Grenelle de l'Education [Compte rendu d'atelier] Atelier numérique : séance 3

L’incubateur du Grenelle de l’Éducation permet une concertation large avec la société civile, sous la forme d’ateliers associant des représentants de la communauté éducative. Consultez le compte rendu de l'atelier numérique, séance 3, mardi 17 novembre 2020.

Introduction et présentation du thème de la séance

Aurélie JEAN propose que cette séance soit consacrée aux façons dont le numérique peut et va changer le métier d’enseignant. L’atelier pourra réfléchir à la façon dont le métier d’enseignant a déjà changé, à la faveur de l’introduction contrainte des outils numériques dans le contexte de la crise sanitaire et du confinement. C’est aussi un moyen de donner l’opportunité aux professeurs eux-mêmes de dessiner les contours de leurs missions.
Les mots clés issus du glossaire, pour la présente séance, sont les suivants : données, intelligence artificielle, algorithme, messagerie instantanée, pratiques pédagogiques augmentées, usages pédagogiques du numérique. 

  • Le métier d’enseignant peut être défini, pour cette réflexion, selon cinq composantes :
  • le face-à-face pédagogique ;
  • les préparations et corrections ;
  • le travail collaboratif ;
  • la formation continue ;
  • le service à l’école (accompagnement des voyages scolaires, relations avec les parents, etc.).

Brigitte HAZARD poursuit en soulignant que le numérique pourrait modifier en profondeur les relations entre les acteurs (élèves, classe, professeur) mais aussi la dynamique hors de la classe, les relations entre professeurs, les relations avec l’encadrement… Il ne s’agit pas seulement de voir le numérique se substituer aux pratiques antérieures ni même seulement de les augmenter : l’objectif sera de déterminer en quoi le numérique peut transformer et redéfinir les pratiques pédagogiques au service d’un meilleur apprentissage des élèves.

Des précautions sont cependant de mise. L’objectif n’est pas d’intégrer le numérique de façon contrainte. Il s’agit de porter un regard réfléchi sur les possibilités de son apport. Le Conseil scientifique de l'Education nationale attire notre attention sur le fait que les précautions, vis-à-vis des écrans, ne doivent pas s’entendre comme une appréhension vis-à-vis de l’outil mais du point de vue de son utilisation en tant que vecteur pédagogique, notamment en termes de durée. Les écrans ont vocation à constituer des auxiliaires pédagogiques dans un certain nombre de situations, en particulier pour le travail personnel de l’élève et pour l’inclusion ou l’individualisation. Le CSEN parle de « s’adapter aux besoins et au rythme de chaque enfant ». 

Selon de premières études, environ 60 % des enseignants ont mis en œuvre des pratiques et des outils durant le confinement, et la moitié se sont servis du confinement comme d’un « bac à sable » pour tenter des choses qu’ils n’avaient jamais essayées, au service des apprentissages des élèves. 10 % d’entre eux seraient des enseignants qui étaient pré-équipés et maîtrisaient un certain nombre d’outils numériques. A l’inverse, 40 % des enseignants auraient été en difficulté dans l’enseignement à distance durant le confinement, ce que l’atelier doit aussi avoir à l’esprit.

Un rapport de l’IGESR (inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) note que l’autonomie de certains élèves a progressé durant le confinement, de même que leur capacité à s’autoévaluer et la maîtrise de compétences numériques quotidiennes (par exemple écrire un message ou transférer un fichier). Des enseignants de maternelle témoignent aussi, dans ce rapport, du fait qu’ils ne voient pas de point positif dans ce qu’ils ont mis en place pour remplacer le présentiel. Ils signalent néanmoins que ces pratiques ont intensifié et personnalisé les relations qu’ils entretiennent avec les parents d’élèves. C’est le cas en particulier dans les zones d’éducation prioritaire, où des liens se sont noués via des outils numériques, ce qui n’était pas le cas avant le confinement.

Parmi les pratiques nouvelles que peuvent introduire les nouveaux outils, l’intelligence artificielle va permettre de personnaliser les contenus pédagogiques, d’évaluer plus justement les élèves ou encore d’assister le professeur dans son enseignement. 

Travail en sous-groupes

Les participants se répartissent en équipes 1 et 2 (identiques à celles des précédentes séances) pour travailler en sous-groupes durant 45 minutes.

