La Lettre d’information juridique hors série : Bilan de la protection fonctionnelle – année 2022 – décembre 2023
La lettre de la direction des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche
Éditorial
Dans un contexte d’exigence accrue de protection des agents publics, la direction des affaires juridiques a décidé d’organiser de manière récurrente une enquête approfondie sur la protection fonctionnelle portant sur l’ensemble de nos champs ministériels (éducation nationale, jeunesse, vie associative et sports, enseignement supérieur et recherche). Après la première enquête portant sur l’année 2021, voici donc la synthèse de cette deuxième enquête pour l’année 2022.
La protection fonctionnelle que permet le statut de la fonction publique et dont peut bénéficier tout agent public, titulaire ou non titulaire, est prévue aux articles L. 134-1 et suivants du code général de la fonction publique et constitue une obligation pour l’administration. Cette protection, qui connaît une actualité renouvelée depuis la publication de la circulaire interministérielle du 2 novembre 2020 et l’adoption de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, est au cœur de la relation entre l’administration et ses agents.
Cette enquête rétrospective a été réalisée en 2023 et concerne l’année 2022. Elle englobe désormais aussi les principaux organismes de recherche. La synthèse qu'elle offre, marquée par la forte hausse des réponses des services concernés, permet de mesurer les demandes de protection fonctionnelle dont ont été saisies les administrations en 2022 et d'analyser la manière dont elles y ont répondu. Par rapport à 2021, on constate une augmentation des demandes (4 085 agents demandeurs de protection fonctionnelle, soit + 15 %) et une très légère baisse des accords par l’administration (2 913 demandes accordées, soit - 1 %). Dans les faits, en valeur réelle, compte tenu de l’augmentation du nombre d’agents ayant effectué une demande, 24 protections fonctionnelles de plus ont été accordées en 2022. Les atteintes volontaires à l’intégrité de l’agent demeurent le motif principal d’octroi – en légère hausse – (86,3 % en 2022, contre 85,7 % en 2021). Enfin, si les montants versés au titre de la protection fonctionnelle ont baissé sur l’ensemble du périmètre (- 17 k€), en revanche, ils ont augmenté pour les académies (+ 90 k€).
Je vous souhaite une excellente découverte de cette deuxième édition du hors-série de la LIJ sur la protection fonctionnelle.
Fabrice Bretéché
Chef de service, adjoint du directeur des affaires juridiques
Chiffres-clés
Protection fonctionnelle
- Une protection juridique pour les agents publics
- Pour l'enquête 2023, un taux de réponse en hausse sur un périmètre élargi
- Une protection, pour quels agents ?
- Une protection, pour quels motifs ?
- Une protection très majoritairement accordée
- Une augmentation des actions de soutien concrètes mises en œuvre pour les académies
Une protection juridique pour les agents publics
En application de l’article L 134-1 du code général de la fonction publique (C.G.F.P., ancien article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, 1er alinéa) : "L'agent public ou, le cas échéant, l'ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (…)."
La collectivité publique est ainsi tenue de protéger l'agent public et de réparer, le cas échéant, le préjudice qu’il subit (article L. 134-5 du C.G.F.P.), cette protection pouvant être accordée sur leur demande aux ayants droit (article L. 134-7 du C.F.P.G.).
Les mesures de protection fonctionnelle ne sont pas limitées au seul remboursement des frais d’avocat et peuvent évoluer dans le temps. Leur mise en œuvre concrète peut prendre de nombreuses formes et recouvre trois grands types d'obligations :
- des actions de soutien et de prévention, visant à assurer la sécurité de l'agent et à mettre fin aux agissements perpétrés à son encontre en prenant toute mesure conservatoire (lettre de soutien, proposition de prise en charge médicale, enquête diligentée...) ;
- la fourniture d’une assistance juridique et judiciaire à l’agent (assistance par le biais des services de l'administration ou par le choix d’un avocat, paiement des frais d’honoraires) ;
- la réparation des préjudices (économiques, personnels, matériels, corporels, moraux) subis par l’agent à qui la protection a été octroyée, l’administration étant alors subrogée dans les droits de l’agent contre le tiers responsable (article L. 134-8 du C.G.F.P.).
Le service instructeur de la protection fonctionnelle diffère en fonction des champs de compétence ministériels.
Aux termes de l’article 25 de l’arrêté du 17 février 2014 modifié fixant l'organisation de l'administration centrale des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche, la direction des affaires juridiques (DAJ) est compétente pour octroyer la protection fonctionnelle aux agents dont la gestion relève de l’administration centrale, quel que soit leur statut, ainsi qu’aux recteurs d’académie ou de région académique.
Pour ce qui concerne l’enseignement scolaire, la déconcentration de l’instruction des demandes de protection fonctionnelle au profit des recteurs d’académie et vice-recteurs a été opérée par l’arrêté du 21 octobre 2019 : ils sont ainsi compétents pour statuer sur les demandes de protection fonctionnelle des agents relevant de leur autorité, la DAJ restant compétente pour connaître des recours hiérarchiques contre les décisions des recteurs de région académique et des recteurs d’académie refusant l’octroi du bénéfice de cette protection.
