Grenelle de l'Education [Compte rendu d'atelier] Ecoute et proximité : séance 2 – Reconnaissance
L’incubateur du Grenelle de l’Éducation permet une concertation large avec la société civile, sous la forme d’ateliers associant des représentants de la communauté éducative. Consultez le compte rendu de l'atelier Écoute et proximité, séance 2, reconnaissance, 12 novembre 2020.
Introduction
Le sentiment de solitude de l’enseignant a été évoqué à plusieurs reprises au cours de la première séance, relève Daniel PENNAC, de même que celui d’infantilisation. L’éducation touche au collectif le plus vaste, puisque l’Education nationale embrasse la France entière, mais un certain nombre de professeurs y tombent en solitude. Ils peuvent ressentir celle-ci face à leurs élèves, face à leurs collègues (quand ils ont le sentiment de ne pas être aidés), face aux familles (qui sont de plus en plus présentes dans l’Education nationale), face à la hiérarchie, etc. Le thème de la solitude est si courant que la littérature s’en est emparée depuis longtemps. En France, dans Le Petit Chose, Alphonse Daudet vit le martyr d’un surveillant qui a le sentiment d’être massacré par de jeunes sauvages auvergnats. Chez Musil s’observe le désarroi de l’élève Törless, lui aussi soumis à la solitude, de même que celui du philosophe Cripure dans Le sang noir de Louis Guilloux. Le même sentiment est décrit dans Bochan, roman japonais de Natsume Sôseki ou dans Ex Cattedra, de Domenico Starnone, jusqu’à La tâche, de Philip Roth : un professeur accusé de racisme pour avoir lancé une métaphore se retrouve totalement isolé de son établissement, de sa hiérarchie et de l’opinion publique, au point de devoir recommencer sa vie.
Ce qui vaut pour le roman vaut aussi pour le cinéma, de Zéro de conduite (Jean Vigo) à La journée de la jupe en passant par If (Lindsay Anderson), film culte des années 68, où des jeunes gens propres sur eux d’un collège anglais se mettent à tirer à la mitraillette lors de réunions de parents d’élèves. Dans Le Cercle des poètes disparus, un professeur se trouve condamné par sa réussite à une grande solitude vis-à-vis de ses collègues et un élève y commet un suicide. Revenant à la réalité vécue par les enseignants, Daniel PENNAC dit être tombé sur une page de Twitter donnant libre cours à une grande agressivité entre enseignants. La solitude du maître a un caractère naturel, intrinsèque à son rôle : c’est la solitude de celui qui sait, confronté à celui qui ne sait pas encore et qui est supposé désirer apprendre. Les professeurs sont formés, d’une certaine façon, dans l’idée que l’élève est un candidat volontaire et bienveillant à l’apprentissage – ce qui n’est pas toujours le cas. La transmission du savoir du professeur à l’élève crée un lien magnifique mais s’il ne trouve pas à se nouer, l’élève, comme le professeur, se trouve rejeté dans une forme de solitude.
La solitude, dans l’échec ou dans la réussite, qu’évoquait l’atelier lors de la première séance tient à ce que le liquide amniotique où baigne le corps enseignant est l’évaluation elle-même : ils baignent dans l’évaluation en permanence, de leurs études à l’exercice de leur profession – évaluation arithmétique par la notation des élèves, évaluation implicite par la réputation que se font parfois les collègues entre eux, évaluation hiérarchique par la notation administrative et par les rapports d’inspection académique, si rares qu’ils sont souvent vécus comme des prises de mensurations définitives. Le sentiment de solitude est par ailleurs exaspéré du fait qu’il est ressenti dans différents huis clos remplis de regards : celui de la classe, celui de la salle des professeurs et finalement le huis clos de l’établissement, saisi subjectivement comme un lieu dont on ne peut sortir. Daniel PENNAC dit avoir eu une longue conversation, récemment, avec une jeune enseignante démissionnaire qui a eu ces mots : « je ne m’en sortais pas donc je suis sortie ». Il se demande comment pourrait être combattu ce sentiment de solitude, ce qui doit débuter par la prévention : savoir et transmettre représentent deux tempéraments parfois antinomiques. Il y a souvent un grand bonheur de solitude à apprendre et une grande joie privée à comprendre. Le bonheur d’avoir compris ne nous prédispose pas nécessairement à la transmission. « Transmettre un savoir, c’est troquer une intimité comblée contre une exposition périlleuse », souligne Daniel PENNAC, qui se demande si l’INSPE dit suffisamment aux candidats à l’enseignement que le métier d’élève ou étudiant n’est pas celui de professeur : l’excellence, ici, ne garantit aucunement l’aptitude de l’enseignant.
