La Lettre d’information juridique n° 228 – janvier 2024

Direction des affaires juridiques - Lettre d'information juridique (LIJ)

Lettre de la direction des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Éditorial

L’autonomie des établissements d’enseignement supérieur, principe bien connu consacré par le législateur (à l’article L. 711-1 du code de l’éducation), ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que le pouvoir réglementaire impose à ces établissements des règles et procédures qui ne relèvent pas des principes fondamentaux de l’enseignement.

Tel est notamment ce qui ressort d’une décision du 31 octobre dernier du Conseil d’État, qui juge que la Première ministre était bien compétente pour instituer, par décret, une procédure dématérialisée, gérée par la plateforme nationale Mon master, pour l’organisation, par les établissements d’enseignement supérieur, du processus de recrutement en première année des formations conduisant au diplôme de master.

L’autonomie des établissements n’a donc pas d’incidence sur la répartition des compétences entre législateur et pouvoir réglementaire, pourvu que celui-ci n’aille pas jusqu’à remettre en cause cette autonomie ni ne déroge à d’autres règles et principes de valeur législative – ainsi, par exemple, du principe de libre accès aux études universitaires en fonction de critères tirés exclusivement des mérites des candidats. Tel n’est pas le cas du seul fait de l’institution d’une procédure unique d’organisation des admissions en master, qui permet avant tout de centraliser, au bénéfice des étudiants, l’offre de formations conduisant à ce diplôme, et qui, par son objet même, justifie donc l’intervention du pouvoir réglementaire national.

Guillaume Odinet

Jurisprudence

Enseignement scolaire
Discipline des élèves
T.A. Bordeaux, 5 octobre 2023, n° 2200141

Enseignement supérieur et recherche
Cycle master (Mon master…)
C.E., 31 octobre 2023, n° 471537, aux tables du Recueil Lebon
Bourses sur critères sociaux
C.A.A. Douai, 12 octobre 2023, n° 22DA01470

Examens, concours et diplômes
Baccalauréat
T.A. Melun, 21 juillet 2023, n° 2110351

Personnels
Concours
C.A.A. Paris, 15 septembre 2023, nos 21PA01158 et 22PA01441
Grade
C.E., 21 septembre 2023, n° 464800
Non-cumul d'activités
T.A. Rennes, 20 septembre 2023, n° 2100531
Primes et indemnités
C.E., 13 octobre 2023, Syndicat professionnel de l'enseignement libre catholique (SPELC) Créteil, n° 464416, et Syndicat de l'enseignement privé de l'académie de Créteil (CréSEP) et autre, n° 464605
Sanctions
C.A.A. Marseille, 11 septembre 2023, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 22MA01635
T.A. Montpellier, 22 septembre 2023, n° 2102819

Abandon de poste
C.E., 11 octobre 2023, n° 464419, aux tables du Recueil Lebon
Licenciement – Non-renouvellement d’engagement d’un agent contractuel
T.A. Limoges, 3 octobre 2023, n° 2101702
Responsabilité civile et pénale des agents publics
C.A.A. Nancy, 28 février 2023, n° 21NC00330
Concours
C.E., 13 octobre 2023, n° 461026, aux tables du Recueil Lebon
C.E., 13 octobre 2023, n° 459205, aux tables du Recueil Lebon

Suspension de fonctions
C.E., 26 octobre 2023, n° 457493 et n° 463221

Établissements d’enseignement privés et instruction dans la famille
Maîtres délégués
T.A. Rennes, 4 octobre 2023, Syndicat national de l'enseignement initial privé - C.G.T., n° 2105323
Établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général (EESPIG)
C.A.A. Paris, 13 octobre 2023, Association Institut supérieur du commerce, n° 21PA04454
Contrôle de l’instruction dans la famille
T.A. Strasbourg, 20 septembre 2023, n° 2207256

Responsabilité
Lien de causalité
C.E., 13 octobre 2023, n° 462580

Accès aux documents administratifs
Atteinte à la sécurité des systèmes d’information des administrations
T.A. Paris, 2 novembre 2023, Association Ouvre-boîte, n° 2120895
Autres motifs
C.E., 16 juin 2023, n° 457613

Enseignement scolaire

Discipline des élèves

Sanction disciplinaire – Indépendance des procédures pénales et disciplinaires – Aide à l’intrusion d’une personne étrangère à l’établissement et violences graves – Exclusion définitive – Erreur d’appréciation (absence)

T.A. Bordeaux, 5 octobre 2023, n° 2200141

Une élève de terminale avait fait l’objet d’une sanction d’exclusion définitive sans sursis, confirmée par la rectrice de l'académie de Bordeaux, pour avoir, d’une part, contribué à l'introduction d'une personne étrangère à l'établissement (son frère) dans le lycée et, d'autre part, assisté "sans prévenir ni les secours, ni les services de police, ni la direction de l'établissement" à l'agression en réunion d’un camarade aux abords de l’établissement, lors de laquelle ce dernier avait été blessé d’un coup de couteau et à laquelle son frère avait participé.

Saisi par l’élève qui demandait l’annulation de la décision par laquelle la rectrice de l’académie avait confirmé son exclusion définitive, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté son recours.

Le tribunal administratif a d’abord rappelé qu’eu égard au principe d’indépendance des procédures pénales et disciplinaires, la rectrice pouvait légalement prononcer une mesure de sanction disciplinaire sans attendre l’issue de la procédure pénale en cours.

Ayant estimé que la matérialité des faits reprochés à cette élève était établie, le juge a écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que sa participation personnelle à l’agression n’était pas établie dès lors qu’un tel motif n’avait pas été retenu dans la décision de la rectrice, laquelle s’était entièrement substituée à celle du conseil de discipline de l’établissement à la suite du recours préalable obligatoire prévu à l'article R. 511-49 du code de l'éducation.

De plus, le tribunal a estimé que "les faits [de harcèlement que la requérante] invoque [de la part du camarade poignardé] ne sont pas de nature à [l’]exonérer des manquements qu’elle a commis et qui ont fondé la décision de la rectrice de l’exclure définitivement du lycée".

Enfin, le tribunal a jugé qu’au regard des faits reprochés, lesquels traduisaient un grave manquement à l’obligation de respect des règles de fonctionnement et de vie collective des établissements rappelés par l'article L. 511-1 du code de l’éducation, la décision de la rectrice confirmant la sanction d’exclusion définitive n’était entachée d’aucune erreur d’appréciation.

Enseignement supérieur et recherche

Cycle master (Mon master…)

Plateforme nationale de recrutement en première année de master – Obligation de recourir à un téléservice – Limitation du nombre de candidatures

C.E., 31 octobre 2023, n° 471537, aux tables du Recueil Lebon

Un étudiant, titulaire d’une licence et candidat aux formations de première année de master, demandait au Conseil d’État l’annulation du décret du 20 février 2023 relatif à la procédure dématérialisée de candidature et de recrutement en première année des formations conduisant au diplôme national de master ("Mon master").

Ce litige est l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler la compétence du pouvoir règlementaire pour instituer l’obligation d’avoir recours à un téléservice destiné à l’accomplissement de démarches administratives, laquelle n’a toutefois pas pour effet de modifier les conditions légales auxquelles est subordonnée la délivrance d’une autorisation et "ne met pas en cause, par elle-même, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, non plus qu’aucune autre règle ou aucun autre principe dont l’article 34 ou d’autres dispositions de la Constiution prévoient qu’ils relèvent du domaine de la loi".

Sont également rappelées les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire peut imposer l’utilisation d’un téléservice, qui doivent permettre l’accès normal des usagers au service public et garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits "[en tenant] compte de l'objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l'outil numérique mis en œuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l'accès aux services en ligne ou dans leur maniement" (C.E., Section, 3 juin 2022, Conseil national des barreaux, n° 452798, et La Cimade et autres, n° 452806, au Recueil Lebon).

Faisant application de ces principes, le Conseil d'État a estimé que le pouvoir réglementaire était compétent pour soumettre le processus de candidature et de recrutement en première année de master à une procédure dématérialisée au moyen d’un téléservice et qu’"eu égard à son objet, au public concerné et aux caractéristiques de l’outil numérique mis en œuvre", le pouvoir réglementaire pouvait légalement édicter l’obligation de recourir à ce téléservice sans prévoir des dispositions spécifiques pour accompagner les personnes ne disposant pas d’un accès aux outils numériques ou rencontrant des difficultés dans le maniement de ce service et sans prévoir de solution de substitution.

