les programmes sont importants, ainsi que le socle de connaissance comme bien commun, mais investir de manière délibérative l’école ouverte présente un intérêt pour l’identité de l’établissement. L’ancrage sur le territoire est important et il conviendrait de construire une identité d’établissement, en lien avec la réalité locale : même dans un système public, les établissements se positionnent toutefois les uns par rapport aux autres, en concurrence, avec des stratégies d’évitement. Les indicateurs de performance sur un territoire ou un département renforcent la concurrence entre les établissements. Une bonne gouvernance partage ces enjeux. 
Il n’est effectivement pas évident de renforcer la visibilité de l’engagement des enseignants, si ce n’est en connaissant les enseignants. Les enquêtes évoquent l’importance de lieux d’informalité qui n’existent pas toujours. Avoir des lieux pour se parler et se croiser semble important. 

Un représentant du collège des syndicats constate qu’il est question d’une gouvernance orientée vers le chef d’établissement. La GRH et le PPCR sont assez symptomatiques du fonctionnement de l’institution : le PPCR constitue une innovation remarquable puisqu’il pose enfin la question de l’évaluation et du rôle des évaluateurs et qu’il positionne l’enseignant au cœur de l’évaluation, au-delà de la notation qui était un exercice stérile. Le PPCR fait évoluer les lignes, avec deux corps qui œuvrent ensemble : l’inspection et la direction d’établissement qui apprennent à se connaître et à travailler ensemble, dans un statut d’égalité. Cette innovation, fort intéressante, a été appréciée par les enseignants. Cette évaluation aurait dû valoriser les actions menées par les enseignants plus jeunes, mais elle est finalement redevenue un système de promotion à l’ancienneté. Quelle que soit la qualité de l’évaluation, le système antérieur a été rétabli, avec un avancement à l’ancienneté. Cette énorme entreprise qu’est l’Éducation nationale est une structure qui a du mal à évoluer : quand une innovation est mise en œuvre, tout le système se mobilise pour revenir à la situation antérieure. Les tentatives de changement se heurtent quasiment à chaque fois à des efforts pour retrouver le modèle antérieur. 

Anne BARRERE constate qu’une contradiction consiste à prôner le collectif et le travail collaboratif et à évaluer uniquement des individus. Les chiffres de performance sont une évaluation collective, mais peuvent être aussi un espace de discussions dans les établissements sur les chiffres, avec des interprétations très délicates. Une évolution consisterait à décentrer la gouvernance et la délibération collective, avec les parents et les élèves, et à prévoir d’autres délibérations. Concernant le blocage dans le changement, le sociologue Michel Crozier a écrit que le terme de résistance au changement devrait être supprimé du vocabulaire : il s’agit simplement de stratégies d’acteurs pour reprendre la main sur des décisions élaborées en dehors d’eux même. 

Bénédicte DURAND remercie Anne Barrère de son intervention et retient les points sur la pluralité, la complexité, la reconnaissance et l’invitation à une délibération qui donne à chacun une place bien définie.

Présentation du projet de La Machine

Nadette FAUVIN précise que ce projet est un projet d’école du socle. L’objectif consiste à présenter la gouvernance de ce projet expérimental. L’équipe a été amenée à mettre en place certaines propositions formulées par les participants, dans les deux premières séances. 

Annette GIEN, inspectrice de l’éducation nationale et copilote du projet, indique qu’elle parle au nom d’une équipe représentée par le maire, le principal du collège, une enseignante au CP et directrice de l’école élémentaire, une directrice de la maternelle, une parente d’élèves élue et l’IA IPR d’histoire-géographie qui ne pouvait être là aujourd’hui. 
Au cours de son intervention, Anne Barrère a prononcé des mots qui résonnent particulièrement pour ce projet : arbitrer, piloter, décider, impulser, connaître et reconnaître, territoire, identité d’établissement par un territoire, bien local commun.
A partir des documents transmis aux membres de l’atelier en amont, Annette GIEN souhaite insister sur trois points :

1.

D’emblée, elle explique que c’est d’abord une aventure humaine tissée conjointement par les différents acteurs de cette ancienne cité minière dont le tissu associatif très fort reflète l’histoire locale : il était impératif d’en tenir compte car c’est ce qui donne une véritable identité à ce projet.