Restitution du travail des sous-groupes et discussion

Alexia DESDEVISES, pilote du second groupe, indique que le groupe a fait le point sur le travail supplémentaire proposé pour les progrès en langue. Elle a signalé l’existence de l’outil Captain Kelly, actuellement testé dans plusieurs académies. Les élèves ont beaucoup accompagné leurs professeurs et leurs parents pour retenir les méthodes qui fonctionnaient à distance. L’intelligence artificielle permet, en particulier pour les langues, de déporter certaines tâches, à condition de réinvestir le temps gagné dans l’accompagnement des élèves et pour développer la collaboration et l’autonomie. Le groupe s’est interrogé quant à l’opportunité de création d’une plateforme d’outils numériques et plusieurs dispositifs existants, notamment dans le cadre des ENT, ont été mentionnés.

Brigitte HAZARD souligne que, d'une façon plus générale, le groupe a focalisé sa réflexion sur la classe en tant que telle, et n’a pas abordé des aspects tels que la préparation du travail de l’enseignant. Un certain nombre de tâches peuvent être déportées, décalées ou délestées du temps de travail de l’enseignant, qu’il s’agisse d’un temps de travail dans la classe ou hors de celle-ci (corrections). La réflexion doit donc se poursuivre quant aux tâches que le numérique peut prendre en charge en apportant une plus-value aux élèves (par exemple en leur permettant, pour les langues, de s’entraîner à l’oral et à la prononciation). Ce temps libéré doit permettre à l’enseignant de mieux accompagner les apprentissages des élèves au sens d’une analyse réflexive de l’activité de l’élève. Des précautions sont à prendre dans ce mouvement, en veillant notamment à ce que le professeur garde un enseignement à dispenser au groupe-classe, tout en faisant une place importante à l’accompagnement de l’élève. Ces nouvelles pratiques qui convoqueraient l’intelligence artificielle méritent une observation de la part de l’enseignant et une mutualisation de leurs effets avec d’autres. Elles impliquent un temps de travail pour l’enseignant dès lors qu’il doit identifier leur apport dans son métier.

Un membre du collège de l’encadrement, pilote du premier groupe, indique que celui-ci a rappelé la nécessité de la présence de l’enseignant lors des apprentissages : l’IA ne peut pas toujours se substituer à la présence physique de l’enseignant, par exemple pour les élèves en grande difficulté. La présence de l’enseignant a également été jugée indispensable pour l’acquisition de certaines compétences telles que l’autonomie ou le développement de l’esprit critique. Le groupe a noté que le numérique permet un engagement plus actif, ainsi qu’une plus grande diversité de support et des outils pouvant venir en support des sorties scolaires, pour les rendre plus dynamiques. La posture enseignante est en train de muter et crée un déplacement : la relation entre la classe et l’enseignant n’a plus lieu seulement en face-à-face mais aussi, de plus en plus, côte à côte. Le rôle de l’enseignant doit être redéfini car, au-delà de la transmission de savoir, ses missions incluent la formation à la citoyenneté et le développement des compétences transdisciplinaires. Une ingénierie pédagogique paraît indispensable pour développer une approche participative avec les chercheurs, de façon à proposer des outils qui soient aussi près que possible du terrain et des besoins des enseignants. Les formés doivent aussi percevoir par eux-mêmes l’intérêt de la place du numérique dans les pratiques pédagogiques. Une articulation paraît importante entre les usages sociaux et leur transposition dans l’univers professionnel. Le groupe a évoqué l’évolution de la forme scolaire : nous passons à une hybridation du présentiel et du distanciel. 

Aurélie JEAN juge fondamental qu’un travail soit réalisé avec la participation des enseignants eux-mêmes, afin que ceux-ci ne soient pas cantonnés dans une position où ils subissent les évolutions en cours. Celles-ci plaident aussi pour un rapprochement encore plus étroit entre la recherche et le terrain, de sorte que le corps professoral sache ce qui se fait dans le domaine de la recherche, puisse s’en imprégner et tester des outils ou dispositifs nouveaux. Il faut donc développer les interactions entre ces deux univers.

Une enseignante souscrit pleinement à cette analyse : cette interaction permet aux chercheurs d’être en lien concret avec la réalité et aux enseignants de se questionner sans cesse sur leurs pratiques. Cela leur donne du recul et nourrit l’analyse réflexive qui a été évoquée.

Brigitte HAZARD observe au passage que ce lien avec la recherche n’est pas propre au numérique : il s’agit d’un travail de fond à mener sur l’observation de l’efficacité des apprentissages. 