Enfin, écartant les moyens tirés de ce que la limitation du nombre maximal de candidatures fixé par le décret attaqué relèverait du domaine de la loi et porterait atteinte au principe d’égal accès à l’instruction dans l’enseignement supérieur et d’égal accès à la formation professionnelle, le Conseil d’État a jugé que le pouvoir réglementaire avait pu légalement habiliter le ministre chargé de l’enseignement supérieur à fixer ce nombre, une telle limitation n’étant pas, par elle-même, de nature à porter atteinte à ce principe, "lequel n’implique pas que les candidats à l’inscription en première année de master soient autorisés à déposer un nombre illimité de candidatures".

N.B. : Dans ce même litige, le Conseil d’État avait jugé le 7 juin 2023 qu’il n’y avait pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions des deuxième et sixième alinéas de l’article L. 612-6 du code de l’éducation (cf. LIJ n° 227, novembre 2023).

Bourses sur critères sociaux

Refus de bourse sur critères sociaux – Enseignement supérieur agricole – Étudiants inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur d'un État membre du Conseil de l'Europe

C.A.A. Douai, 12 octobre 2023, n° 22DA01470

Un étudiant inscrit en première année d’études vétérinaires dans une université roumaine avait vu sa demande de bourse sur critères sociaux refusée par la rectrice de l’académie de Lille au motif que les formations d’études vétérinaires à l’étranger n’y ouvraient pas droit. L’intéressé avait saisi le tribunal administratif de Lille qui avait rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de la rectrice ainsi que des décisions implicites de rejet de ses recours hiérarchiques.

La cour administrative d’appel de Douai a confirmé le jugement du tribunal administratif de Lille.

Elle a tout d'abord rappelé que la circulaire du 25 juin 2018 de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation qui, sur le fondement de l’article D. 821-1 du code de l’éducation, fixe les modalités d'attribution des bourses d'enseignement supérieur sur critères sociaux, des aides au mérite et des aides à la mobilité internationale pour l’année concernée précise que, pour bénéficier d’une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux, "l'étudiant doit être inscrit dans une formation relevant de la compétence du ministre chargé de l'enseignement supérieur conduisant à un diplôme national de l'enseignement supérieur ou habilitée à recevoir des boursiers".

Elle a ensuite considéré que si la circulaire (cf. annexe 1, 2.3) prévoit que : "Les étudiants inscrits dans certains établissements d'enseignement supérieur d'un État membre du Conseil de l'Europe peuvent prétendre à une bourse d'enseignement supérieur sur critères sociaux", c’est à la condition que les étudiants suivent des études supérieures mentionnées par la circulaire, ce qui n’était pas le cas de la formation conduisant au diplôme d’État de docteur vétérinaire.

N.B. : L’ouverture du droit à une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux dans les pays membres du Conseil de l’Europe est fondée sur les textes internes à l’Union européenne – à savoir le règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union et la directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 – et sur l’accord européen du 12 décembre 1969 sur le maintien du paiement des bourses aux étudiants poursuivant leurs études à l’étranger.

Examens, concours et diplômes

Baccalauréat

Baccalauréat général et technologique – Mesures d’adaptation dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 – Harmonisation

T.A. Melun, 21 juillet 2023, n° 2110351

Saisi d’un recours par lequel un élève demandait l’annulation de la délibération du jury du baccalauréat général à l’occasion de la session 2021, en contestant en particulier l’harmonisation des notes figurant sur son livret scolaire, le tribunal administratif de Melun a été amené à se prononcer sur la mise en œuvre des adaptations prévues par le décret du 25 février 2021 relatif à l'organisation de l'examen du baccalauréat général et technologique de la session 2021 pour l'année scolaire 2020-2021, notamment en ce qui concerne la prise en compte des moyennes annuelles retenues au titre des évaluations communes et des épreuves terminales des enseignements de spécialité.

Le tribunal administratif a notamment écarté le moyen tiré d’une rupture de l’anonymat des candidats qui résulterait de la connaissance par le jury du nom de l'établissement d'origine de l’élève, contrairement à ce que prévoit l'article D. 334-9 du code de l'éducation. Il a en effet relevé que les membres du jury avaient été destinataires d'un code établissement anonymisé et que les notes issues des moyennes annuelles des livrets scolaires des candidats d’un établissement étaient disponibles, pour chaque discipline, sur un service d'informations numériques accessible à l'aide de ce code.

S’agissant de l'harmonisation des notes du contrôle continu opérée par le jury, le tribunal a rappelé que celle-ci, en application de l'article L. 331-1 du code de l'éducation et de l'article 6 du décret précité du 25 février 2021, est destinée à garantir l'égalité dans l'évaluation des candidats.

À cet égard, il a précisé qu’en vertu de l’article 6 du décret du 25 février 2021, il appartient au jury de "s'assurer qu'il n'existe pas de discordance manifeste entre les notes issues des moyennes annuelles des livrets scolaires retenues au titre des évaluations communes de la classe terminale et des épreuves terminales des enseignements de spécialité. Il peut procéder à une harmonisation des notes issues des moyennes annuelles des livrets scolaires retenues au titre des évaluations communes de la classe terminale et des épreuves terminales des enseignements de spécialité en s'appuyant, le cas échéant, sur les moyennes annuelles du livret scolaire des élèves de terminale des années scolaires antérieures dans les enseignements comparables et sur les notes obtenues par les candidats des sessions [antérieures] aux épreuves terminales de ces mêmes enseignements."

Le tribunal a par ailleurs souligné que, contrairement à ce que soutenait le requérant, l'article 6 du décret du 25 février 2021 précité n'avait pas pour objet ni pour effet d'interdire de procéder à une harmonisation des notes à la baisse. La note de service du 9 juin 2021 relative aux modalités d'organisation de l'examen du baccalauréat général et technologique de la session 2021 pouvait donc préciser, sans édicter de règle nouvelle, que le jury peut décider de modifier, à la hausse ou à la baisse, la note prise en compte à partir de la moyenne annuelle du candidat.

Enfin, après avoir rappelé que, selon une jurisprudence constante, il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir de se prononcer sur l'appréciation portée par un jury d'examen sur les capacités et la valeur des prestations des candidats, ni sur l'appréciation de l'harmonisation entre les candidats, qui relèvent de l'appréciation souveraine du jury, il a estimé qu’en l’espèce, le jury n’avait pas méconnu l’article 6 du décret du 25 février 2021 précité.

L’harmonisation mise en œuvre, qui consistait en une baisse de trois points de la note issue des moyennes annuelles en mathématiques de l'ensemble des candidats au baccalauréat issus du lycée d’inscription du requérant, correspondait en effet à l’écart observé entre la moyenne des moyennes annuelles renseignées sur les livrets scolaires des élèves de terminale générale du lycée au titre de l'enseignement de spécialité de mathématiques pour l'année scolaire 2020-2021 et les notes moyennes obtenues aux épreuves terminales des sessions 2018 et 2019, qui s’élevait à 3,9 points.

Le tribunal a relevé que cette harmonisation avait néanmoins eu pour effet de porter la moyenne des notes de mathématiques des candidats du lycée du requérant à un niveau supérieur à la moyenne des deux sessions précédentes. Il a par conséquent écarté les moyens tirés de ce que la délibération serait entachée d'une erreur matérielle ou d'une erreur de droit.

Personnels

Concours

Refus d’admission à concourir – Probité et mœurs – Sanction disciplinaire de révocation – Incapacité – Relèvement

C.A.A. Paris, 15 septembre 2023, nos 21PA01158 et 22PA01441

Un ancien enseignant, révoqué en 2003 pour des faits contraires à la probité et aux mœurs, s’était inscrit à la session 2020 du concours externe de l’agrégation d'anglais. Son admission à concourir avait été refusée sur le fondement du II de l’article L. 911-5 du code de l’éducation, qui édicte une incapacité d’exercer dans un établissement d’enseignement scolaire à l’encontre de "toute personne qui, ayant exercé dans un établissement d'enseignement ou de formation accueillant un public d'âge scolaire, a été révoquée ou licenciée en application d'une sanction disciplinaire prononcée en raison de faits contraires à la probité et aux mœurs". Par un jugement du 3 mars 2021 dont la LIJ n° 215 de mai 2021 a rendu compte, le tribunal administratif de Paris avait rejeté sa requête tendant à l’annulation de ce refus.

Devant la cour administrative d’appel, le requérant soutenait pour la première fois qu’il remplissait les conditions prévues par l’article L. 911-5-1 du code de l’éducation pour être relevé de son incapacité. Ces dispositions prévoient en effet qu’une personne qui souhaite être relevée des déchéances ou incapacités résultant de sanctions disciplinaires peut former une demande en ce sens auprès du ministre chargé de l’éducation.