C’est pourquoi, en lien avec le maire, ils ont souhaité proposer ce projet à tous ces acteurs, dans la « salle commune » c’est-à-dire la salle des fêtes, car ils allaient parler d’un bien local commun : l’éducation des jeunes de La Machine.
Première date : le 28/01/18, réunion publique ouverte à tous les acteurs potentiels : parents, enseignants, commerçants, associations, élus, centre social. Une présentation qui part du local, valorise les leviers pour impulser une dynamique collective au service des élèves. En fin de réunion, des participants les remercient de ce discours positif qui leur a transmis « la fierté d’être machinois ».
Seconde date : nouvelle réunion publique le 29/06/19, à la salle des fêtes pour dresser le bilan de cette première année et les perspectives pour 2019/2020. Malgré la canicule, ils sont nombreux à être venus et les conclusions des différents ateliers alimenteront le premier COPIL de l’année le 12/09/19.

2.

Cet ancrage dans le territoire, dans « cette France périphérique » selon l’expression de Salomé Berlioux dont l’association « Chemins d’avenirs » travaille avec eux au collège, est fondamental. En toile de fond, c’est un exemple de mise en œuvre du projet académique « Dijon académie apprenante » dont l’un des volets est consacré à la ruralité d’où le titre donné au projet de La Machine « Créer un pôle d’excellence(s) et de culture au sein d’un territoire apprenant » où l’intelligence collective fait modèle pour les élèves/enfants (temps scolaire et hors temps scolaire). 

3.

Si l’école du socle s’inscrit dans un territoire et sa connaissance (ex : travail avec le musée de la mine) elle vise aussi l’ouverture sur le monde :

  • Par l’ambition scolaire qui implique la nécessité de la mobilité, le fait de choisir son parcours d’orientation et de ne pas subir un choix uniquement de proximité géographique d’où le travail avec Chemins d’avenirs. C’est le cadre de la cordée rurale de la réussite qui permettra de travailler le lien fin de collège/début de lycée ;
  • Par un projet entamé cette année avec le Québec et son dispositif « Ecoles éloignées en réseau », ouverture pour les élèves mais également pour les enseignants.
  • En résumé :  deux axes forts:
    Un territoire, une identité, un projet co-construit adapté au local ;
    Une gouvernance et un pilotage partagés dans le cadre d’espaces communs où le collectif développe les compétences individuelles.

Et deux principes en cours de construction :

  • La porosité entre 1er et 2nd degrés afin d’avoir davantage de fluidité ;
  • La complémentarité avec les parents dans le respect des uns et des autres.


Bénédicte DURAND remercie l’équipe d’être présente ce jour. Anne BARRERE a proposé l’idée du bien commun local comme élément de force. Bénédicte DURAND demande si la définition de ce bien commun local a été simple et si des éléments perdurent. Elle souhaite savoir comment la question de la reconnaissance de l’enseignant et de sa valorisation comme acteur a été traitée, notamment du point de vue de la tension entre l’action dans la classe et de l’engagement dans le projet. Le lieu de lancement du projet a été déplacé de l’école à la salle des fêtes et ce point constituait peut-être un élément important de la mise en route. 

Annette GIEN explique qu’initier dans la salle des fêtes, en dehors de l’enceinte scolaire, dans une salle commune à la population en a fait un lieu d’échanges communs régulièrement investi, notamment en fin d’année. Cette salle commune a permis au collectif de se développer et de développer le bien commun local, en montrant que chaque acteur de La Machine avait sa part de responsabilité dans l’éducation du jeune, sur le temps scolaire comme sur le temps hors scolaire. Un partage a été établi entre le premier et le second degré, pour mieux connaître l’autre et cette reconnaissance mutuelle a été instituée d’emblée, avec une confiance immédiate. Annette Gien a laissé la gestion des 108 heures à la discrétion de l’école. 

Un représentant du collège des syndicats a compris que le projet était construit dans le cadre d’un territoire spécifique. Ce qui est possible dans un territoire ne l’est toutefois pas ailleurs. Ce projet a été construit pour éviter la fuite des élèves vers la ville voisine et il a permis de stabiliser le territoire autour de la Machine. Il demande si les deux gouvernances de l’école et du collège ont fusionné et si les équipes enseignantes sont stables. 