Au fond, l’Institution continue d’envoyer au front des professeurs qui, sans un très long entraînement à la pédagogie, sur le terrain, de façon protégée, sont voués à souffrir. Les témoignages qui en attestent sont nombreux autour de Daniel PENNAC, dit-il, même s’il pourrait citer autant de témoignages de professeurs heureux de voir des bouilles comblées, des intelligences naître, y compris parmi les élèves les plus défavorisés.
Quand les professeurs souffrent, qui rencontrent-ils pour les aider ? Ils peuvent rencontrer certains collègues dans leur établissement mais ce n’est pas si fréquent. Souvent invité en tant qu’auteur dans des établissements scolaires, Daniel PENNAC dit rencontrer régulièrement des professeurs de toutes disciplines qui « réussissent » dans leur classe et qui auraient les moyens d’aider des enseignants en souffrance. Existe-t-il cependant au sein du ministère une cellule de recherche, très active, qui rechercherait la transposition par des méthodes réfléchies, rationnelles d’éducation, mises au point par eux sur leur propre terrain ? Les professeurs qui ont réussi subissent paradoxalement un certain ostracisme – au motif qu’ils seraient doués – et se trouvent marginalisés alors même que la méthode qu’ils ont mise au point serait exportable à nombre de leurs collègues. Il y a là une considérable quantité d’intelligence pédagogique qui disparaît dans les sables, note Daniel PENNAC, alors qu’elle pourrait sans doute être repérée par le ministère.
La deuxième personne qui pourrait aider le professeur est l’inspecteur d’académie. Néanmoins, deux ou trois moments d’inspection, dans une carrière, ne suffisent évidemment pas à aider un enseignant en souffrance. Des inspections pédagogiques actives, chaque année, dans une logique de conseil, tant que dure le désarroi de certains enseignants, les aideraient sans doute davantage.
Échanges
Pour lancer le débat, Aziz JELLAB identifie trois thèmes saillants qui se dégagent des échanges de la première séance :
- l’écoute et la reconnaissance des besoins des personnels ;
- la valorisation des bonnes pratiques (acteurs, modalités et finalités) ;
- le rôle de l’encadrement (notamment de l’encadrement de proximité et celui des inspecteurs) afin de veiller à l’existence d’un accompagnement dans la durée, autour des difficultés professionnelles et en termes de développement professionnel.
Un médecin scolaire, intervenant désormais au niveau rectoral, note que de nombreux enseignants se disent désemparés face à l’hétérogénéité des publics qu’ils accueillent, notamment pour comprendre, dans la relation humaine face à l’élève, ce qui les freine dans les apprentissages. Il signale l’existence d’une expérience lancée dans le réseau d’éducation prioritaire des Bouches-du-Rhône, fait intervenir un pédopsychiatre auprès d’enseignants volontaires en éducation prioritaire autour de comportements d’enfants pour lesquels ils se sentent mal préparés. Le projet (qui va connaître des prolongements dans le cadre du GOEP, groupe opérationnel éducation prioritaire) vise à aider les enseignants à se positionner face à ces élèves et semble apporter une aide appréciée par les enseignants. Ce médecin constate aussi que de nombreux médecins ne savent pas à qui s’adresser au moment d’exprimer leurs difficultés.
Une représentante du monde associatif et économique évoque une action menée en partenariat avec le ministère, l’ANACT (Agence nationale d’amélioration des conditions de travail) et la MGEN dans le cadre des réseaux PAS (Prévention Aide Suivi) qui interviennent pour le traitement de difficultés mais aussi pour la prévention de cellesci. 15 800 personnes ont bénéficié de ce type de dispositif en 2019. Le dispositif est né de l’identification de situations de tensions, voire de conflits liés à la charge de travail dans des circonscriptions de la région de Poitiers. Il a conduit à établir un diagnostic avec les professionnels de terrain, l’encadrement et les spécialistes de l’accompagnement de situations de mal-être au travail. Des actions ont été conduites afin d’accroître la « capacité à faire » des acteurs, dispositif qui a montré que ceux-ci disposaient des leviers nécessaires pour agir. Encore faut-il prendre le temps de se poser, d’identifier les difficultés et de construire une situation autour des pistes d’évolution identifiables. Une autre démarche s’adresse aux directeurs d’école, qui ont une formation
administrative mais n’ont pas nécessairement une formation au traitement de situations conflictuelles au sein de la communauté éducative (par exemple face à des élèves ou parents d’élèves). Aussi cette action mise en place il y a quelques années accompagne-t-elle ces directeurs au regard de la posture (regard, voix, prise de recul) qu’ils peuvent adopter dans des situations d’agressivité à leur égard. Cette action est très appréciée du public qui y est convié tant les directeurs d’école sont peu formés, par ailleurs, à ces aspects relationnels.