Une représentante de l’encadrement note qu’un participant, en sous-groupe, a souligné qu’il ne fallait pas fantasmer quant à l’apport de l’intelligence artificielle et des algorithmes dans l’éducation : il faut, de façon pragmatique, observer les apports qu’ils permettent, en ayant à l’esprit qu’un certain nombre de contenus pédagogiques pourront parfaitement fonctionner sans apport d’intelligence artificielle. Elle souligne aussi qu’un travail d’acculturation reste à produire vis-à-vis des enseignants pour leur expliquer ce qu’est l’IA, en misant sur la simplicité dans cette présentation. Plus de 2 000 professeurs, dans l’académie qu’elle représente, sont associés à des projets de recherche ou de recherche-action. L’intérêt de ces dispositifs n’est pas en doute. Un biais peut exister néanmoins dans la mesure où les chercheurs ont avant tout pour but de publier, ce qui peut les conduire à ne pas rechercher l’aboutissement concret d’un outil pour la réussite des apprentissages dès lors que leurs objectifs peuvent être atteints à un stade intermédiaire de développement de ces outils. Les débats de l’atelier sont poussés et la place de chacun est respectée, ce que salue cette participante. Elle dit avoir eu la chance de participer à plusieurs déplacements sur le thème de l’innovation numérique notamment lors du CES aux Etats-Unis. Elle a pu constater que les ressources existant en France n’existaient pas nécessairement ailleurs, en Europe et au-delà. Les débats en cours sont donc de nature à permettre à la France de ne pas subir et de rester bien positionnée au regard de ces transformations qui touchent le monde de l’éducation.

Florence BIOT signale l’existence du partenariat pour l’innovation en intelligence artificielle, qui vise le développement de la recherche et développement par le biais de consortiums mêlant entreprises et universités, avant des développements à plus grande échelle. Les enseignants sont associés à ces projets et ce modèle original, propre à la France, va certainement déboucher sur des résultats très intéressants. Elle signale aussi que deux ateliers ont été animés, dans le cadre des Etats généraux du numérique, sur la question des liens entre la recherche et la formation, d’une part, la recherche et l’enseignement d’autre part. Quatre propositions en ont découlé. Ces propositions visent notamment à favoriser les projets associant chercheurs et enseignants et à analyser les usages pouvant en découler, car cette analyse n’a pas lieu de façon systématique. Les Etats généraux ont également travaillé sur l’aide aux laboratoires de recherche, pour assurer le transfert des innovations. Enfin, un travail a été reconnu comme indispensable sur les accélérateurs de la diffusion d’innovations pédagogiques pour faciliter l’industrialisation des innovations. Le risque est en effet qu’elles restent au stade de prototypes.

Brigitte HAZARD souligne que les recherches-actions auxquelles elle a pu participer en académie étaient des projets qui se montaient « subrepticement », à la faveur de relations interpersonnelles d’acteurs clés, sans que l’académie n’ait généralement connaissance de ces projets, ce qui ne permettait pas leur capitalisation ni leur duplication.

Une représentante des familles estime que l’on doit s’interroger quant à la méconnaissance, par les élèves, de l’intelligence artificielle, des algorithmes et de l’utilisation des données. S’ils surfent couramment sur diverses plateformes, ils semblent par exemple méconnaître les risques liés au partage de données personnelles sur les réseaux sociaux et aux règles de propriété intellectuelle. Un effort de vulgarisation est à produire de ce point vis-à-vis des jeunes.

Une représentante du collège syndical note que la spécialité NSI (numérique et sciences informatiques) a été mise en place, au lycée, sans que des professeurs ne soient formés, ce qui les a obligés à se former pendant la mise en place de cette nouvelle spécialité. La façon dont ce déploiement a été effectué n’est guère satisfaisant : il aurait fallu d'abord permettre aux enseignants de se former en formation initiale à ces disciplines.

Un enseignant en NSI trouve positif que l’informatique devienne une matière à part entière, même si sa mise en place s’est faite dans une relative précipitation. Il faut maintenant que cette matière prenne sa place. Un CAPES d’informatique a été créé pour le lycée et pourrait même être étendu au collège. Cet enseignant considère que les choix effectués jusqu’à présent vont dans le bon sens, s'agissant de l’enseignement de l’informatique.

Prolongements 

La quatrième séance, le mardi 24 novembre, se placera du point de vue de l’élève et explorera les façons dont le numérique transforme les apprentissages eux-mêmes. Les contributions écrites des participants continuent d’être bienvenues, souligne Brigitte HAZARD. Celle-ci signale également qu’une cinquième séance sera sans doute organisée, en décembre, pour l’atelier. Elle pourrait fournir l’occasion d’entendre un certain nombre de témoignages issus du terrain (élèves, parents, enseignants, encadrants), concernant l’utilisation de ressources numériques ou la mise en œuvre de pratiques particulières au moyen du numérique.
 

Mise à jour : novembre 2020

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