La lutte contre les sorties précoces dans l'Union européenne
Au premier rang des objectifs de la stratégie Europe 2020 figure la réduction du nombre de jeunes qui quittent chaque année le système éducatif avec un faible niveau d’études et sans suivre de formation après leur sortie. L’enjeu est majeur dans la mesure où la privation d’emploi et la menace d’exclusion sociale sont sensiblement accentuées pour ces jeunes. En 2013, la France est mieux placée que la moyenne de l’Union européenne, tandis que les contrastes restent forts entre les différents pays. Les politiques axées sur une intervention précoce et coordonnée semblent plus efficaces.
Auteur : Florence Lefresne, DEPP-MIREI
L'infographie
Sorties précoces dans l’Union européenne, 2003 et 2013 (en % des 18-24 ans)
La plupart des États membres du Nord ou de l’Est de l’Union comptent moins de 10 % de sorties précoces, tandis que la plupart de ceux du Sud dépassent ou avoisinent les 20 %. Le Royaume-Uni occupe une position intermédiaire avec un taux de 12,4 %. Les disparités reflètent en premier lieu l’histoire de chaque système éducatif, et notamment celle du développement de l’enseignement secondaire.
L'essentiel
L’indicateur européen de sortie précoce dépend de la façon dont les pays recueillent les informations sur les diplômes et de la transcription de ces diplômes dans la nomenclature de la Classification Internationale Type de l’Éducation (CITE). Sont ainsi définis comme « faible niveau d’études », les diplômes inférieurs ou équivalents à la fin de premier cycle de l’enseignement secondaire ou ceux préparés au-delà de ce premier cycle, mais par des programmes professionnels d’une durée strictement inférieure à 2 ans.
La stratégie de l’Union européenne fixe pour 2020 un seuil à ne pas dépasser de 10 % de jeunes de 18 à 24 ans qui quittent le système scolaire sans diplôme et sans suivre de formation. Le taux de sortants précoces s’établit à 12 % dans l’Union européenne en 2013, en baisse de 4,4 points depuis 2003. La France s’est donné une cible nationale plus exigeante en visant un seuil de 9,5 % de sortants précoces d’ici 2020. En 2013, 9,7 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans résidant en métropole sont des sortants précoces, soit environ 500 000 jeunes. Ce chiffre mérite toutefois prudence compte-tenu d'une rupture de série de l'enquête Emploi.
Deux traits des systèmes éducatifs apparaissent propices à de faibles proportions de sortants précoces : d’abord, la continuité structurelle entre les enseignements primaire et secondaire de premier cycle à travers l’existence de "troncs communs" non sélectifs, telle que promue par les pays scandinaves au cours des années 1960 et 1970 ; ensuite, le développement et la valorisation des enseignements professionnels (pays à fort système d’apprentissage).
Dans tous les pays de l’Union européenne, les difficultés d’insertion professionnelle – menace accrue de chômage et de précarité –, mais aussi d’insertion sociale – moindre accès à la santé, risque de pauvreté et d’exclusion pour les ménages et leur descendance –, sont sensiblement accentuées pour les jeunes non diplômés, par comparaison avec les jeunes diplômés.
Les femmes sont moins confrontées aux sorties précoces avec un taux de sortie précoce inférieur de 3,4 points à celui des hommes en moyenne européenne. Elles sont cependant moins souvent en emploi que les hommes et davantage dans des situations d’inactivité indiquant un éloignement du marché du travail.
Dans tous les pays, la menace de privation d’emploi est accentuée pour ces jeunes et, à plus long terme, le risque d’exclusion sociale et de pauvreté de leur descendance.
Pour lutter contre le décrochage scolaire, les politiques publiques axées sur une intervention précoce et coordonnée semblent plus efficaces. Aux Pays-Bas, où les sorties précoces sont passées de 15,5 % au début des années 2000 à 9,2 % en 2013, la politique volontariste articule trois dimensions. La loi impose désormais à l’élève sans diplôme une année de scolarisation supplémentaire à temps partiel jusqu’à l’âge de 18 ans ; elle rend par ailleurs obligatoire le signalement des décrocheurs par l’établissement. Un outil numérique de repérage précoce de l’absentéisme et du décrochage permet de suivre individuellement les élèves concernés. La contractualisation État-municipalité-établissement scolaire stimule la coordination des acteurs au plan local et le renforcement de la filière professionnelle en lien étroit avec les acteurs économiques.
Repères
Trois définitions des faibles niveaux d’études en France
La mesure statistique des faibles niveaux d’études en France se fait principalement à partir de deux indicateurs.