Pour ce qui concerne l’enseignement supérieur, les dirigeants des établissements publics sous tutelle du ministère sont compétents pour octroyer la protection fonctionnelle à leurs agents, sauf lorsque leur demande a trait à des faits les mettant en cause. Dans ce cas, depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2021-350 du 29 mars 2021 (codifié à l’article R. 222-24-7 du code de l’éducation), ce sont les recteurs de région académique qui statuent. De la même manière, les recteurs de région académique connaissent des demandes de protection fonctionnelle formées par les présidents et les directeurs des établissements publics d’enseignement supérieur de leur ressort.
Pour l'enquête 2023, un taux de réponse en hausse sur un périmètre élargi
Après une première enquête réalisée à titre expérimental en 2021 pour l’année 2020, la DAJ publie depuis 2022 son enquête annuelle sur la protection fonctionnelle. Ainsi, en 2023, la DAJ a réalisé sa deuxième enquête sur la mise en œuvre de la protection fonctionnelle au titre de l’année civile 2022 auprès des rectorats et vice-rectorats ainsi que de 170 établissements publics d’enseignement supérieur. Du fait de la compétence du secrétariat général dans le champ du sport depuis le 1er janvier 2021, l’enquête inclut les 24 établissements publics de formation sous tutelle du ministère des sports. Enfin, pour la première fois, dans l'édition 2023, elle inclut également les 12 principaux organismes de recherche sous tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (A.N.R., B.R.G.M., C.E.A., CIRAD, CNES, C.N.R.S., IFREMER, INED, INRAE, INRIA, INSERM).
Le taux de réponse en 2023 est en forte hausse par rapport à l’enquête précédente : toujours 100 % pour les rectorats et vice-rectorats, et 85 % (contre 66 % en 2022) pour les établissements publics d’enseignement supérieur. On relève en revanche une baisse pour les établissements publics de formation relevant du ministère des sports qui ont répondu à 79 % (contre 87 % en 2022). Invités à répondre pour la première année, 75 % des grands organismes de recherche ont participé à l’enquête (soit 9 sur 12).
Une protection, pour quels agents ?
L’augmentation de la protection fonctionnelle constatée entre 2020 et 2021 se poursuit, tant au niveau des demandes que des décisions d’octroi (3 558 demandes et 2890 accords selon l'enquête 2022 ; 4 085 demandes et 2 ִ913 accords selon l'enquête 2023).
Entre 2021 et 2022, le nombre total des demandes d’agents souhaitant bénéficier de la protection fonctionnelle passe de 3 558 à 4 085, tous périmètres confondus, qui se répartissent ainsi :
On passe dans les académies de 3 211 demandes en 2021 à 3 733 en 2022, qui concernent :
- 1 338 personnels enseignants du premier degré, dont les directeurs d’école (1 168 en 2021) ;
- 1 401 personnels enseignants du second degré (1 150 en 2021) ;
- 470 personnels de direction du second degré (463 en 2021) ;
- 245 personnels d’éducation et d’orientation du second degré (201 en 2021).
Pour les établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche et de sports, on dénombre 322 demandes (contre 311 en 2021, mais l’enquête ne prenait alors pas en compte les établissements de recherche), qui concernent :
- 185 enseignants-chercheurs, chercheurs, enseignants, agents non titulaires (236 en 2021, sans les établissements de recherche) ;
- 87 personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé (BIATSS ; 73 en 2021, sans les établissements de recherche.
Concernant l'administration centrale, on passe de 36 demandes à 30 : ce chiffre englobe les agents relevant pour leur gestion de l’administration centrale, les personnels pour lesquels la mise en œuvre de la protection fonctionnelle relève directement de la compétence de la DAJ (cf. supra), des recours hiérarchiques et des demandes mal dirigées.
Agents ayant déposé une demande de protection fonctionnelle – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Auteurs des faits – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Une protection, pour quels motifs ?
Les motifs des demandes (4 121 en 2022, contre 3 577 en 2021 ; à noter qu'une même demande peut avoir plusieurs motifs) concernent principalement les atteintes volontaires à l’intégrité de l’agent (article L. 134-5 du C.G.F.P.) pour 86,3 % d’entre elles (85,7 % en 2021), se répartissant entre l’atteinte morale (60,7 % en 2022, contre 66,8 % en 2021 : diffamation, menaces, injures publiques, outrages), l’atteinte physique (8,3 % contre 8,2 %) et les actes de harcèlement (9,6 % contre 7,6 %).
