Grenelle de l'Education [Compte rendu d'atelier] Mobilités : séance 2 - Ouverture
L’incubateur du Grenelle de l’Éducation permet une concertation large avec la société civile, sous la forme d’ateliers associant des représentants de la communauté éducative. Consultez le compte rendu de l'atelier Mobilités, séance 2, Ouverture, 24 novembre 2020.
Le président de l’atelier, Patrick GERARD, ouvre la séance qui portera sur les fonctions mixtes. Il accueille Barbara TOURNIER et Chloé CHIMIER de l’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO pour une présentation sur les modèles de carrière mis en place dans d’autres pays.
Repenser la carrière des enseignants : mobilités et fonctions mixtes
Intervention de Barbara TOURNIER et Chloé CHIMIER, Institut international de planification de l’éducation, UNESCO
Les intervenantes introduisent leur présentation en soulignant que la qualité du travail va de pair avec la motivation. Une structure de carrière plus attrayante pourrait contribuer à renforcer la motivation des enseignants. De nombreuses variables influencent la motivation : le statut, l’autonomie, la collaboration, des salaires justes, etc., et tous ces éléments sont liés à la carrière. De nombreux pays ont entrepris de grandes réformes sur la carrière des enseignants.
La structure de carrière est passée dans plusieurs pays de modèles de 1ère génération à un modèle de 2ème génération. Le modèle de 1ère génération est caractérisé par :
- une carrière à vie
- un nombre réduit de possibilités d’avancement sans quitter la classe.
- Les enseignants voient leur salaire augmenter régulièrement, quel que soit leur niveau d’implication. Le modèle de 2ème génération est basé sur un principe de différenciation basé sur le mérite. Différents formats sont mis en œuvre pour mettre en œuvre cette différenciation :
- une rémunération par les primes, les enseignants recevant un supplément ponctuel en plus de leur salaire de base, le choix des enseignants étant fondé sur les résultats des élèves ou sur une évaluation plus large,
- une progression salariale basée sur une évaluation,
- la construction d’une véritable échelle de carrière.
Dans les modèles basés sur une échelle de carrière, les enseignants peuvent acquérir des responsabilités supplémentaires au fil de leur carrière. A Singapour, par exemple, les enseignants commencent par enseigner en classe, puis ils peuvent choisir d’avancer dans trois filières différentes : l’enseignement, l’encadrement ou la spécialisation. Cette structure élargit les possibilités de mobilité horizontales. Des passerelles existent en outre entre les différentes filières.
Chaque modèle générationnel présente des avantages et des inconvénients. Le modèle de 1ère génération permet des projections simples de la masse salariale et ne met pas les enseignants en compétition. Cependant, ces derniers ont peu de comptes à rendre sur leur enseignement. Parmi les formats de 2ème génération, les deux derniers modèles sont considérés comme les plus prometteurs, en ce qu’ils ne mettent pas les enseignants en concurrence comme le système de prime. Cependant, en termes de gestion, ils se révèlent complexes, car ils impliquent une modification du calcul de base des rémunérations et de la retraite. De nombreuses recherches sur les rémunérations par les primes en démontrent par ailleurs les résultats plutôt négatifs. Ce modèle de bonus stimule la rémunération extrinsèque de l’enseignant qui va chercher à améliorer les résultats de ses élèves pour obtenir une prime au lieu de renforcer la motivation intrinsèque des enseignants. En outre, il induit une compétition entre les enseignants alors qu’il faudrait favoriser leur collaboration.
Dans le cadre de leurs réformes, la plupart des pays étudiés par l’IIPE-UNESCO ont maintenu la grille salariale unique de l’ancien système, mais ils combinent plusieurs modèles de carrière de façon complémentaire. Peu de pays ont en revanche mis en place une rémunération par les primes.
Les échelles de carrière permettent de mieux réglementer l’entrée dans la profession et les changements introduits dans les processus de sélection peuvent entraîner un accroissement de l’attractivité. Les échelles de carrière permettent aussi d’augmenter les possibilités d’évolution horizontale, les enseignants pouvant continuer d’enseigner tout en progressant dans leur carrière. En outre, elles ont le potentiel de renforcer les dynamiques de soutien et les pratiques de collaboration entre enseignants. Cette possibilité de mobilité horizontale accrue a un impact non seulement sur les enseignants qui peuvent prendre des responsabilités supplémentaires, mais aussi sur toute l’école. Ces rôles ont également permis de fluidifier les relations entre les enseignants et la direction de l’école. Enfin, ces échelles mettent en avant la formation et le développement professionnel.
A New York, un programme a été développé pour accroître la mobilité horizontale des enseignants. A travers ce programme, les enseignants qui souhaitent continuer d’enseigner peuvent accéder à trois postes :
- enseignant expérimentateur ;
- enseignant collaborateur ;
- maître enseignant.