Pascal THEVENET, principal du collège, confirme que le projet n’est pas forcément reconductible ailleurs, même si des invariants existent. Les écoles ont leur conseil d’école et le collège garde ses instances. Des conseils pédagogiques inter-degrés ont toutefois été mis en place, notamment pour la restitution des évaluations en sixième. Une liaison entre l’école et le collège a été instaurée, en proximité. Enfin des instances communes devraient être mises en place, avec une réflexion menée pour réaliser des actions sur la santé et la citoyenneté, de la maternelle au collège. Un conseil d’école du socle pourrait enfin mobiliser les deux degrés, les parents et les enseignants. L’autonomie est donnée dans le cadre d’un projet dérogatoire, mais les contraintes administratives perdurent et bloquent certaines actions. Des inégalités de traitement apparaissent ainsi entre le premier et le second degré, puisque les enseignants de premier degré n’ont pas droit aux heures supplémentaires alors qu’ils s’investissent beaucoup. Ce projet contribue alors à l’inégalité entre enseignants et des solutions sont actuellement recherchées pour compenser l’investissement des enseignants du premier degré. 

Un représentant du collège des syndicats se demande comment le travail est perçu par les collègues du premier degré qui sont associés, puisque leur implication ne s’accompagne d’aucune reconnaissance, si ce n’est la satisfaction personnelle qu’ils trouvent. Les enseignants sont peut-être à la recherche d’une reconnaissance que ne leur apporte pas l’institution. Pour le premier degré, le travail collectif est souvent ressenti comme un travail supplémentaire. Le volume horaire du premier degré est important, avec le travail en dehors de la classe ou pour surveiller les récréations : le travail collectif s’ajoute à tout cela, sans reconnaissance. 

La directrice de l’école élémentaire observe que les enseignants sont motivés et des temps de formations ont pu être réalisés sur les temps de classe, pour se rapprocher des enseignants du second degré. Un travail de cohérence est institué, ce qui présente un intérêt. Les enseignants ont appris à se connaître, de la maternelle au collège. 

La professeure de technologie au collège indique que ce travail commun a permis de mettre en place des séances de technologie dans les classes de CP. La disponibilité n’est effectivement pas la même pour les enseignants du premier degré qui doivent dégager du temps pour préparer les séances. Les formations ont été accompagnées et toutes les équipes ont alors pu échanger sur leurs pratiques. Les enseignants du premier degré voulaient savoir ce que devenaient leurs élèves et ceux du second degré voulaient comprendre d’où ils venaient. Les enseignants de second degré ont effectivement bien plus de liberté dans leur organisation. 

Nadette FAUVIN s’enquiert de l’organisation mise en place entre l’IA-IPR, l’IEN, le chef d’établissement et les deux directrices d’école. 

Pascal THEVENET explique qu’il n’est pas évident d’instaurer ces collaborations. Les échanges sont réguliers, sur l’école du socle, pour définir la manière dont les personnels pourront avancer dans le projet. Le collectif est important, sans prédominance des uns par rapport aux autres. 

Annette GIEN indique que les formations ont permis de dégager des compétences et de travailler des axes transversaux pour créer une culture commune, basée sur les problématiques communes rencontrées. 

Un représentant du collège encadrement comprend que sont impliqués un principal, un IEN, un IPR et un directeur d’école, soit quatre interlocuteurs. 

Pascal THEVENET précise que les formations sont préparées par l’IPR, l’IEN et le principal, mais que les enseignants, au travers de leur entretien et des visites croisées, choisissent les thématiques à développer dans les formations. 

La directrice de l’école est également enseignante et se positionne en tant que telle. Elle cherche à ce que tous les enseignants soient parties prenantes du projet. Une proximité géographique existe, puisqu’une simple porte sépare l’école et le collège, ce qui permet de travailler ensemble. En tant que directrice, elle coordonne et transmet les informations sans se positionner en tant que supérieur hiérarchique devant inciter ses collègues. 

Pascal THEVENET ajoute que les formations mettent tous les acteurs sur un pied d’égalité, sans que la relation hiérarchique soit mise en avant. Les échanges se concentrent sur la pédagogie. 