La cour a écarté ce moyen après avoir considéré que "le relèvement des déchéances ou incapacités résultant des décisions disciplinaires n’est pas de droit mais résulte d’une décision du ministre de l’éducation nationale statuant sur une demande de l’enseignant". Après avoir écarté les autres moyens, la cour a rejeté l’appel.

Grade

Tableau d'avancement de grade – Inscription – Ordre alphabétique – Ordre de mérite

C.E., 21 septembre 2023, n° 464800

À l'appui de ses conclusions en annulation d'un décret nommant vingt-sept collègues au grade de conservateur général du patrimoine, le requérant, conservateur supérieur du patrimoine, soutenait que le tableau d'avancement fondant ces nominations était illégal.

Le Conseil d'État a tout d'abord considéré que "la circonstance que [le requérant] n'avait pas attaqué le tableau d'avancement ne lui interdisait pas de contester le décret qu'il attaque portant nomination dans le grade de conservateur général du patrimoine au motif [qu'il] a été établi par ordre alphabétique et non par ordre de mérite. Dès lors que l'établissement du tableau (…) et les mesures individuelles de promotion du décret attaqué constituent une opération complexe, le caractère définitif du tableau d'avancement ne peut, en tout état de cause, faire obstacle à la recevabilité d'un tel moyen".

Il a ensuite rappelé que l'avancement de grade avait notamment lieu au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement établi par l'appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents, et que les promotions devaient avoir lieu dans l'ordre du tableau en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984, désormais codifié aux articles L. 522-18 à L. 522-21 du code général de la fonction publique, ainsi que de l'article 13 du décret du 28 juillet 2010 qui prévoit que : "Les fonctionnaires sont inscrits au tableau par ordre de mérite. Les candidats dont le mérite est jugé égal sont départagés par l'ancienneté dans le grade."

Or, aucune disposition du statut particulier du corps des conservateurs du patrimoine ne déroge à cette règle générale de présentation des inscrits au tableau.

Le tableau d'avancement contesté présentant la liste des inscrits par ordre alphabétique et non par ordre de mérite, en méconnaissance de ces dispositions, le Conseil d'État a jugé que le requérant était fondé à demander, par voie de conséquence de l'illégalité entachant ce tableau, l'annulation du décret prononçant les nominations individuelles dans le grade supérieur.

Non-cumul d'activités

Difficultés dans l’exercice de l’activité principale – Refus d'autorisation

T.A. Rennes, 20 septembre 2023, n° 2100531

Le requérant, professeur de l'enseignement secondaire, a demandé en vain au tribunal d'annuler le refus du recteur de l'académie de Rennes de l'autoriser à cumuler son activité principale de professeur de l'enseignement secondaire avec une activité d'intervenant à l'université.

De manière inédite, le tribunal administratif de Rennes a admis qu’un tel refus pouvait être fondé sur les difficultés rencontrées par le fonctionnaire dans l’exercice de son activité principale.

Le tribunal administratif a tout d'abord rappelé qu'il résulte de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983, désormais codifié aux articles L. 122-20 à L. 122-22 du code général de la fonction publique, et des articles 11 à 13 du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique que l'agent doit, préalablement à l'exercice d'une activité accessoire, solliciter une autorisation de l'autorité dont il relève et que cette dernière peut s'y opposer lorsque cette activité n'est pas compatible avec les fonctions qui lui sont confiées ou affecte leur exercice.

En l’espèce, il ressortait des pièces du dossier que des rapports établis à la suite de plusieurs inspections faisaient état des grandes difficultés professionnelles rencontrées par le professeur dans son activité principale dans l'enseignement secondaire, tant dans la gestion de ses classes que dans les démarches didactiques et pédagogiques de son enseignement, et qu'aucun élément ne permettait de remettre en cause les "appréciations graves, circonstanciées et concordantes" des inspecteurs.

Le tribunal administratif a ainsi jugé que : "En estimant, au vu de ces éléments, que les difficultés professionnelles de M. (…) imposaient qu'il se concentre sur son activité professionnelle principale de professeur de l'enseignement secondaire et faisaient obstacle à ce qu'il bénéficie de l'autorisation de cumul d'activités sollicitée, le recteur (…) n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation."

Primes et indemnités

Prime de fidélisation territoriale dans la fonction publique de l'État – Maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré

C.E., 13 octobre 2023, Syndicat professionnel de l'enseignement libre catholique (SPELC) Créteil, n° 464416, et Syndicat de l'enseignement privé de l'académie de Créteil (CréSEP) et autre, n° 464605

Dans le cadre du plan d’action intitulé "L’État plus fort en Seine-Saint-Denis", le décret du 24 octobre 2020 a institué une prime de fidélisation de 10 000 euros dont peuvent bénéficier les agents publics de la fonction publique de l’État après cinq années continues de service dans certains services et emplois relevant du ressort du département de la Seine-Saint-Denis qui connaissent des difficultés en matière de fidélisation des ressources humaines. S’agissant du service public de l’éducation, un arrêté du 24 octobre 2020 a fixé la liste de ces services et emplois, en y incluant, pour l’enseignement public, les établissements d’enseignement des premier et second degrés et, pour l’enseignement privé sous contrat, les seuls établissements du premier degré.

Plusieurs organisations syndicales ont saisi le Conseil d’État de recours contre le refus d’abroger l’arrêté du 24 octobre 2020 en tant qu’il ne comprenait pas les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré.

Pour rejeter les requêtes, le Conseil d’État a écarté, d'une part, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de parité résultant de l'article L. 914-1 du code de l'éducation, lequel prévoit une application de plein droit aux maîtres de l’enseignement privé des règles applicables aux titulaires de l’enseignement public (cf. C.E., 15 février 2013, Fédération nationale des syndicats professionnels de l'enseignement libre catholique, n° 351124, aux tables du Recueil Lebon) sans pour autant imposer la suppression de toute différence de traitement (C.E., 14 octobre 2022, Fédération nationale des syndicats professionnels de l'enseignement libre catholique, n° 451535, et Fédération de la formation et de l'enseignement privés C.F.D.T., n° 451592).

En l’espèce, le Conseil d’État a jugé que compte tenu de l'objet du décret, à savoir "remédier aux difficultés en matière de fidélisation des ressources humaines", et du fait que la prime de fidélisation n’était pas attachée au statut des agents mais était uniquement "accordée en fonction du service ou de l’emploi d’affectation", celle-ci "ne rel[evait] ni d'une règle générale déterminant les conditions de service des maîtres titulaires de l'enseignement public, ni d'une mesure sociale applicable à ces derniers [au sens de l’article L. 914-1 du code de l’éducation] (…)" (point 7).

Le Conseil d’État a également écarté, d'autre part, les moyens tirés de l’erreur manifeste d’appréciation, de la méconnaissance du principe d’égalité et de la méconnaissance du principe de non-discrimination énoncé à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

En l’espèce, le Conseil d'État a d’abord estimé conforme à l’objet et à la logique du dispositif l’approche retenue pour caractériser l’existence des difficultés de fidélisation, à savoir une comparaison de la situation des établissements du département de Seine-Saint-Denis avec les établissements aux caractéristiques (degré, caractère public ou privé) similaires du territoire national au regard de trois critères que sont l'ancienneté moyenne des enseignants, le taux de primo-affectés et le taux de contractuels.

Puis, le Conseil d’État a relevé que si cette approche mettait en évidence que les établissements d’enseignement publics du second degré situés en Seine-Saint-Denis connaissaient des difficultés de fidélisation en regard de la situation observée dans des établissements du même type sur le reste du territoire national, tel n’était pas le cas des établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré situés en Seine-Saint-Denis, les chiffres ne faisant pas ressortir "une situation significativement plus défavorable que celle observée dans les autres départements" (point 9).

Par conséquent, le Conseil d’État a jugé que "la différence de traitement, s'agissant du bénéfice de cette prime, entre les agents affectés dans [les établissements d’enseignement public du second degré et les établissements d’enseignement privés sous contrat du second degré], trouve sa justification dans une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et n'est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui la justifient" (point 11).

Sanctions

Révocation – Refus de cumul d’activités – Absence non justifiée du service – Falsification de certificats médicaux

C.A.A. Marseille, 11 septembre 2023, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 22MA01635

Un professeur de lycée professionnel avait créé une société à responsabilité limitée dont il assurait la gérance. Ayant omis de déclarer cette création d’entreprise à son administration et de préciser qu’il en était le gérant, il avait fait l’objet, en juin 2016, d'une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de six mois. Ayant persisté à gérer cette société sans être autorisé à cumuler cette activité commerciale avec ses fonctions publiques, il avait été sanctionné, en février 2018, par une rétrogradation d'échelon.