En prenant ces nouvelles responsabilités, les enseignants bénéficient d’une majoration salariale et d’un temps dégagé. Les enseignants ne sont qualifiés pour ces postes que pour une durée de deux ans. A l’issue, ils doivent postuler de nouveau. Ce processus de requalification permet de s’assurer que les enseignants continuent de s’impliquer dans leur rôle.
Pour assurer le succès des réformes de carrière, il faut avant tout en assurer les conditions de base, c’est-à-dire le salaire et les conditions de travail. Lorsque les salaires sont comparables aux autres professions, la réforme contribue vraiment à améliorer le statut de la profession. Tel a été le cas en Thaïlande. Réformer la carrière exige en outre une forte capacité administrative, financière, humaine et technique. Dans certains pays, comme l’Equateur, les contraintes financières ont parfois mis à mal les possibilités de réforme.
La transition entre l’ancien et le nouveau modèle peut également constituer une difficulté. Certains pays ont adopté une approche « big bang », d’autres ont plutôt opté pour une approche séquentielle : tous les nouveaux enseignants sont intégrés automatiquement et les enseignants déjà en poste peuvent opter volontairement pour le nouveau modèle de carrière. Si cette approche apparaît plus douce, elle induit cependant des complexités. En faisant cohabiter les deux modèles, elle ralentit également la mise en place de la réforme et peut provoquer un climat délétère. En Colombie par exemple, la moitié des enseignants est toujours sous l’ancien statut, ce qui crée certaines tensions. Enfin, la démarche peut donner le sentiment aux enseignants que leur statut est mis à mal. Dans certains systèmes, en effet, l’emploi à vie n’est plus garanti. Ainsi, au Mexique, les enseignants ont été fortement opposés à cette réforme.
Quelques principes directeurs méritent d’être pris en compte avant d’envisager de telles réformes :
- réformer par étape, en cherchant à consolider l’existant : réguler l’entrée dans la profession, renforcer les procédures de recrutement, ajouter des rôles au sein des écoles ou entre l’école et les autorités centrales, etc., pour ne pas tout remettre en cause en même temps ;
- favoriser un processus de co-construction ;
- adopter une approche itérative, avec la mise en place d’un pilote et un suivi étroit pour affiner la démarche au fur et à mesure et favoriser l’adhésion des enseignants ;
- obtenir le soutien des enseignants, en évitant les changements trop importants qui peuvent être source de contentieux;
- s’assurer que les salaires sont attractifs pour faire en sorte que les enseignants ne soient plus contraints d’exercer un second emploi (16 % des enseignants aux Etats-Unis par exemple), sans voir pour autant dans cette augmentation une recette miracle, puisqu’elle ne portera ses fruits que sur le long terme ;
- orienter les systèmes éducatifs vers le soutien, la collaboration et le développement professionnel au niveau de l’école;
- budgéter les ressources financières, humaines et techniques.
Echanges sur les mobilités
Un représentant du collège syndical s’interroge sur l’impact des modèles de 2ème génération sur les inégalités professionnelles femmes/hommes.
Barbara TOURNIER répond qu’elle n’a pas constaté un accroissement des inégalités.
A New York, par exemple, cette évolution venait formaliser des responsabilités déjà assumées par les enseignants, qu’il s’agisse de femmes ou d’hommes.
Olivier SIDOKPOHOU observe qu’il s’agit de reconnaître des tâches qu’effectuent déjà les enseignants, en les institutionnalisant.
Barbara TOURNIER confirme que tout individu a besoin d’une reconnaissance, qui passe par une évolution de salaire et de responsabilité.
Un représentant du collège syndical note qu’en France, le modèle n’est pas bien défini, mais l’échelle de carrière existe, avec les maîtres formateurs, les directeurs d’école et la prise en charge de l’inclusion, qui répondent bien aux trois degrés de cette échelle. Le problème réside dans le manque de reconnaissance.
Un représentant du collège syndical constate l’importance de dialogue dans ces réformes. Il se demande si la France n’est pas passée d’un système de 2ème génération à un système de 1ère génération, notamment avec les PPCR. La proximité avec la classe reste importante ; elle semble vécue par l’ensemble des enseignants. L’enseignement demeure la priorité dans tous les domaines.
Barbara TOURNIER confirme que la proximité avec la classe est vécue très positivement par les enseignants. La mise en place de fonctions mixtes qui aient leur légitimité prend cependant du temps. Mais une fois installée, elles constituent un soutien de proximité qui permet aussi de régler des difficultés rapidement, en trouvant des solutions adaptées au contexte.
