Grenelle de l'Education [Compte rendu d'atelier] Atelier numérique : séance 5

L’incubateur du Grenelle de l’Éducation permet une concertation large avec la société civile, sous la forme d’ateliers associant des représentants de la communauté éducative. Consultez le compte rendu de l'atelier numérique, séance 5

Introduction

Brigitte HAZARD indique que cette dernière séance sera consacrée à la discussion des propositions, qui ont été envoyées aux membres de l’atelier par mail et déposées sur le site collaboratif.

Dans une première partie de la séance, des témoignages de terrain seront proposés par des représentants de l’académie de Nancy-Metz.

Florence BIOT et Michel REVERCHON-BILLOT livreront ensuite de premières réactions aux propositions élaborées. Puis la discussion sera ouverte au sein de l’atelier. La séance se terminera par un vote afin de hiérarchiser les propositions.

Témoignages de terrain et mise en perspectives des pistes de propositions soumises à l’atelier

Philippe LACURIE, professeur au lycée Schuman de Metz et ambassadeur académique de Pix, travaillait déjà avec 29 établissements de l’académie vers une démarche de certification des compétences numériques lorsque Pix a été lancé. Si Pix comporte une dimension importante de certification des compétences numériques, le positionnement des élèves et étudiants, au regard de ces compétences, l’est tout autant. Aussi faut-il d’abord présenter aux enseignants la façon dont Pix peut être mis en œuvre, en accord avec leurs enseignements. Des parcours typés pour différentes matières visent ainsi à permettre aux enseignants d’intégrer la mise en œuvre de compétences numériques, en amont ou en aval, voire dans une logique d’enseignement hybride (en faisant travailler des élèves à distance tandis que d’autres travaillaient sur le développement d’autres compétences en classe). Pix propose aux élèves des défis à leur niveau.

L’outil repose sur une intelligence artificielle capable d’évaluer le niveau de l’élève et de choisir les questions qui lui sont posées de telle sorte qu’il soit toujours en situation de réussite et d’apprentissage. Des défis et jeux ludiques invitent l’élève à mieux maîtriser des outils bureautiques, être mieux conscient des modes de recherche d’informations sur internet ou encore découvrir les bases de la programmation. L’outil peut ainsi développer 16 compétences. Pix permet aux élèves d’apprendre de façon autonome. Toutes les cinq questions, l’outil lui indique quel niveau il a atteint. Il a également accès à des tutoriels référencés par Pix pour leur pertinence et leur légitimité. Les élèves peuvent aussi remettre l’ouvrage sur le métier, pour les compétences qu’ils n’auraient pas acquises du premier coup. L’acquisition de cinq compétences leur donne accès à la certification, laquelle n’est qu’une étape dans l’acquisition des compétences numériques. Philippe LACURIE constate que les élèves se rendent très volontiers sur la plateforme – laquelle est déployée à ce jour dans 335 établissements de l’académie de Nancy-Metz. Les élèves n’atteignent pas tous le même niveau mais tous réussissent. Il existe aussi une version de Pix tournée vers le monde professionnel. La Poste utilise par exemple Pix pour positionner les compétences numériques de ses employés et conduire des formations en fonction des besoins ainsi mis en évidence.

Jordan BARBIER, coordonnateur du e-lab numérique au sein du territoire de Forbach, indique que des formations aux ENT du premier degré et du second degré sont notamment organisées dans ce laboratoire à l’intention des parents, ce qui répond à une demande de nombreux établissements. Isabelle BECK, formatrice aux usages du numérique dans le même laboratoire, souligne que des contenus sont créés et partagés avec les familles mais aussi travaillés en classe. Les parents des trois écoles sont en cours de formation. Il s’agit, dans un premier temps de les familiariser à des contenus, des usages, sans mettre les enseignants en difficulté. La même logique se met en place dans le second degré et les formations (l’une pour le collège et l’autre pour le lycée) doivent débuter au mois de janvier, sans doute sous la forme d’ateliers afin de favoriser la participation de chacun. Un autre objectif du projet vise à collaborer avec la recherche, à travers différents laboratoires, afin d’adapter les contenus aux besoins des enseignants et des élèves. Trois applications de recherche sont ainsi en cours de développement avec le concours des enseignants, avec pour objectif de faire travailler les élèves sur les savoirs fondamentaux. Chaque fin de semaine, un questionnaire rempli par les enseignants est transmis aux développeurs afin d’affiner encore les outils.