En dépit de ces deux sanctions et malgré l'interdiction de ce cumul dont il avait connaissance, le professeur avait repris la gérance de la société après l'avoir confiée temporairement à son frère. En outre, il avait produit quatre certificats médicaux falsifiés pour justifier des jours d’absence. Une nouvelle procédure disciplinaire avait donc été engagée, conduisant au prononcé d'une sanction de révocation. Cette sanction avait été annulée par le tribunal administratif de Marseille au motif qu'elle était disproportionnée.

Statuant sur un appel formé par le ministre, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté la requête de ce professeur.

Après avoir rappelé l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983, désormais codifié aux articles L. 123-1 à L. 123-10 du code général de la fonction publique, la cour a jugé que : "Tenant compte de la circonstance que l'intéressé a produit de faux certificats médicaux à quatre reprises et devant la réitération des manquements graves ainsi reprochés sur une durée de trois années, la sanction de révocation infligée à M. (…) n'est pas disproportionnée aux faits reprochés sans que n'aient d'incidence les circonstances que la société en cause n'ait pas généré de bénéfices ou qu'elle ait été radiée en décembre 2020."

Nouvelle sanction – Saisine du conseil de discipline – Non-rétroactivité de la sanction – Délai de prescription

T.A. Montpellier, 22 septembre 2023, n° 2102819

Un magasinier des bibliothèques avait fait l’objet, en 2016, par un arrêté de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, d’une sanction de révocation pour des faits constitutifs de manquements graves et répétés au devoir d'obéissance hiérarchique ainsi qu’au devoir de respect, de dignité et de courtoisie envers ses supérieurs hiérarchiques et ses collègues.

À la suite de l’annulation de cette sanction, en 2020, pour disproportion, par la cour administrative d’appel de Marseille, la ministre avait pris en 2021 une nouvelle sanction en prononçant à l’encontre de cet agent une exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux ans, l’annulation de la première sanction ne faisant pas obstacle au prononcé d’une nouvelle sanction moins sévère (cf. C.E., 27 juillet 2015, n° 370414, aux tables du Recueil Lebon, point 6).

L’intéressé a contesté en vain cette nouvelle sanction devant le tribunal administratif de Montpellier dont le jugement est l’occasion d’un rappel de quelques règles de procédure disciplinaire.

Relevant que la cour administrative d'appel avait annulé la sanction "sur le seul motif de [sa] disproportion", le tribunal a rappelé que l’annulation ainsi prononcée n’impliquait pas une nouvelle saisine du conseil de discipline dès lors que la cour n’avait constaté aucune irrégularité dans la procédure suivie par l’autorité administrative et qu’aucun grief supplémentaire n’avait été retenu à l’encontre de l'agent (C.E., 21 juillet 1970, n° 77400, au Recueil Lebon ; C.E., 24 février 2006, Agence nationale pour l'emploi, n° 284547 ; C.E., 15 décembre 2010, La Poste, n° 337891, aux tables du Recueil Lebon).

Le tribunal a par ailleurs rappelé que "si l'annulation d'une décision illégale d'éviction d'un agent public oblige l'autorité compétente à réintégrer l'intéressé à la date de son éviction et à reconstituer rétroactivement sa carrière, cette autorité, lorsqu'elle prend, à la suite d'une nouvelle procédure, une nouvelle mesure d'éviction, ne peut légalement donner à sa décision un effet rétroactif" et que cette nouvelle sanction ne valait donc que pour l’avenir (cf. C.E., 27 octobre 2010, Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, n° 316578, aux tables du Recueil Lebon ; C.E., 22 mai 2012, Service départemental d'incendie et de secours de la Nièvre, n° 329025, aux tables du Recueil Lebon ; C.E., 7 mars 2022, n° 438147, point 13).

Enfin, le tribunal a écarté une méconnaissance du délai de prescription de trois ans imparti à l’administration pour engager des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un agent "à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction", ce délai étant interrompu "en cas de poursuites pénales exercées à l'encontre du fonctionnaire" (article L. 532-2 du code général de la fonction publique).

Il a relevé que si les faits ayant fondé l'ouverture de la première procédure disciplinaire avaient été commis en 2015 et 2016 et qu'aucune poursuite pénale n'avait été engagée à l'encontre de l’agent, le prononcé, en 2016, de la sanction initiale de révocation avait interrompu le délai de prescription de l'action disciplinaire. Ce dernier n'avait, par conséquent, recommencé à courir qu’à compter de la notification, en 2020, de l'arrêt de la cour administrative d'appel ayant annulé cette sanction, si bien qu'en 2021, lorsque la nouvelle sanction avait été prise, le délai n'était pas expiré (cf. C.E., 11 mars 2011, La Banque de France, n° 316412, aux tables du Recueil Lebon ; C.E., 1er juillet 2022, n° 465257, point 4).

N.B. : Le présent jugement commenté du tribunal administratif de Montpellier fait l’objet d’un appel devant la cour administrative d’appel de Toulouse.

Abandon de poste

Radiation des cadres – Mise en demeure – Absence d’affectation préalable

C.E., 11 octobre 2023, n° 464419, aux tables du Recueil Lebon

Son poste ayant été supprimé en mars 2019 dans le cadre d’une réorganisation du service, le requérant, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, n'avait, depuis cette date, reçu aucune nouvelle affectation, malgré des échanges avec sa hiérarchie sur la suite de son parcours professionnel. Estimant qu'il se trouvait en situation d'absence non justifiée depuis le mois de janvier 2020, son administration l'avait mis en demeure, à deux reprises et en vain, de reprendre son service sous peine d'être radié des cadres.

Le requérant a demandé au Conseil d'État d'annuler le décret du 6 mai 2022 du président de la République le radiant des cadres pour abandon de poste qui avait été pris en conséquence.

Le Conseil d’État a tout d'abord rappelé les conditions de régularité d'une procédure de radiation des cadres pour abandon de poste fixées par sa jurisprudence antérieure selon laquelle : "Une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé et l'informant du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable." (C.E., Section, 11 décembre 1998, nos 147511 et 147512, au Recueil Lebon.) Cette mise en demeure reste régulière même en l'absence de précisions sur les caractéristiques de l'emploi sur lequel est affecté l'agent (C.E., 19 novembre 2007, Commune de Neuhaeusel, n° 296115 et n° 306419, aux tables du Recueil Lebon).

Puis, après avoir rappelé que "sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade" (cf. C.E., Section, 6 novembre 2002, n° 227147, au Recueil Lebon), il a ajouté que : "Lorsqu'un agent n'a pas reçu une affectation correspondant à son grade, il ne peut être regardé comme ayant, faute d'avoir rejoint son poste ou repris son service, rompu de son fait le lien avec le service et ne peut, dès lors, faire l'objet d'une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste."

En l’espèce, bien que le poste du requérant ait été supprimé dans le cadre d’une réorganisation de la direction, cet agent n’avait, depuis, fait l’objet d’aucune nouvelle affectation, et ce alors qu’il revenait à son administration d’y procéder. En conséquence, l’intéressé ne pouvait faire l’objet d’une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste, alors même que des affectations éventuelles avaient été évoquées lors d’échanges avec sa hiérarchie.

Par suite, le Conseil d’État a annulé la mesure de radiation des cadres pour abandon de pote et a enjoint à l'administration de réintégrer le requérant dans un délai de deux mois en l'affectant sur un poste correspondant à son grade et de reconstituer sa carrière ainsi que ses droits à pension à compter de la date de son éviction illégale.

Licenciement – Non-renouvellement d’engagement d’un agent contractuel

Licenciement pour refus de modification d’un élément substantiel du contrat de travail – Compétence liée – Période de préavis

T.A. Limoges, 3 octobre 2023, n° 2101702

À la suite de l'extension aux enseignants contractuels intervenant en apprentissage de la durée annuelle de service de 810 heures prévue pour les enseignants contractuels intervenant en formation continue des adultes par un décret du 20 décembre 2019 intégrant l'apprentissage aux missions des groupements d'établissements (GRETA) en application de l'article L. 423-1 du code de l'éducation et modifiant les articles 1 et 6 du décret du 19 mars 1993 relatif aux personnels contractuels du niveau de la catégorie A exerçant en formation continue des adultes, un établissement avait proposé à une enseignante contractuelle de catégorie A recrutée à durée indéterminée sur la base d'une durée annuelle de service de 648 heures de modifier son contrat de travail afin de régulariser sa situation. S'étant abstenue de signer l'avenant à son contrat de travail, l'intéressée avait été licenciée.

L'enseignante demandait au tribunal administratif de Limoges d'annuler la mesure de licenciement.