Bénédicte DURAND relève que ceci rejoint les propos d’Anne Barrère sur la pédagogie d’établissement : ce qui compte peut-être plus que la nature du projet, c’est le fait de faire école commune autour d’une pédagogie partagée qui crée une culture commune. 

La parente d’élève élue de l’école du socle ressent le travail commun entre maternelle, école élémentaire et collège. Une soirée a ainsi été organisée par les professeurs de grande section pour expliquer aux parents les changements liés au passage à l’école élémentaire. Les parents se sentent pleinement intégrés dans le projet. 

L’adjointe au maire de la Machine indique que la mairie est partenaire de l’école du socle et très investie dans le projet. 

Nadette FAUVIN se demande comment l’équilibre entre tous les acteurs de cette gouvernance a été trouvé. 

L’adjointe au maire de la Machine indique que le Maire et les associations se sont beaucoup investis dans le projet, au-delà des établissements scolaires. 

Annette GIEN ajoute qu’un travail de complémentarité doit être poursuivi avec les parents, puisque la mairie a refait l’espace parents. Le centre social a récemment contacté deux parents d’élèves pour discuter de l’articulation et de la complémentarité. Certains domaines de l’éducation nationale ne sont pas négociables et les équilibres doivent être trouvés, sachant qu’ils ne sont pas toujours évidents et qu’ils restent fragiles. Le respect et la confiance permettent toutefois de tisser une culture commune. Le centre social a mal vécu la première année la situation et ne comprenait pas que l’éducation nationale se préoccupe de la relation avec les parents, mais après une année de tension, la situation s’est améliorée. 

Bénédicte DURAND a entendu la nécessité pour l’institution de reconnaître ses investissements et de les valoriser, aussi du point de vue matériel. Elle remercie les intervenants pour le temps consacré à cet échange.

Présentation du tableau de synthèse des propositions 

Nadette FAUVIN précise que, lors de la quatrième séance, les participants seront invités à débattre des différentes propositions. Ils pourront apporter leurs contributions entre les deux séances. Elle présente un tableau, en cours de construction, qui sera la production finale du groupe, à l’issue de la dernière séance. 

La première ligne du tableau reprend les valeurs (autonomie, clarté du projet, collectif, implication des enseignants, reconnaissance de la valeur à travailler ensemble, compétences de chacun) puis la seconde ligne les verbes (impulser, décider/arbitrer/piloter, coordonner, responsabiliser/valoriser, partager, évaluer). 

La gouvernance consiste à reconnaître sa responsabilité individuelle dans la responsabilité collective. Quel est le rôle du chef d’établissement dans le collectif ? Est-il affaibli ou renforcé ? Le chef d’établissement est le chef d’orchestre de cette gouvernance. 

Les propositions figurent en vert quand elles semblent faire consensus, comme la formation des enseignants, même si ce point doit être approfondi (formation qui part du terrain, formation qui est en lien avec la classe et la pratique réelle du métier, formation pour laquelle les enseignants ont du temps, autonomie dans les 108 heures pour assouplir la formation) ou celle des décharges ou IMP pour la reconnaissance financière de l’investissement des enseignants dans la gouvernance. 

Figurent en jaune les propositions qui sont issues du premier degré, avec une proposition de statut et une lettre de mission pour le directeur. Ce dernier a besoin d’avoir un vrai pouvoir, mais il ne doit pas être le supérieur hiérarchique de ses collègues (ce point ne fait pas consensus). 

Les autres propositions sont transversales au premier et second degré et les participants devront se positionner. 

Un représentant du collège des syndicats pense que la possibilité d’avoir des instances délibératives à l’intérieur de l’école a été évoquée, ce qui n’est possible qu’en donnant un statut juridique à l’école. 

Nadette FAUVIN le confirme. Une proposition vise ainsi la consolidation des instances qui intègre, par exemple, le fait de donner un véritable pouvoir au conseil d’école. Ce tableau présente une vision globale, mais il est simplifié et requiert un travail pour préciser les propositions. Il est bien entendu que les participants, s’ils en ont le temps, peuvent réagir au tableau entre les deux séances. 