Julie CINTI et Marie MUTELET, professeurs des écoles depuis quatre ans à l’Ecole élémentaire Jules Verne de Dieulouard, disent s’intéresser depuis plusieurs années aux nouvelles méthodes d’enseignement afin de gérer au mieux l’hétérogénéité de leurs élèves et leur proposer un enseignement adapté à leurs besoins. Début 2020, leur enseignante référente pour l’usage du numérique leur a proposé de tester le logiciel de lecture Lalilo, doté d’un dispositif intelligence artificielle qui commence par un test de positionnement de dix minutes, afin d’en tenir compte ensuite pour les exercices proposés, parmi lesquels l’élève peut cependant faire un choix de trois niveaux distincts (simple, moyen, difficile). Chaque jour, les enfants doivent utiliser le logiciel durant vingt minutes au maximum sur tablettes, ce qui permet d’identifier la façon dont ils l’utilisent ainsi que les points faibles et points forts du logiciel. Les élèves ont aussi pu se servir de cet outil, avec des codes d’accès, durant le confinement, et les remarques des parents ont été recueillies afin de continuer de faire évoluer cet outil. Celui-ci, en construisant un parcours personnalisé, permet de proposer des apprentissages à tous les enfants et de mesurer leurs progrès. Les enseignants demeurent néanmoins les gardiens de la maîtrise des contenus et des progressions sur l’ensemble de la scolarité d’un enfant. C’est le travail en collaboration qui permet de faire évoluer l’outil, lequel va devenir de plus en plus performant pour accompagner l’enfant dans sa progression. Lalilo propose par exemple un tableau de bord consultable par l’enseignant, permettant de suivre chaque semaine les progrès de chacun. La plateforme permet également d’envoyer des diplômes aux enfants – fonctionnalité ajoutée à l’outil par les développeurs sur la suggestion des enseignants. La conception de l’algorithme permet aussi de s’assurer que chaque enfant demeure dans sa zone optimale de développement.
Au chapitre des freins à l’utilisation de l’outil qui ont été identifiés, Julie CINTI évoque l’organisation matérielle et la mise à disposition de tablettes.

Brigitte HAZARD constate que Lalilo a été fréquemment cité durant et après le confinement, et manifestement beaucoup utilisé. 

L’outil permet de suivre ce que font les enfants à la maison, tant en termes de moments de connexion que de suivi des exercices réalisés et de progression des élèves, souligne Julie CINTI, ce qui a permis de maintenir la continuité pédagogique. En outre, les parents pouvaient transmettre des messages aux enseignants et ceux-ci pouvaient échanger, via un chat, avec les concepteurs de l’outil de façon à répondre aux demandes des parents.

Florence BIOT souligne que de nombreuses propositions sont remontées lors de la concertation qui a eu lieu à dans le cadre des Etats généraux du numérique. C’est le cas en particulier de la question cruciale de la lutte contre la fracture numérique, qui apparaît dans plusieurs propositions. Connaître le matériel des élèves doit par exemple permettre de prévenir d’éventuels écarts dans l’accès aux outils numériques. Un équipement de base est aussi reconnu comme indispensable (le « socle », selon l’expression retenue lors des Etats généraux), ce qui englobe l’équipement (des élèves et des enseignants) mais aussi la connectivité et la formation. Ce socle minimal a déjà été discuté, pour le premier degré, avec les collectivités locales. La concertation est en cours également pour le second degré. Les participants aux ateliers du Grenelle de l'éducation insistent également sur la maintenance – besoin que les Etats généraux avaient déjà mis en lumière. Florence BIOT rappelle que cette maintenance relève (comme le socle de base dans le premier degré) des collectivités, ce qui imposera de négocier avec celles-ci, sauf à faire évoluer la loi. La possibilité d’expérimentation au moyen de logiciels libres pourrait par exemple faire partie du référentiel d’équipement qui sera à négocier avec les collectivités. 