L’indicateur européen des sorties précoces, issu de l'enquête Emploi de l'Insee, mesure le nombre de jeunes de 18 à 24 ans n'ayant ni CAP, ni BEP, ni baccalauréat, sortis du système scolaire et qui ne bénéficient d’aucune sorte de formation. Il fait partie des critères de référence fixés dans le cadre de la stratégie Éducation et Formation 2020 et ne doit pas dépasser 10 % à l’horizon 2020. Il est établi par Eurostat pour évaluer la situation de chaque pays membre de l'Union dans le domaine de l’éducation et de la formation.
L’indicateur des sortants de formation initiale à faible niveau d'études, issu lui aussi de l'enquête Emploi de l'Insee, comptabilise les sortants de formation initiale sans aucun diplôme ou avec uniquement le brevet des collèges. Sur l’ensemble des 677 000 jeunes sortants de formation initiale, en moyenne annuelle 2010, 2011 et 2012, 15 %, soit 101 000 jeunes, n’ont aucun diplôme ou au mieux le brevet. Ce taux était de 17 % en moyenne 2007,2008 et 2009.
L’indicateur des sortants de formation initiale sans diplôme ou titulaires au plus du diplôme national du brevet et l’indicateur des sortants précoces ne mesurent pas la même réalité. Quand le premier mesure un flux de jeunes sortants de formation initiale sans diplôme, le deuxième s’applique à un stock, celui des 18-24 ans et exclut dans son comptage les situations de formation.
Le Code de l’éducation définit comme "décrocheurs" les jeunes qui ont quitté un cursus de formation de l’enseignement secondaire sans obtenir le diplôme visé par cette formation : certains ont quitté l’école au niveau du collège (avec ou sans le brevet) ; ou ont suivi un cursus de lycée sans obtenir le baccalauréat, ou bien un cursus menant à un CAP ou à un BEP (ou équivalent) sans parvenir au diplôme. Certains titulaires de CAP ou BEP peuvent avoir décroché en s’engageant vers un bac pro sans l’obtenir.
Un système interministériel d’échange d’information (SIEI) permet le partage d’information entre les bases de données des établissements de formation initiale, celles des centres de formation d’apprentis et celles des missions locales. Ce dispositif ne constitue pas un outil statistique.
L’enquête Emploi en continu de l’Insee
L'indicateur national de sortants de formation initiale à faible niveau d'études et l’indicateur européen de sortants précoces sont tous deux calculés à partir de l’enquête Emploi en continu de l’Insee. Cette source d’informations permet de recueillir des données annuelles et historisées sur le niveau de diplômes des sortants du système éducatif. C’est une enquête déclarative inscrite dans le cadre des enquêtes "Forces de travail" définies par l’Union européenne. Elle est donc harmonisée avec les enquêtes des autres pays européens et soumise à un contrôle de sa qualité.
En 2013, l’enquête Emploi a subi une double modification. D'une part, le questionnaire a été rénové, notamment la partie sur le niveau d'éducation des personnes interrogées. D'autre part, le protocole de l'enquête a été amélioré. Les enquêteurs disposent désormais d'outils informatiques leur permettant de rectifier en temps réel une grande partie des incohérences de réponses au moment de l'interrogation en face-à-face. Les variables d'éducation sont ainsi de meilleure qualité. Le protocole précédent avait tendance à sous-estimer le niveau d'éducation des jeunes (le nombre de sans-diplômes était probablement légèrement surestimé).
La Classification Internationale Type de l’Éducation (CITE)
Adoptée par l’Unesco en 1978, elle classe les programmes et les niveaux d’éducation. La nomenclature 1997, utilisée jusqu’aux données 2013 incluses, définit les niveaux suivants.
- CITE 0 : éducation préélémentaire ;
- CITE 1 : enseignement élémentaire ;
- CITE 2 : premier cycle de l’enseignement secondaire (durée minimale : 3 ans) ;
- CITE 3 : second cycle de l’enseignement secondaire (durée minimale : 2 ans) ;
- CITE 4 : enseignement postsecondaire (non supérieur) ;
- CITE 5-6 : enseignement supérieur.
À partir de CITE 2 incluse, trois types de programmes sont pris en compte : ceux de la filière générale destinée à la poursuite d’études (A), ceux de la filière professionnelle destinés à la poursuite d’études (B) et enfin ceux préparant au marché du travail (C). La durée des programmes compte. Ainsi, les programmes courts d’enseignement secondaire professionnel dits "3C court", dont la durée est strictement inférieure à 2 ans, ne permettent pas d’atteindre un niveau de CITE 3.
Les faibles niveaux d'études correspondent au maximum à la CITE 2 ou à la CITE 3C court.
Approfondissement
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