Intervention de François Perret sur la relation aux parents

François PERRET n’est pas un expert du sujet de la relation aux parents, mais s’en est toujours préoccupé avec le sentiment que cette question était mal traitée, essayant de susciter des réflexions et des études sur le sujet. En tant que doyen de l’inspection générale, il a initié une étude sur le rôle et la place des parents dans l’école en 2006, qui a donné lieu à un rapport de l’inspection générale. Plus tard, il a sollicité la revue internationale d’éducation de Sèvres qui a consacré un numéro aux attentes éducatives des familles. 

Un paradoxe existe, avec la volonté d’associer pour l’école les parents aux parcours scolaires de leurs enfants, d’un côté et de l’autre, partout, les attentes des familles s’intensifient. Le malentendu entre l’école et les parents ne cesse d’augmenter. L’article du code de l’éducation précise que « tout enfant a droit à une formation scolaire qui, complétant l’action de sa famille, concourt à son éducation ». 
Les parents d’élèves sont reconnus comme membres de la communauté éducative à part entière et disposent des droits individuels et collectifs, par l’intermédiaire de leurs représentants, à tous les niveaux de l’institution scolaire. Les textes et dispositions accordent aux parents, en France, de nombreuses garanties. Dans tous les pays européens, la participation des parents est affirmée, pour tenir compte de l’évolution des mœurs et de la déconcentration qui conduisent naturellement à une implication plus importante des parents. Dans la plupart des pays développés, l’enseignement privé se développe, ce qui explique, pour une part, cette implication croissante des parents. Dans quasiment tous les pays de l’OCDE, il existe des associations de parents reconnues. La compétence donnée aux parents concerne généralement l’élaboration du projet d’école et la définition du règlement intérieur. Cette compétence est rarement reconnue sur le contenu des enseignements ou la pédagogie. Dans certains pays, les parents peuvent donner leur avis sur le recrutement ou le licenciement de personnels. Ils peuvent aussi participer à l’évaluation officielle des établissements. Au Danemark, les conseils d’école sont présidés par les parents qui sont majoritaires. Des dispositifs d’aide à la parentalité ou d’éducation des parents existent également. En dépit des cultures très différentes, cette reconnaissance du rôle des parents a progressé partout en Europe. En Europe du Nord, le rôle des parents est davantage reconnu. Les attentes des familles à l’égard de l’école s’intensifient partout et se complexifient, dans toutes les classes sociales y compris populaires et dans tous les pays. Le discours convenu sur la démission des parents est battu en brèche : loin de s’inscrire dans une logique délégataire, les parents s’impliquent, notamment dans le suivi des devoirs. Les familles populaires portent souvent un regard critique sur les pédagogies scolaires contemporaines, ce qui rompt avec l’attitude confiante et délégataire. Beaucoup semblent avoir intégré que l’école ne constitue pas son propre recours et les parcours scolaire, pour une part, se façonnent ailleurs, en dehors de l’école La diffusion massive de l’impératif de scolarisation et de réussite éducative pourrait s’accompagner d’une plus grande légitimité de l’école, mais une défiance croissante est constatée, avec l’essor de l’école après l’école ou du tutorat privé qui caractérise les comportements parentaux dans de nombreux pays, y compris les pays en voie de développement. Pour expliquer ce divorce, il faut recourir à une autre analyse, centrée non plus sur l’efficacité de l’école et du service rendu, mais sur l’évolution de la famille contemporaine. Il a été longtemps tenu pour acquis que la famille et l’école se partageaient la tâche d’éducation : or, cette alliance semble rompue. L’école est désormais tenue de se charger de l’essentiel des tâches de socialisation primaire qui incombaient à la famille (contrôle de soi, reconnaissance d’autrui, éducation à la civilité, etc.) et le phénomène touche toutes les catégories sociales faute d’entente entre les familles et l’institution scolaire (non pas l’établissement scolaire) sur les finalités de l’école. Ce divorce fragilise l’institution scolaire. Ce constat est visible sur le moral des directeurs d’écoles primaires, en France : 30 % en 2004, 40 % en 2013 et 48 % aujourd’hui déclarent que les relations avec les parents d’élèves se sont dégradées. L’espace de la famille s’est privatisé. Alors que cet espace préparait auparavant les enfants à en sortir pour entrer dans un collectif plus large (vie sociale et vie professionnelle), il fonctionne maintenant comme un rempart contre la vie publique. 
Le rapport de l’inspection générale de 2006 montre que le sentiment prévaut que les parents souhaitent que l’école assure au présent le bien-être des enfants sans troubler la quiétude familiale. Une enquête TNS Sofres d’il y a une quinzaine d’années montrait que les parents voulaient une école sans pression, aidant l’enfant à devenir soi-même. Or, la véritable liberté doit faire l’objet d’une éducation et est un point d’arrivée et non de départ. L’éducateur doit user d’autorité et de contraintes pour produire de la liberté. Le « devenir soi-même » n’a pas donc pas le même sens pour l’institution et pour la famille.
A l’origine, l’école républicaine s’est construite contre la famille, inspirée par les idéaux universalistes, reposant sur l’idée que l’éducation suppose un arrachement de l’enfant à son milieu d’origine, pour l’aider à devenir autre : l’enfant devenait l’élève. La société a changé et l’institution avec. Elles privilégient toutes deux maintenant l’individualisation, l’authenticité et le bien-être. Mais, notre ’école reste marquée par l’idéal républicain de ses origines.
Le principe de coéducation paraît mieux reconnu dans l’enseignement privé. 