Pour faire monter en compétence les enseignants, les élèves et les parents, les membres de l’atelier mettent en avant Pix, dont une version dédiée aux parents est en cours d’élaboration par le ministère. Il faudra en tout cas articuler l’auto-positionnement (vis-à-vis des compétences numériques), la formation et la certification, sans oublier l’obligation de certification en compétences numériques pour les enseignants, en application de l’arrêté de 2019 qui tarde un peu à trouver ses conditions concrètes d’application.

La clarification de l’aide que le numérique peut apporter aux apprentissages est tout aussi indispensable, note Florence BIOT. Là aussi, la possibilité d’expérimenter doit exister. 

Enfin, la protection des données personnelles demeure un axe primordial. Elle constitue (avec la valorisation) l’un des deux piliers de la stratégie du ministère en matière de données. C’est aussi un thème sur lequel les enseignants expriment un besoin de formation.

Enseigner avec le numérique reste, pour l’heure, une option, rappelle Florence BIOT. Il ne peut plus en être de même pour l’enseignement du numérique, souligne-t-elle, car celui-ci doit désormais être considéré comme l’une des conditions d’accès à la citoyenneté. Cela suppose de maîtriser les compétences de base, dont certains enseignants se disent pourtant dépourvus. Il faut que le Grenelle affirme cette nécessité d’enseigner le numérique, alors que l’illectronisme s’annonce comme l’un des défis majeurs à relever par notre société, au même titre que la lutte contre l’illettrisme.

Michel REVERCHON-BILLOT, directeur général du CNED (Centre national d’Enseignement A distance), se rallie à l’idée d’un socle minimum reposant sur trois piliers (équipement, accompagnement, compétences), mais à condition de le croiser avec les réalités locales (maturité numérique locale), car cet aspect lui paraît tout aussi important. Si, effectivement, le numérique fait aujourd'hui partie de la palette pédagogique de l’enseignant et ne constitue plus une option, le numérique à l’école doit d'abord être synonyme d’une réflexion pédagogique sur les apprentissages des élèves. Le développement de la culture numérique, en particulier sous l’angle de la formation aux médias et à l’information. Partagé entre de multiples acteurs, ce champ n’est pas suffisamment bien traité alors qu’il y a là des capacités fondamentales pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Le numérique peut aussi se mettre au service des professeurs en allégeant un certain nombre de leurs tâches. Michel REVERCHON-BILLOT pense notamment aux services – tel le tableau de bord proposé par Lalilo et évoqué plus haut – permettant de mieux connaître les élèves pour mieux les accompagner. Enfin, si le numérique a souvent été centré, depuis vingt ans, sur la question des ressources, celles-ci sont devenues trop abondantes et la priorité doit sans doute porter désormais sur les services, notamment ceux permettant de rendre les élèves autonomes. Enfin, il devient crucial de trouver un modèle économique pour le marché de l’EdTech afin de permettre son passage à l’échelle et ainsi trouver des réponses à la hauteur des besoins quantitatifs à couvrir.

Sondage et discussion

Un sondage, sous la forme de quatre questions reprenant les quatre grands questionnements soumis aux participants depuis le début de l’atelier, est soumis aux participants. Deux choix sont possibles pour chacune des questions.

Questions 1 et 2 : Comment équiper de manière équitable, pertinente et durable chaque élève, chaque professeur et chaque lieu d’apprentissage ?

Deux propositions arrivent ex aequo parmi les premiers choix des participants sur ce point : la cohérence locale du socle numérique (26,1 %) et la conception d’un référentiel national de services numériques (26,1 %).