Une représentante de l’encadrement signale l’existence de trois types d’accompagnements proposés aux enseignants dans l’académie de Clermont-Ferrand. Le « groupe académique d’accompagnement professionnel » vient en appui des enseignants du second degré pour les aider à mieux vivre leur métier et faire évoluer la pratique de la gestion de la classe. Deux parcours sont proposés, l’un sur un an et l’autre sur trois ans. Un numéro vert est par ailleurs mis à la disposition des personnels, en lien avec l’accompagnement du stress et l’aide au traitement de difficultés y compris si celles-ci émanent de leur sphère personnelle. Enfin, récemment a été instaurée la fonction de conseiller RH de proximité, lequel a vocation à aider tous les personnels dans leur situation professionnelle.
Un représentant du collège syndical observe que les étudiants de STAPS doivent réaliser des stages dans différentes structures éducatives (au sens large), ce qui n’est pas le cas des étudiants se destinant à l’enseignement de disciplines autres que l’éducation physique et sportive. Dans l’académie de Reims existe un dispositif en faveur du développement professionnel et de la fluidité des parcours, permettant d’aller enseigner dans un autre type d’établissement pendant un an ou deux, sans perdre son emploi d’origine. La mise en oeuvre
de ce parcours n’est pas toujours aisée mais il s’agit d’une initiative intéressante. Se pose aussi de façon prégnante la question de la professionnalisation, puisque ce n’est pas parce que l’on devient chef d’établissement que l’on devient un spécialiste de l’accompagnement. Les compétences de médiation, en particulier, semblent particulièrement à développer afin d’aider les personnels à désamorcer des situations de tension qui sont fréquentes. Ce représentant syndical déplore aussi le modèle actuel de l’évaluation des enseignants, qui a pour
résultat de détourner, pour une part, les inspecteurs de leur coeur de métier (l’accompagnement pédagogique) au profit de tâches administratives. Il n’y a pas de prototype du bon professeur, en tout état de cause. Il doit donc y avoir une place pour la différenciation pourvu que les critères soient justes, acceptables et connus de tous.
Aziz JELLAB rappelle que l’atelier a souligné, dans sa première séance, le fait que la reconnaissance supposait la connaissance. Il faut en particulier que les personnels soient familiers de la mise en récit de l’expérience pour mettre en valeur leurs compétences.
Il existe aussi plusieurs temporalités de l’écoute, note un représentant de l’encadrement. Il y a d'abord celle du quotidien : de quelle écoute chaque agent bénéficie-t-il dans l’exercice de ses missions au quotidien ? Dans le second degré, le premier interlocuteur d’un enseignant sera souvent son chef d’établissement, plus ponctuellement son inspecteur. Au niveau institutionnel, l’écoute de l’enseignant, lors de l’entretien professionnel annuel, donne lieu à un compte-rendu d’entretien dans le cadre du PPCR, à raison de trois rendez-vous normés.
L’inspecteur et le chef d’établissement sont désormais face à l’enseignant, dans le second degré, ce qui a fait évoluer de façon intéressante la nature de cet entretien. La question de l’exploitation des entretiens reste néanmoins posée car cette exploitation n’est pas simple. L’écoute qui peut être mobilisée en cas de difficulté tend par ailleurs à mieux se structurer, dans le cadre de dispositifs qui veillent de plus en plus souvent à écarter la crainte de sanctions que peuvent éprouver des enseignants dès lors qu’ils font part de leurs difficultés. Il existe enfin une temporalité tournée vers l’avenir lorsque les enseignants souhaitent évoluer – ce qui n’est pas seulement le désir de changer de métier par lassitude. Des réponses progressives s’élaborent pour proposer des solutions aux enseignants et les choses évoluent de façon positive mais l’objectif doit être maintenant de parvenir à structurer une capacité d’écoute à grande échelle.
Aziz JELLAB confirme la nécessité d’articuler le temps court et le temps long. Quant à la problématique d’échelle, la possibilité de travailler avec des pairs, à une échelle réduite, en liaison avec le niveau académique, pourrait aussi constituer une piste intéressante.