Le tribunal administratif, après avoir considéré que le passage de 648 à 810 heures constituait une modification substantielle du contrat de travail, a confirmé que confronté au refus de l'enseignante de signer l'avenant dans le délai d'un mois prévu à l'article 45-4 du décret du 17 janvier 1986, l'employeur était en situation de compétence liée pour prononcer son licenciement (cf. C.E., Section, 31 décembre 2008, n° 283256, au Recueil Lebon). Ainsi, les moyens soulevés à l'encontre de la décision en litige tirés d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation devaient être écartés comme inopérants.

Toutefois, il résulte de l’article 46 du décret du 17 janvier 1986 que l'agent recruté pour une durée indéterminée ainsi que l'agent qui, engagé par contrat à durée déterminée, est licencié avant le terme de son contrat ont droit à un préavis qui est de deux mois pour celui qui justifie auprès de l'autorité qui le recrute d'une ancienneté de service d'au moins deux ans. Les délais de préavis prévus à l'article 46 ne s'appliquent cependant pas aux licenciements pour motif disciplinaire ou intervenant au cours ou à l'expiration d'une période d'essai.

En conséquence de ce même article, le tribunal a estimé que : "La circonstance que le préavis auquel l'agent non titulaire avait droit n'a[vait] pas été respecté par la décision de licenciement n'[était] pas de nature à entraîner l'annulation totale de cette décision, mais la rend[ait] seulement illégale en tant qu'elle pren[ait] effet avant l'expiration du délai de préavis applicable." (Cf. C.E., avis, 4 février 2022, Commune de Noisy-le-Grand, n° 457135, au Recueil Lebon, LIJ n° 220, mai 2022, pour des dispositions analogues sur le préavis dans la fonction publique territoriale.)

Le tribunal a précisé à cet effet que "la règle relative au délai de préavis par les dispositions [de l'article 46] port[ait] sur la date de prise d'effet et non pas sur le principe du licenciement. Par suite, s'agissant du moyen tenant à la méconnaissance de ce délai de préavis, la rectrice n'[était] pas fondée à invoquer son inopérance en raison de la situation de compétence liée dans laquelle elle se serait trouvée pour prononcer le licenciement de Mme (…)".

En l’espèce, la mesure de licenciement avait été prononcée par une décision du 26 août 2021, pour une prise d'effet le 1er septembre 2021. Le tribunal administratif de Limoges a donc annulé la mesure de licenciement en tant seulement qu'elle avait pris effet moins de deux mois après la date de sa notification et a enjoint à l’administration de procéder à la reconstitution de carrière de la requérante ainsi que de ses droits sociaux, y compris ses droits à pension, entre la date de son licenciement et la date où celui-ci aurait dû prendre effet.

Responsabilité civile et pénale des agents publics

Action récursoire de l’agent public – Faute personnelle détachable des fonctions

C.A.A. Nancy, 28 février 2023, n° 21NC00330

À la suite du décès par noyade, lors d’un cours de natation, d’une étudiante de l’unité de formation et de recherche "science des activités physiques et sportives" d’une université, un professeur agrégé d’éducation physique et sportive avait été condamné par le tribunal correctionnel de Reims à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement assortie de l’interdiction définitive d’exercer toute activité professionnelle en lien avec la natation après avoir été reconnu coupable d’homicide involontaire et de faux et usage de faux. Statuant sur l’action civile, ce même tribunal l’avait condamné à verser aux ayants droit de la victime la somme totale de 119 935,89 euros en réparation de leurs préjudices, et ce en méconnaissance de l’article L. 911-4 du code de l’éducation qui prévoit que les membres de l’enseignement public ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils, leur responsabilité étant substituée par celle de l’État qui conserve toutefois la faculté d’exercer à leur encontre une action récursoire en cas de faute personnelle détachable du service.

N’ayant pas interjeté appel de ce jugement devenu définitif, l’intéressé avait alors engagé, devant le juge administratif de Reims, une action récursoire contre l’université et le rectorat sur le fondement de l’article L. 134 3 du code général de la fonction publique, en vertu duquel l’administration est tenue de couvrir les agents en cas de condamnation de ceux-ci par le juge judiciaire pour des fautes de service.

Le tribunal administratif, considérant que "lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, un membre de l’enseignement a été condamné par une juridiction judiciaire, en méconnaissance des dispositions [de l’article L. 911-4 du code de l’éducation], à indemniser les victimes d’un fait dommageable commis au détriment des étudiants qui étaient placés sous sa surveillance, la juridiction administrative est seul compétente pour connaître de la demande de cet agent public tendant à ce qu’il soit garanti, au titre de la protection fonctionnelle, des condamnations civiles prononcées à son encontre par le juge judiciaire, sans qu’y fassent obstacle les dispositions de l’article L. 911-4 du code de l’éducation qui régissent les seules conditions d’exercice du recours exercé par la victime (…)" (cf. C.E., 13 juillet 2007, Ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, n° 297390, au Recueil Lebon), avait écarté l’exception d’incompétence de la juridiction administrative pour connaître du litige soulevée en défense par le recteur d’académie et rejeté le recours formé par l’intéressé contre le refus de l’administration de le garantir des condamnations civiles prononcées à son encontre au motif que les faits qu’il avait commis relevaient d’une faute personnelle détachable du service.

Confirmant ce jugement, la cour administrative d’appel de Nancy a rappelé que "lorsque, en méconnaissance des dispositions (…) de l’article L. 911-4 du code de l’éducation, un membre de l’enseignement public a été condamné par une juridiction judiciaire à indemniser les victimes d’un fait dommageable commis au détriment d’un étudiant, qui lui était confié en raison de ses fonctions, il incombe à l’État de couvrir les condamnations civiles de cet agent, sauf si une faute personnelle détachable du service est imputable à ce dernier" (cf. C.E., Assemblée, 12 avril 2002, n° 238689, au Recueil Lebon).

Précisant ensuite la notion de "faute personnelle détachable", la cour a indiqué que présentent un tel caractère "des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. En revanche, ni la qualification retenue par le juge pénal ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l'intéressé ne suffisent, par eux-mêmes, pour regarder une faute comme étant détachable des fonctions." (Cf. C.E., 30 décembre 2015, Commune de Roquebrune-sur-Argens, n° 391798, aux tables du Recueil Lebon ; C.E., 29 décembre 2021, n° 434906.)

En l’espèce, la cour a jugé que le comportement du professeur, qui avait fait pratiquer une technique d’apnée dangereuse et sans surveillance adaptée puis, à l’issue de l’exercice, étant occupé à échanger des messages sur son téléphone portable, ne s’était pas rendu compte de la disparition de l’étudiante dont le corps n’avait été découvert que dix minutes plus tard par les étudiants du cours suivant, était d’une gravité telle qu’il caractérisait une faute personnelle détachable du service.

Concours

Comité de sélection – Principe d’unicité du jury – Absence injustifiée d’un membre – Conseil académique – Obligation de motiver l’avis défavorable

C.E., 13 octobre 2023, n° 461026, aux tables du Recueil Lebon

Ce litige est tout d’abord l’occasion pour le Conseil d’État de préciser la notion d’"unicité du jury" s’agissant du comité de sélection institué en vue des concours de recrutement des enseignants-chercheurs.

En l’espèce, l'un des sept membres du comité de sélection, qui avait siégé lors de la délibération établissant la liste des candidats retenus pour une audition, était absent lors de la délibération arrêtant la liste des candidats retenus pour le poste et justifiait son absence par l’obligation de participer à un autre comité de sélection.

Le Conseil d’État a rappelé que l'absence, sans motif légitime, d'un membre du comité de sélection ayant participé à la délibération par laquelle ce comité dresse la liste des candidats qu'il souhaite entendre de la suite de la procédure par laquelle le comité de sélection procède à l'audition des candidats et arrête la liste, classée par ordre de préférence, des candidats qu'il retient, entache d'irrégularité une telle procédure (cf. C.E., Section, 5 février 1960, Premier ministre c/ Sieurs X et Y, n° 47662, au Recueil Lebon, p. 86).

Il a alors jugé qu’en l’occurrence, l’obligation de rejoindre un autre comité de sélection ne constituait pas un motif légitime (cf. C.E., 20 juillet 2022, n° 442754, point 4, LIJ n° 222, novembre 2022). Dans ses conclusions (en ligne sur ArianeWeb), le rapporteur public précise que : "La circonstance que le comité de sélection se prononce d’abord comme jury d’examen puis, dans un second temps, comme jury de concours (…), au regard du rôle qu’il remplit à chacune des deux étapes de son office, n’enlève rien au fait qu’il s’agit d’un seul et unique jury, dont la composition est arrêtée par le conseil académique, en vertu de l’article L. 952-6-1 du code de l’éducation, pour l’ensemble de la procédure (…)". (Sur la qualité du comité de sélection selon la phase de recrutement au titre de laquelle il statue, se reporter à la LIJ n° 200 de novembre 2017.)