Un représentant du collège encadrement constate un décalage complet entre le système français et ces exemples ; le système français manque cruellement de souplesse. Certes, des activités annexes peuvent être indemnisées, comme l’accompagnement de stagiaires. Néanmoins, les budgets sont contraints et les décharges extrêmement limitées. Il est très difficile de pouvoir proposer une pause à des enseignants qui éprouveraient l’envie de faire autre chose pendant un certain temps. Les enseignants manquent également de temps pour un échange entre pairs pour partager des difficultés ou des réussites professionnelles.
Barbara TOURNIER précise que New York a mis en place un système hybride : il est administré de la même façon que des primes et peut-être discontinué à tout moment mais il fonctionne comme une échelle de carrière basée sur une évolution des responsabilités.
Une représentante du collège élus et collectivités propose de décentraliser et transférer certaines compétences au niveau régional pour les lycées, départemental pour les collèges ou communal pour les écoles. Au niveau territorial, les collectivités pourraient ainsi mettre en place des avancements de carrière spécifiques.
Un représentant du collège encadrement remarque qu’en entrant dans la carrière, une personne développe des connaissances, puis acquiert des compétences. Il faudrait reconnaître cette acquisition. Aujourd’hui, les décrets proposent déjà un certain nombre de mesures. Il conviendrait de les répertorier et leur donner de la visibilité. Cette visibilité donnerait du sens et permettrait aux enseignants de s’engager.
Une représentante du collège professeurs souligne que l’âge de départ à la retraite se révèle aussi très important, car il change tout en termes de perspectives de carrière. En France, la carrière relativement courte des enseignants exige une évolution rapide. Des mobilités à l’étranger, même courtes, permettraient également aux enseignants d’appréhender les différences de système. Elles leur offriraient peut-être aussi un ressaut.
Patrick GERARD partage l’idée d’un ERASMUS pour les enseignants.
Une représentante du collège syndical signale que les mobilités sont encore plus verrouillées dans l’enseignement privé. Outre les mobilités à l’étranger, elle estime que chaque enseignant devrait aussi avoir la possibilité de passer un temps en entreprise. Certaines professions, comme les professeurs d’EPS qui peuvent connaître des difficultés en fin de carrière, pourraient effectuer d’autres missions en déduction de leur temps d’enseignement. La mise en place d’un compte épargne temps permettrait aussi d’alléger les fins de carrière et un bilan de compétence, tous les 15 ans, offrirait la possibilité de dresser le bilan des compétences acquises et de proposer à l’enseignant d’autres missions.
Un représentant du collège syndical rappelle que le décret sur les obligations de service des enseignants a fixé toutes les fonctions possibles, mais il n’a pas quantifié ces fonctions. Au-delà du face à face pédagogique, il faudrait valoriser les tâches de coordination des disciplines, mais aussi panacher les obligations de service pour réduire les heures d’enseignement en fin de carrière au profit d’autres fonctions.
Olivier SIDOKPOHOU remarque que l’échelle de carrière induit une idée de certification.
Barbara TOURNIER précise que dans la plupart des cas, l’évolution exige une formation additionnelle ou repose sur un certain nombre de critères (évaluation, ancienneté dans le poste, recrutement par entretien, etc.). A New York, le processus de requalification conduit les enseignants à démontrer toutes les actions qu’ils ont entreprises durant deux ans pour améliorer les pratiques.
Un représentant du collège syndical remarque que les différences de système éducatif résultent de l’histoire et de la situation des pays. De ce point de vue, une comparaison avec les pays européens aurait été intéressante. L’attractivité est liée à la rémunération, mais aussi aux conditions de travail. La collaboration existe. Néanmoins, elle reste informelle. Pour favoriser la coopération au sein des équipes enseignantes, il faut donner à celles-ci la capacité de développer des projets.
Une représentante du collège professeurs souligne que les enseignants ont besoin de se nourrir du monde extérieur. Or aujourd’hui, l’école est un milieu très fermé. Il faudrait leur accorder quelques semaines pour vivre une autre expérience dans un pays d’Europe.
Une autre représentante du collège professeurs observe qu’il existe aujourd’hui une hiérarchie entre collège, lycée ou université. Ces différents mondes semblent hermétiques et les enseignants n’éprouvent pas l’envie d’effectuer des allers-retours entre les différents degrés alors qu’ils y trouveraient un intérêt.
Echanges sur les fonctions mixtes
Une représentante du collège syndical remarque que le système des congés formation ne favorise pas les reconversions dans le monde extérieur, puisque le décret impose un nouvel engagement de trois ans pour l’Etat. Les enseignants doivent avoir la possibilité de développer des compétences annexes pour prendre d’autres fonctions, tout en conservant une part d’enseignement pour préserver leur légitimité. Dans l’enseignement privé, par exemple, les enseignants peuvent devenir coordonnateurs de niveaux. Les directeurs adjoints peuvent se familiariser avec les missions de direction avant de prendre un poste de directeur tout en conservant des missions d’enseignement. Ces fonctions sont financées par l’OGEC et les recrutements sont de la responsabilité des directeurs eux-mêmes soit au sein de leur établissement, soit dans des établissements extérieurs.