Un représentant de l’encadrement dit avoir le souci de développer des collectifs de travail, en élargissant le plus possible les conseils pédagogiques et en favorisant les échanges entre enseignants au sein d’une discipline par exemple. Dans de nombreux pays européens existe aussi un dispositif de dialogue pédagogique reposant sur un entretien annuel individuel avec les enseignants volontaires pour échanger sur la pédagogie, en tirant le bilan de l’année écoulée et en traçant des perspectives pour l’année à venir, ce qui est très riche. Cet encadrant plaide aussi pour l’existence de réseaux de pairs auxquels pourraient participer des enseignants.
Un représentant des élus et collectivités signale l’étude menée durant l’été 2020 à travers le dispositif « Regards d’enseignants », qui montre notamment que seuls 7 % des enseignants sont satisfaits de leur formation. Des bilans de compétences peuvent parfois être réalisés mais semblent difficilement accessibles aux enseignants. Un bilan de compétences doit permettre de réaliser un état des lieux et peut conduire à s’engager différemment dans le même métier. Ces points réguliers paraissent en tout cas indispensables dans une logique de développement professionnel. Encore faut-il que les accompagnants RH soient eux-mêmes formés aux questions d’évolution professionnelle et d’accompagnement. La question du choix des formations revêt aussi une grande importance : si un enseignant ne choisit pas au moins la moitié de ses formations, ce participant voit mal comment l’enseignant
pourrait être motivé pour les suivre. Enfin, cet élu évoque, en écho à l’idée de réseaux de pairs évoquée précédemment, l’existence, au Québec, de communautés d’apprentissage professionnel (CAP) permettant aux membres de la communauté éducative (enseignant, parent, élève) d’échanger. Des réseaux francophones pourraient d'ailleurs voir le jour au-delà de l’Hexagone avec des représentants de communautés éducatives en Belgique ou au Canada par exemple.
Pour un représentant de l’encadrement, les compétences managériales se fondent sur plusieurs principes. Le directeur d’établissement doit être à la fois un chef d’équipe et un directeur des ressources humaines. Des rendezvous de carrière devraient d'ailleurs avoir lieu plus fréquemment avec le chef d’établissement, même s’ils ne doivent pas forcément donner lieu à un compte-rendu formalisé. Le directeur d’établissement doit aussi veiller à l’existence d’un esprit d’équipe parmi son personnel pédagogique.
L’attention collective des uns aux autres et les réalisations communes lui ont toujours paru, dans son expérience d’enseignant, combattre efficacement le sentiment individuel d’évaluation permanente, signale Daniel PENNAC : le fait de produire en commun des résultats paraît un bon antidote à ce sentiment.
Une représentante des parents et familles admet que la relation avec les parents n’est pas simple, car un certain nombre de parents viennent empiéter sur les prérogatives des enseignants. Telle n’est pas leur vocation, affirmet- elle sans détour. Les parents peuvent constituer des médiateurs ou des partenaires dans la communauté éducative mais reconnaissent la professionnalité de l’enseignant. Il ne faut d'ailleurs pas oublier la majorité silencieuse qui apprécie et salue le travail des enseignants. Le premier confinement a permis de faire émerger la parole des parents affirmant qu’ils n’étaient pas des professeurs. En revanche, depuis 2015, les interdictions d’entrer dans l’école faites aux familles ont tué la relation informelle qui pouvait exister entre les enseignants et les parents, en particulier dans le primaire. Ce « petit lien quotidien » qui permettait de dénouer rapidement des problématiques a été mis à mal par la distance et la trop grande formalisation qu’un certain nombre de questions devaient prendre. Ce parent se demande enfin quelle image de la valeur de l’enseignant l’Institution envoie aux familles et aux élèves lorsqu’un enseignant partant en formation n’est pas remplacé. Une représentante du collège syndical mentionne l’existence des formations en constellation, permettant à l’échelle d’une circonscription de discuter de la problématique d’une classe en présence du conseiller pédagogique, tout au long de l’année, sur le temps de travail. Il arrive cependant que les enseignants soient envoyés dans ces formations après un entretien de carrière, auquel cas cette injonction est mal vécue par les enseignants. Ce lieu pourrait être médiatisé autrement afin que les enseignants y voient une ressource.
Prolongements et perspectives
Aziz JELLAB propose aux participants de verser à l’atelier des contributions écrites s’ils le souhaitent, notamment sur la valorisation des bonnes pratiques, la professionnalisation de l’écoute et les collectifs professionnels.
Virginie Gohin, sous-directrice de la formation, des parcours professionnels et des relations sociales au sein du ministère, participera à la prochaine séance en tant qu’experte.
Daniel PENNAC propose quant à lui de revenir, en introduction de la prochaine séance, sur le thème de la création commune au sein des classes et des établissements.
Mise à jour : novembre 2020
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