Parmi les deuxièmes choix, la cohérence locale du socle numérique arrive également en tête (43,1 %) la conception d’un référentiel national de services numériques (26,1 %).

Un représentant des élèves considère que l’équipement demeure une priorité, avant de s’attacher à la maîtrise du numérique. Il y a là un préalable indispensable à ses yeux.

Une représentante des élèves va dans le même sens : le confinement a montré des disparités d’équipement qui représentent un obstacle évident. La connaissance du numérique constitue l’autre grande priorité. 

Questions 3 et 4 : Comment faire monter en compétences les élèves, les professeurs et les parents ?

La mise en place de lieux de formation collaboratifs recueille le plus de suffrages (34,8 %) en premier choix, devant la reconnaissance de Pix (30,4 %).

Parmi les deuxièmes choix, la proposition « former des formateurs au numérique pédagogique » arrive en tête (39,1 %) devant la mise en place de modalités de formation au numérique par le numérique (26,1 %).

Questions 5 et 6 : Comment le numérique peut-il et va-t-il changer le métier d’enseignant ?

La promotion d’une « ingénierie pédagogique réfléchie en appui sur ce qu’apporte le numérique à une meilleure connaissance des élèves » recueille le plus de suffrages (47,8 %) en premier choix, loin devant les quatre autres propositions.

En deuxième choix, l’atelier met en avant la mise en œuvre d’une communauté de recherche (34,8 %), devant la nécessité de « travailler en concertation avec les professeurs à construire un métier adapté aux évolutions induites par le numérique » (26,1 %).

Questions 7 et 8 : Quels potentiels faut-il envisager et développer dans les outils, les ressources et les usages numériques en classe et hors la classe ?

Encourager la co-conception est largement cité en tête parmi les premiers choix sur ce point (39,1 %). Parmi les deuxièmes choix des participants, la mise en place d’un portail unique national (30,4 %), devant l’autonomie des enseignants dans le choix de leurs ressources numériques (21,7 %).

Aurélie JEAN confirme la nécessité de cette co-conception, à laquelle les professeurs doivent être intégrés. La co-conception constitue aussi une condition de choix éclairé, par les professeurs, de leurs ressources numériques, souligne-t-elle.

Brigitte HAZARD constate une plus grande dispersion des réponses sur cette question. Elle s’étonne aussi que la proposition relative à la protection des données personnelles recueille un faible nombre de suffrages.

Aurélie JEAN suppose, au vu des échanges qui ont eu lieu tout au long de l’atelier, que l’importance de la protection des données est apparue si évidente aux participants qu’ils ont préféré mettre en avant d’autres propositions. La capacité des participants à hiérarchiser leurs réponses, en les autorisant à fournir plus de deux réponses, permettrait sans doute de le vérifier.

Une participante, représentant le monde de l’édition, observe que le principe d’un portail unique des ressources a été expérimenté en 2014, avec MIRIAE, où les enseignants ne se retrouvaient pas. Ce portail constitue une belle idée mais cette participante craint qu’il soit difficile d’atteindre les objectifs poursuivis par une telle proposition. 

Brigitte HAZARD considère que cette proposition de portail unique, si elle était conservée, devrait être affinée en prévoyant notamment de permettre aux utilisateurs d’opter pour telle ou telle ressource sur la base de critères bien identifiés – ce qui n’était pas le cas du portail MIRIAE, qui n’offrait aucun critère de choix parmi l’ensemble des ressources proposées.

Compte tenu du manque de temps pour examiner totalement les résultats de ce sondage, Aurélie JEAN propose de réitérer un sondage hors séance, en ouvrant davantage les choix proposés.

Aurélie JEAN et Brigitte HAZARD remercient vivement l’ensemble des participants. La diversité des points de vue a permis une grande richesse de contributions, souligne Brigitte HAZARD. Aurélie JEAN espère aussi que tous les participants auront l’occasion de se retrouver physiquement pour une nouvelle rencontre.

Mise à jour : janvier 2021

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