Par conséquent, si aucun principe n’impose que, lorsqu’il se prononce sur les mérites des candidats pour choisir, ou non, de les entendre, le comité de sélection statue dans une composition identique pour tous les candidats (cf. C.E., 7 juin 2017, n° 382986, aux tables du Recueil Lebon, point 12 ; C.E., 26 janvier 2018, n° 404004, point 4), la présence des membres du comité de sélection à toutes les phases du recrutement pour lequel il a été institué est obligatoire sauf "motif légitime d’absence" (C.E., 30 juin 1978, n° 90338, au Recueil Lebon ; C.E., 27 octobre 1993, n° 120442, aux tables du Recueil Lebon).

La présente affaire est également l’occasion pour le Conseil d’État de confirmer qu’il résulte des articles L. 712-3 et L. 712-6-1 (IV) du code de l'éducation et de l’article 9-2 du décret du 6 juin 1984 que lorsque le conseil académique émet un avis défavorable sur la liste de candidats proposée par le comité de sélection, celui-ci doit être motivé, ce qu’il avait déjà jugé dans une précédente décision du 6 avril 2022 (n° 441899, point 3).

Enfin, le Conseil d’État a rappelé que le conseil académique, s'il relève l'existence d'une irrégularité de nature à entacher la délibération par laquelle le comité de sélection arrête la liste, classée par ordre de préférence, des candidats qu'il retient, le plaçant ainsi dans l'impossibilité de proposer le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence, est compétent pour interrompre une procédure de recrutement (cf. C.E., 8 décembre 2021, n° 436191, aux tables du Recueil Lebon).

Après avoir annulé pour défaut de motivation l’avis défavorable rendu par le conseil académique, le Conseil d’État a jugé que cet avis défavorable, qui équivalait à un refus de transmettre au conseil d’administration la liste ordonnée des candidats retenus établie par le comité de sélection, avait eu pour effet d’interrompre la procédure de recrutement et que, par suite, le conseil d’administration n’étant saisi d’aucune liste, il était incompétent pour rendre l’avis qu’il avait émis ultérieurement.

Recrutement d’un professeur des universités – Comité de sélection – Principe d’impartialité du jury – Cumul de liens professionnels entre un membre du jury et un candidat

C.E., 13 octobre 2023, n° 459205, aux tables du Recueil Lebon

Cette décision d’annulation d’une délibération par laquelle le conseil d’administration d’une université avait approuvé le classement des candidats proposé par le comité de sélection à un concours de recrutement pour un emploi de professeur des universités et, par voie de conséquence, la nomination du candidat retenu par décret du président de la République est l’occasion pour le Conseil d’État de préciser sa jurisprudence relative au principe d’impartialité du jury applicable aux comités de sélection.

Il a été jugé qu’"au stade de l’établissement de la liste des candidats qu’il souhaite entendre, le comité de sélection se prononce comme un jury d’examen alors qu’après audition des candidats retenus, il se prononce, comme jury de concours, par un avis motivé unique sur l’ensemble des candidats" (cf. C.E., 26 janvier 2018, n° 404004 ; C.E., 18 décembre 2017, n° 404997, aux tables du Recueil Lebon).

Cette distinction n’est pas neutre puisqu’elle fait peser sur les membres du comité de sélection, suivant que ce dernier intervient en qualité de jury d’examen ou de concours, des obligations différentes au regard du principe d’impartialité, son respect exigeant, dans le premier cas, que "lorsqu'un membre du jury a, avec l'un des candidats, des liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit s'abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat" (cf. C.E., 7 juin 2017, n° 382986, aux tables du Recueil Lebon), alors que dans le second cas, il impose que "lorsqu'un membre du jury d'un concours a, avec l'un des candidats, des liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit non seulement s'abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat, mais encore concernant l'ensemble des candidats au concours" (C.E., 17 octobre 2016, Université de Nice-Sophia Antipolis, n° 386400, aux tables du Recueil Lebon), en application du principe d’unicité et d’indivisibilité du jury, qui découle du principe d’égalité de traitement entre les candidats (C.E., 30 mars 1968, Ministre de l'éducation nationale, n° 68699, au Recueil Lebon).

Pour considérer, en l’espèce, que le principe d’impartialité avait été méconnu, le Conseil d’État, après avoir rappelé les termes de sa jurisprudence du 17 octobre 2016 (supra), a relevé que si le membre du comité de sélection s’était abstenu de prendre part aux interrogations et délibérations concernant un candidat avec lequel il entretenait des liens professionnels étroits, il avait, en revanche, pris part aux interrogations des autres candidats ainsi qu'aux délibérations les concernant, alors qu’il aurait dû s’en abstenir dès lors que le comité de sélection intervenait en qualité de jury de concours au stade de l’audition des candidats.

L’apport majeur de cette décision du Conseil d'État du 13 octobre 2023 réside dans la méthode que celui-ci a retenu pour apprécier l’intensité des liens professionnels unissant le membre du jury et le candidat en cause, et juger que ces liens étaient de nature à influer sur l’appréciation de ce membre du jury.

En l’espèce, le candidat nommé sur le poste était rattaché, au moment du dépôt de sa candidature, à un laboratoire d'informatique de l'université dont l'un des membres du comité de sélection était le directeur. Ce même membre avait encadré les travaux de sa thèse en 2010, participé au jury de son habilitation à diriger des recherches en 2020 et publié, au cours des années ayant précédé son recrutement litigieux, des travaux scientifiques en collaboration avec lui.

Le Conseil d’État a jugé qu’"aucune de ces circonstances ne suffi[sait], à elle seule, à caractériser un manque d'impartialité du membre du comité de sélection concerné à l'égard de ce candidat", ce qui est vrai de l’encadrement d’une thèse plus de dix ans avant la procédure de recrutement en litige, comme l’a estimé le collège de déontologie dans son avis du 14 décembre 2018 relatif aux principes de nature à renforcer l'impartialité des membres des comités de sélection des enseignants-chercheurs de statut universitaire, l’ancienneté des liens professionnels ou intellectuels étant en effet prise en compte pour apprécier leur incidence sur le respect du principe d’impartialité (cf. C.E., 30 novembre 2015, n° 382362 ; C.E., 30 juillet 2021, n° 430066, point 4).

C’est aussi le cas de la participation à un jury d’habilitation à diriger des recherches (cf. C.E., 13 mars 1991, n° 109792, aux tables du Recueil Lebon, s’agissant de la présidence d’un jury de thèse ; C.E., 14 juin 2019, n° 408121, s’agissant d’un rapporteur d’un dossier d’un candidat ayant siégé dans le jury d’habilitation à diriger des recherches) ou encore de publications en commun peu nombreuses (C.E., 13 octobre 2021, n° 432773, point 5) ou, comme en l’espèce, dont le nombre est certes relativement significatif, mais dont la plupart sont anciennes.

Mais le Conseil d'État a ajouté que "leur cumul faisait, dans les circonstances particulières de l'espèce, obstacle à ce que ce membre participe non seulement aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat, mais également à celles concernant les autres candidats".

Le cumul de plusieurs éléments qui, pris isolément, ne caractériseraient pas une atteinte au principe d’impartialité peut donc exiger d’un membre d’un comité de sélection qu’il se déporte et ne prenne pas part aux auditions des candidats ni aux délibération du jury du concours de recrutement.

En l’espèce, le cumul des différents éléments était d’autant plus susceptible de porter atteinte au principe d’impartialité que ne pouvaient être convoqués la nature hautement spécialisée du recrutement ni le faible nombre de spécialistes de la discipline aptes à participer au comité de sélection, qui sont également pris en considération pour apprécier l'intensité des liens faisant obstacle à la participation d’un membre du jury à un comité de sélection et qui, s’ils sont avérés, pourront justifier, le cas échéant, une plus grande indulgence du juge (cf. C.E., 12 juin 2019, n° 409394, aux tables du Recueil Lebon).

Suspension de fonctions

Enseignants-chercheurs – Suspension de fonctions – Délégation de signature – Mandat de membre d’un conseil d’administration d’université – Interdiction d’accès aux locaux de l’université

C.E., 26 octobre 2023, n° 457493 et n° 463221

Ce litige est l’occasion pour le Conseil d’État de préciser la portée de l’article L. 951-4 du code de l’éducation qui permet de suspendre un enseignant-chercheur de ses fonctions, mais aussi de rappeler celle de l'article R. 712-8 du même code permettant de lui interdire l’accès aux enceintes et locaux d'une université.