Viennent ensuite :
- l’atteinte aux biens, dont les véhicules (article L. 134-5 du C.G.F.P.) : 7,3 % en 2022, contre 7,5 % en 2021 ;
- les poursuites pénales contre l’agent (article L. 134-4) : 6 % contre 6,7 % ;
- la protection des ayants droit (article L. 134-7) : 0,1 % en 2022, comme en 2021.
À l’exception du harcèlement (+ 2%), on constate une certaine stabilité dans les motifs des demandes.
Motifs des demandes de protection fonctionnelle – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Une protection très majoritairement accordée
Même si le pourcentage des octrois diminue légèrement par rapport à 2021 (75,9 % en 2022, contre 82,6 %), il reste toujours très élevé. Et surtout, la protection fonctionnelle augmente en valeur nette puisqu'elle a été accordée en 2022 à 2 913 agents (2 890 agents en 2021) ainsi répartis : 2 673 dans les académies, 228 dans les établissements publics (enseignement supérieur, recherche et sports), 12 relevant de la compétence de l’administration centrale.
Le pourcentage des refus, qui comprend les refus implicites, augmente légèrement en 2022 (24,1 %, contre 17,4 % en 2021). Ainsi, sur les 4 085 demandes de protection fonctionnelle, 753 ont fait l’objet d’un refus exprès, soit 19,6 %, dont 165 pour des faits non établis, 159 pour des faits ne relevant pas du champ des articles L. 134-1 et suivants du C.G.F.P., 66 pour absence de lien avec le service, 39 pour faute personnelle de l’agent, 30 pour incompétence de l’autorité administrative saisie, 3 pour motif d’intérêt général et 141 pour divers autres motifs. 174 demandes (4,5 %) ont, par ailleurs, fait l’objet d’une décision implicite de rejet.
Les refus de protection fonctionnelle ont fait l’objet, sur l’année civile 2022, de 90 recours contentieux devant les juridictions administratives (79 en 2021), ainsi répartis : 56 recours contre des décisions prises en académie, 31 recours contre des décisions prises par des établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche, et 3 recours contre des décisions de l’administration centrale.
Accord / Refus de l’administration – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Détail des refus de l’administration – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Répartition des demandes de protection fonctionnelle accordées – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Une augmentation des actions de soutien concrètes mises en œuvre pour les académies
Parmi les 3 166 actions mises en œuvre en 2022 (contre 2 090 en 2021), l’assistance juridique prédomine (1 297), avec, le cas échéant, la prise en charge des frais de procédure ou d’assistance médicale, suivie de l’entretien avec l’agent (841), de la sanction de l’élève ou de l’étudiant auteur des faits (261), de la suspension ou de la sanction de l’agent incriminé (70, dont 55 en rectorats et 16 en établissements d’enseignement supérieur et de recherche), ainsi que des actions de protection (219 : changements de numéro de téléphone, d’adresse courriel...).
Actions mises en œuvre – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Pour l’année civile 2022, si l’on constate une baisse des montants versés au titre de la protection fonctionnelle sur l’ensemble du périmètre, en revanche, ceux-ci augmentent pour les académies. En 2022 en effet, ont été versés 1 095 535 euros au total, contre 1 112 983 euros en 2021. Mais la part versée aux académies passe de 744 003 euros en 2021 à 834 294 euros en 2022. Elle diminue, par contre, pour les établissements d’enseignement supérieur, recherche et sports (malgré l’élargissement à la recherche), passant de 357 804 euros à 253 833 euros. De même pour l’administration centrale où elle passe de 11 176 euros à 7 408 euros.
Montants versés en 2021 – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Montants versés en 2022 – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
Les montants versés, à hauteur de 1 095 535 euros, ont servi principalement au remboursement de frais d’avocat (838 566 euros, incluant des frais de déplacement et des frais de justice), au règlement de sommes résultant de condamnations civiles (171 472 euros, dont le remboursement de 142 046 euros au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions) et au remboursement de débours consécutifs à des atteintes aux biens (45 594 euros, dont 43 763 euros pour frais de véhicule).
En vertu du décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017, deux options permettent la prise en charge de la protection fonctionnelle :
- dans le cadre d’une convention d’honoraires conclue entre l’administration et l’avocat de l’agent, à qui l'administration règlera directement les frais prévus par ladite convention ;
- ou en dehors de toute convention avec l’administration ; les frais exposés par l’agent lui seront alors remboursés sur présentation des factures acquittées. Selon cette seconde option, l’administration prendra seulement en charge le montant des honoraires qui ne sont pas manifestement excessifs au regard des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession pour des dossiers similaires (cf. C.A.A. Paris, 19 juin 2012, n° 10PA05964).
Détail des montants versés en 2022 – Académies, établissements publics (enseignement supérieur , recherche et sports) et administration centrale
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Ont participé à ce numéro : Michel Baehr, Gabriel Ballif, Cédric Benoit, Chloé Hombourger, Jean Laloux, Chloé Lirzin, Pauline Ozenne, Juliette Uzabiaga
N° ISSN : 1265-6739