Un représentant du collège encadrement indique que les enseignants éprouvent l’envie de prendre d’autres fonctions. Ils sont toutefois freinés par le concours. Le mécanisme de « faisant fonction » permet aux enseignants de découvrir et d’expérimenter d’autres fonctions, mais le manque de souplesse entrave cette démarche. Les chefs d’établissement n’ont pas la possibilité de dégager du temps ou d’offrir une reconnaissance financière aux enseignants pour ces heures non pédagogiques.
Un représentant du collège syndical observe que dans le premier degré, chaque année, plusieurs dizaines de milliers de postes de direction restent vacants après le mouvement, par manque d’attractivité. Pour rendre ces postes attractifs, il faut à la fois prévoir un temps de décharge, une reconnaissance financière, mais aussi une reconnaissance institutionnelle via la création d’un statut et le développement d’une formation initiale et continue de qualité.
Une représentante du collège professeurs estime que la fonction de directeur d’école dans le 1er degré est totalement ambivalente aujourd’hui. Il est responsable de certaines tâches administratives, souvent sans grande valeur ajoutée, mais en aucun cas il n’anime l’équipe en termes RH. Il conviendrait de faire évoluer son statut et de lui donner une formation adaptée.
La représentante du collège famille et élèves rappelle que le rapport parlementaire de 2010 sur le statut du directeur d’école évoquait justement l’idée de créer un vrai statut.
Patrick GERARD reconnaît qu’il est anormal que les écoles ne soient pas aussi organisées que les collèges sur le plan administratif. La fonction de directeur d’école se révélera plus attrayante si elle est bien définie.
Olivier SIDOKPOHOU indique que la question de l’attractivité de la fonction d’inspection se pose aussi.
Patrick GERARD souligne que les personnes ne doivent pas se sentir enfermées dans une fonction qui pourrait ne pas leur convenir sur le long terme. Il faut introduire plus de souplesse et leur offrir des expériences temporaires.
Une représentante du collège professeurs rappelle qu’un enseignant en détachement sur une fonction d’IPR n’est titularisé qu’au bout de trois ans. Or il ne conserve son poste d’enseignement qu’un an.
Patrick GERARD confirme que les personnes ne doivent pas être pénalisées lorsqu’elles passent un concours pour progresser dans leur carrière. Or très souvent, leur rémunération baisse, car elles perdent des primes.
Olivier SIDOKPOHOU estime que le système de New York présente l’avantage de la clarté. En France, le système manque de visibilité. Lorsqu’un enseignant s’investit dans d’autres fonctions, il est important qu’il ne perde pas en rémunération.
Patrick GERARD souligne que les conditions financières doivent être clairement affichées.
Un représentant du collège encadrement observe que les évolutions de carrière sont en dent de scie. Ainsi, les professeurs agrégés qui évoluent vers une carrière de chef d’établissement prennent tout d’abord un poste d’adjoint. Or selon la localisation de leur exercice, ils peuvent voir leur rémunération baisser.
Un représentant du collège syndical rappelle que de très nombreux enseignants s’épanouissent dans leur métier. Il regrette qu’il n’existe presque aucune passerelle claire entre l’Education nationale et l’enseignement agricole public. De fait, les mobilités des enseignants et des autres personnels se révèlent très ardues et reposent presque entièrement sur les personnels eux-mêmes.
Olivier SIDOKPOHOU confirme que l’Education nationale et le ministère de l’Agriculture doivent renforcer leurs relations dans ce domaine.
La représentante du collège famille et élèves signale que des réflexions sont également en cours dans le secteur de la petite enfance sur l’évolution dans le métier.
Patrick GERARD estime qu’il faut examiner les mobilités entrantes de la petite enfance vers le métier de professeur des écoles.
Olivier SIDOKPOHOU remarque que certains pays ont déjà intégré les crèches dans un système éducatif élargi.
Un représentant du collège syndical souscrit à la proposition d’une possible réversibilité des mobilités. Les personnels ne doivent pas non plus subir une mobilité « punitive », en connaissant une baisse de rémunération à l’entrée ou en étant pénalisés en termes de progression de grade dans leurs nouvelles fonctions.
Patrick GERARD confirme qu’il faut admettre que la mobilité constitue un enrichissement.
Olivier SIDOKPOHOU remercie les participants et les intervenantes, il indique que la prochaine séance se tiendra le mercredi 2 décembre de 14h30 à 16h30 et portera plus spécifiquement sur les mobilités à l’extérieur de l’Education nationale.
Mise à jour : décembre 2020
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