En premier lieu, et s’agissant de l’autorité compétente pour suspendre un enseignant-chercheur de ses fonctions, le Conseil d’État a souligné qu’un vice-président d’université pouvait prononcer une telle mesure à la condition que le président d’université, compétent pour suspendre un enseignant-chercheur de ses fonctions par délégation de pouvoir du ministre (cf. C.E., 1er juin 2022, n° 458362, point 2 ; C.E., 13 octobre 2021, n° 433525, point 5), lui ait expressément donné une délégation de signature à cet effet.

Or, tel n’était pas le cas en l’espèce, le Conseil d’État ayant en effet relevé que le président de l’université avait donné, par arrêté, délégation au vice-président de l’université pour signer l’ensemble des actes relatifs à la direction de l’établissement pris sur le fondement de l'article L. 712-2 du code de l’éducation ou au titre des pouvoirs délégués par le conseil d’administration, conformément à l'article L. 712-3 du même code, et non ceux "par lesquels [le président de l’université] agit au titre de la délégation de pouvoir reçue du ministre chargé de l’enseignement supérieur par l’arrêté du 10 février 2012" portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche.

En deuxième lieu, et s’agissant du périmètre des fonctions d’un enseignant-chercheur suspendues sur le fondement de cet article, le Conseil d’État a apporté une précision utile en jugeant que cette suspension n’emportait pas celle de l’exercice d’un mandat de membre du conseil d’administration de l’université et, plus largement, d’un mandat électif.

Le Conseil d’État a en effet jugé que "le président de l’université ne tenait ni de l’article L. 951-4 du code de l’éducation ni d’aucune autre disposition le pouvoir de suspendre le mandat de membre du conseil d’administration de l’université d’un enseignant-chercheur", sans qu’il soit toutefois possible d’en inférer qu’il en serait nécessairement de même d’un enseignant-chercheur assurant des fonctions exécutives de président d’université ou de chef d’établissement pouvant en cette qualité être suspendu par le ministre par l’effet des articles L. 951-4 et/ou L. 719-8 du code de l’éducation (cf. T.A. Montreuil, 23 juin 2023, n° 2101216).

En troisième lieu, et s’agissant de la durée de la suspension de fonction, le Conseil d’État a rappelé qu’il résultait de l’article L. 951-4 du code de l’éducation que "la suspension d’un membre du personnel de l’enseignement supérieur ne p[ouvait] être prononcée, sur le fondement de ces dispositions, pour un temps qui excède un an, quand bien même l’intéressé fai[sait] l’objet de poursuites disciplinaires ou de poursuites pénales" (cf. C.E., 30 décembre 2021, n° 435322, point 3).

En dernier lieu, et s’agissant d’une mesure d’interdiction d’accès aux locaux de l’université prise comme une simple conséquence nécessaire de la suspension de fonctions, le Conseil d’État a considéré que "si l’université (…) invoqu[ait] l’existence de tensions dans le contexte des élections universitaires se déroulant au sein de l’établissement, il ne ressort[ait] pas des pièces du dossier qu’il existait à la date [d’édiction de cette mesure] une situation "de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux définis à l'article R. 712-1" de nature à justifier [cette] interdiction (…) sur le fondement des dispositions (…) de l'article R. 712-8 du code de l’éducation", une telle mesure de police (cf. J.R.C.E., 26 août 2014, n° 382513, point 10) devant en effet être justifiée par un risque établi de désordre et ne pouvant être prise que si les autorités universitaires ne disposent pas des moyens de maintenir l'ordre dans l'établissement (C.E., 26 octobre 2005, n° 275512, au Recueil Lebon).

Établissements d’enseignement privés et instruction dans la famille

Maîtres délégués

Engagement – Contrat de suppléance – Durée supérieure à quinze jours

T.A. Rennes, 4 octobre 2023, Syndicat national de l'enseignement initial privé - C.G.T., n° 2105323

Un syndicat demandait l’annulation d'une note de service du 26 août 2021 du recteur de l’académie de Rennes ayant pour objet "la nomination des maîtres-auxiliaires en contrat à durée indéterminée ou en contrat à durée déterminée" dans l’enseignement privé sous contrat d’association en tant qu’elle comportait des dispositions relatives à la durée des contrats de suppléance ayant pour objet des remplacements d’enseignants pour une durée supérieure à quinze jours. La circulaire prévoyait par exemple que les contrats de suppléance ne puissent pas débuter un vendredi et ne puissent s'achever un lundi. Elle écartait également la possibilité de conclure des contrats de recrutement ayant pour objet des remplacements de quinze jours avant le début de vacances scolaires, hormis les cas de prolongation avec le même suppléant.

Le syndicat soutenait, en premier lieu, que la différence de traitement introduite par la note de service entre les maîtres délégués des établissements d’enseignement privés sous contrat d’association et les enseignants contractuels de l’enseignement public méconnaissait l'article R. 914-58 du code de l’éducation qui prévoit que : "Les maîtres délégués exerçant dans les établissements d'enseignement privés sous contrat d'association sont soumis, pour la détermination de leurs conditions d'exercice et de cessation de fonctions, aux règles applicables aux agents contractuels enseignants de l'enseignement public des premier et second degrés. (…)."

Le tribunal administratif de Rennes a écarté ce moyen, jugeant que la note de service "ne détermin[ait] pas les conditions d’exercice ou de cessation de fonctions de ces personnels au sens des dispositions de l’article R. 914-58 du code de l’éducation" dès lors qu’elle énonçait uniquement les conditions dans lesquelles devaient être déterminées la date d’effet et la durée des contrats d’engagement des maîtres délégués.

Le syndicat estimait ensuite que la note de service, dont les limites sur la durée des contrats qu’elles instauraient étaient justifiées par "une gestion optimale des moyens", était contraire à la fois à l’article R. 914-57 du code de l’éducation, selon lequel lorsqu’un maître délégué est recruté pour faire face à un besoin ne couvrant pas l’année scolaire, son engagement est conclu pour la durée du besoin à couvrir, ainsi qu’à la circulaire du 15 mars 2017 portant sur l’amélioration du dispositif de remplacement des personnels enseignants.

Le tribunal administratif a, d’une part, jugé que la note de service, en définissant les modalités de fixation de la date d’effet de la durée des contrats d’engagement des maîtres délégués pour les remplacements de plus de quinze jours, ne méconnaissait pas les dispositions de l’article R. 914-57 du code de l’éducation et que la méthode de "gestion optimale des moyens" auquel il était fait référence dans le texte permettait au contraire de répondre à l’objectif posé par cet article.

Le tribunal a, d'autre part, considéré que le syndicat ne pouvait se prévaloir de la circulaire ministérielle du 15 mars 2017 qui régit uniquement l’enseignement public et qui, au surplus, n’énonce pas le principe du remplacement immédiat des enseignants absents.

Établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général (EESPIG)

Renouvellement de la qualification d’EESPIG – Comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé et égalité entre administrés (impartialité) – Caractère non lucratif et indépendance de la gestion

C.A.A. Paris, 13 octobre 2023, Association Institut supérieur du commerce, n° 21PA04454

Une association à but non lucratif exerçant une activité d’enseignement supérieur privé avait obtenu la qualification d’"établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général" (EESPIG) par arrêté de la ministre chargée de l’enseignement supérieur du 8 juin 2016, et ce, jusqu’au 31 décembre 2018. Après avis du comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé (C.C.E.S.P.), la ministre avait décidé de ne pas renouveler sa qualification d’EESPIG au titre de la période 2019-2023, au motif que la marque de l’association était utilisée indifféremment pour les activités de formation dispensées par cette association et par la structure à but lucratif constituée sous la forme d’une société à partir du transfert d’une partie des activités de formation de l’association.

Par un jugement n° 1926896 rendu le 16 juin 2021, le tribunal administratif de Paris avait rejeté la requête formée par l’association tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 21 juin 2019.

La cour administrative d’appel de Paris a confirmé ce jugement en validant, tout d’abord, la procédure suivie devant le C.C.E.S.P. Elle a estimé que la composition du C.C.E.S.P., telle que fixée à l’article D. 732-5 du code de l’éducation et comprenant des présidents d'associations regroupant des établissements d'enseignement supérieur privés et des personnalités qualifiées, ne caractérisaient aucune méconnaissance du principe d’impartialité, et qu’il en allait de même de la seule circonstance que sept membres du C.C.E.S.P. étaient issus d'établissements ayant bénéficié de l'octroi de la qualification d'EESPIG.