En France, la question éducative ne fait jamais l’objet de convergences de vue. Au plan pratique, deux points peuvent être mis en avant : le rôle déterminant des directeurs d’école et des chefs d’établissement dans la qualité de cette relation, avec l’importance que ce rôle devrait avoir dans la formation, et le fait que la généralisation des environnements numériques de travail a profondément bouleversé la communication des écoles et des établissements avec les familles qui deviennent de véritables partenaires des professionnels, dans le meilleur des cas. Les épreuves rencontrées, avec les confinements liés à la pandémie, auront sans doute fait progresser cette participation des familles à la vie scolaire et aux apprentissages. Ces événements peuvent produire des effets positifs. 

Bénédicte DURAND se demande comment retrouver le lien de confiance et la connivence. L’école de La Machine montre qu’il existe des acteurs de médiation entre l’école et la famille, pour créer la confiance ou la rompre. Une dynamique sociale complexe existe. 

Un représentant du collège des syndicats estime qu’il existe deux conceptions : si l’école est une institution, comme la Justice, dont le fonctionnement ne peut être remis en cause, cette conception doit conduire à mieux protéger les enseignants. Si tel n’est pas le cas, on se rapproche du modèle de l’école privée, les parents sont associés aux décisions, le choix de l’école doit être une liberté des familles et l’élève doit pouvoir quitter l’établissement. Il convient donc de savoir où se positionne l’institution. 

Un représentant du collège encadrement considère que la question qui se pose est d’associer de manière institutionnelle les parents. À cause de défauts de compréhension ou de communication, les parents n’ont pas toujours une vision réelle de ce qui se passe, car rapportée par leurs enfants. Les parents doivent être associés, pour que les intentions, la démarche et les objectifs soient bien compris. Ils ne peuvent toutefois être uniquement des auditeurs, la situation est délicate. Le conseil pédagogique a progressé, mais a vidé de son sens le conseil d’administration qui n’a plus grand-chose à dire. La place des parents est difficile à définir, mais les établissements ne peuvent pas s’en passer ou s’y opposer. 

Bénédicte DURAND indique que les parents sont des acteurs officiels de la gouvernance de la communauté éducative, en plus d’être les parents d’élèves en interaction avec les enseignants. Ils exercent des tensions croissantes sur l’établissement, du fait d’une communication ni officielle ni maîtrisée. Il convient d’associer les parents, tout en réaffirmant les prérogatives de l’école, pour réaffirmer les responsabilités et protéger l’école.  

Un représentant du collège des syndicats observe que les parents sont dans la collaboration, dans la coéducation, mais que la coéducation ne se décrète pas et n’est possible que si les attentes convergent. Le rôle de l’enseignant doit être renforcé et sécurisé, puisque ce n’est pas aux parents d’imposer leurs règles. Dans ce monde complexe, tout le monde n’a pas de bonnes intentions. 

Bénédicte DURAND et Nadette FAUVIN remercient vivement les participants. 

Mise à jour : décembre 2020

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