La cour administrative d'appel a également rappelé que la qualification d'"EESPIG" étant octroyée sur demande des établissements, la procédure devant le C.C.E.S.P. n’était pas soumise à l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration imposant le respect du contradictoire.

Enfin, la cour a relevé que le motif tiré de ce que l’association ne justifiait pas de son caractère non lucratif et de l'indépendance de sa gestion n'était pas entaché d'erreur de fait et de nature à fonder légalement la décision de refus de renouvellement de la qualification d’EESPIG en litige dès lors que la société constituée, à but lucratif, "profit[ait] de l’image de l’association à travers la marque [de cette dernière] et sa communication sur son site internet, créant une confusion, auprès du public, entre les deux structures, dont une seulement a[vait] le qualificatif d'intérêt général".

Contrôle de l’instruction dans la famille

Régime transitoire institué par la loi du 24 août 2021 – Refus d’autorisation – Déroulement du contrôle

T.A. Strasbourg, 20 septembre 2023, n° 2207256

Les parents d’un enfant jusqu’alors instruit à domicile demandaient l’annulation de la décision par laquelle la commission académique avait refusé de leur délivrer l’autorisation d’instruction en famille qu’ils sollicitaient pour leur fils au titre des années scolaires 2022-2023 et 2023-2024 sur le fondement du IV de l’article 49 de la loi du 24 août 2021, aux termes duquel : "Par dérogation, l'autorisation prévue à l'article L. 131-5 du code de l'éducation est accordée de plein droit, pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, aux enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l'année scolaire 2021-2022 et pour lesquels les résultats du contrôle organisé en application du troisième alinéa de l'article L. 131-10 du même code ont été jugés suffisants."

Cette décision de refus était motivée par le fait que les conditions prévues par le IV de l’article 49 précité n’étaient pas remplies dès lors que les parents avaient, à l’occasion d’un premier contrôle prévu à l’article L. 131-10 du code de l’éducation, organisé le 1er mars 2022, refusé de soumettre leur enfant à des exercices ou questions permettant de vérifier sa maîtrise des compétences du socle commun et qu’ils ne s’étaient pas présentés, sans motif légitime, à un second contrôle auxquels ils avaient été convoqués le 24 mai 2022 par le directeur académique des services de l'éducation nationale.

Les requérants contestaient principalement les conditions dans lesquelles ces contrôles de l’instruction dans la famille avaient été organisés.

Après avoir constaté que les requérants avaient refusé lors du premier contrôle que leur enfant soit soumis aux exercices et questions prévues par l’inspecteur de l’éducation nationale au motif que "ces exercices n’étaient pas obligatoires et présentaient un caractère standardisé ne répondant pas à leur méthodologie et leur programme", le tribunal administratif de Strasbourg a estimé qu’"il ressort des termes mêmes des dispositions précitées que le contrôle prévu par l’article L. 131-10 doit porter sur l’acquisition progressive par l’enfant instruit dans la famille de chacun des domaines du socle commun au regard des objectifs attendus à la fin du cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire et que, même s’il doit tenir compte, notamment, des choix éducatifs effectués par les personnes responsables de l'enfant et des méthodes pédagogiques qu’ils ont retenues, ce contrôle doit nécessairement, ainsi que le prévoit expressément l’article R. 131-14 [du code l'éducation], comporter des exercices permettant de vérifier cette acquisition progressive".

Il en a déduit en l’espèce que : "Il ne ressort ainsi pas des pièces du dossier que les modalités du contrôle du 1er mars 2022 ne permettaient pas de s'assurer de l'acquisition progressive par l'enfant de chacun des domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l'article L. 122-1-1 au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d'enseignement de la scolarité obligatoire, ni qu’elles ne tenaient pas compte des choix éducatifs effectués par les requérants et des méthodes pédagogiques qu’ils ont retenues. Par conséquent, l’échec de ce premier contrôle est uniquement imputable aux requérants, lesquels, par suite, ne sont pas fondés à soutenir que le second contrôle n’était pas justifié."

Le tribunal administratif a donc jugé que les requérants n'étaient pas fondés à soutenir que la convocation au second contrôle était illégale et qu’ils ne pouvaient légitimement s’y soustraire. Il a par conséquent rejeté la requête.

Responsabilité

Lien de causalité

Fonctionnaires et agents publics – Discipline – Exclusion temporaire de fonctions – Sanction illégale – Conditions d’indemnisation du préjudice

C.E., 13 octobre 2023, n° 462580

Un enseignant avait fait l’objet d’une sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de six mois. Le juge des référés avait suspendu l’exécution de cette sanction, de sorte que l'agent avait été réintégré dans ses fonctions au bout de trois mois, avant que le juge du fond n’annule la sanction en raison de son caractère disproportionné. L’intéressé avait, par la suite, introduit une requête tendant à la condamnation de l’État à l’indemniser du fait de l’illégalité de la sanction prononcée à son encontre.

Le Conseil d’État a considéré que la cour n'avait pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant qu'eu égard à la gravité des faits, dont la matérialité était établie, l’autorité administrative aurait pu prendre légalement une sanction d’exclusion temporaire de fonctions de trois mois équivalente à la période effective d’éviction de l’agent en cause. Il a donc rejeté le pourvoi dès lors que les préjudices allégués ne présentaient pas de lien de causalité direct avec l’illégalité de la sanction précédemment annulée.

Ce faisant, le Conseil d’État s’est inscrit dans la ligne de sa jurisprudence du 19 juin 1981 (C.E., Section, 19 juin 1981, n° 20619, au Recueil Lebon) selon laquelle si toute illégalité est fautive, la victime ne peut être indemnisée que des préjudices directs et certains résultants de cette illégalité. L’idée qui inspire cette précédente jurisprudence, à savoir mesurer de la façon la plus adéquate le lien de causalité entre l’illégalité et le préjudice subi, a été étendue aux décisions d’éviction des agents publics (cf. C.E., 5 octobre 2016, n° 380783, aux tables du Recueil Lebon).

S'agissant plus particulièrement des sanctions disciplinaires illégales car disproportionnées, le Conseil d'État a jugé que : "Pour apprécier à ce titre l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices subis par l'agent et l'illégalité commise par l'administration, le juge peut rechercher si, compte tenu des fautes commises par l'agent et de la nature de l'illégalité entachant la sanction, la même sanction, ou une sanction emportant les mêmes effets, aurait pu être légalement prise par l'administration. Le juge n'est, en revanche, jamais tenu, pour apprécier l'existence ou l'étendue des préjudices qui présentent un lien direct de causalité avec l'illégalité de la sanction, de rechercher la sanction qui aurait pu être légalement prise par l'administration." (Cf. C.E., 28 mars 2018, n° 398851, aux tables du Recueil Lebon, LIJ n° 203, juillet 2018.)

Accès aux documents administratifs

Atteinte à la sécurité des systèmes d’information des administrations

Communication de documents administratifs – Code source – Sécurité des systèmes d’information

T.A. Paris, 2 novembre 2023, Association Ouvre-boîte, n° 2120895

L’association Ouvre-boîte demandait à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation la communication du code source complet de l’application Parcoursup, chargée de recueillir et gérer les vœux d'affectation des futurs étudiants de l'enseignement supérieur.

Saisie par l’association d’une demande d’avis, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) avait émis un avis favorable à la communication du code source, sous réserve de l’occultation des seuls éléments couverts par le secret des systèmes d’information, en application du d) du 2° de l’article L. 311 5 du code des relations entre le public et l'administration (C.R.P.A.).

La CADA avait d’abord rappelé que le droit d’accès aux documents administratifs devait concilier l’exigence de transparence de l’action administrative, découlant des dispositions de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et la protection des secrets protégés par la loi. Interprétant strictement ces dispositions, la CADA avait considéré que le secret des systèmes d’information ne pouvait couvrir que les fragments du code décrivant techniquement les éléments déployés pour la sécurité de l’infrastructure utilisée, tels que ceux permettant de sécuriser la transmission des données avec les serveurs de l’administration. Elle avait cependant précisé que cette réserve était, par nature, temporaire et qu’il appartenait à l’administration de se mettre en situation de respecter progressivement l’article L. 311-1 du C.R.P.A. qui prévoit que les administrations sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande.

Le ministère ayant fait savoir devant le tribunal administratif qu’il ne partageait pas la position de la CADA, dès lors que l’exception prévue au d) du 2° de l’article L. 311-5 du C.R.P.A. n’a pas un caractère temporaire et, qu’en l’espèce, le code source comportait de nombreuses vulnérabilités, dont la résolution impliquait la réalisation de travaux dont la durée prévisible s’élevait à plusieurs années, l’association requérante a saisi le tribunal administratif de Paris.

Statuant sur le recours formé par l’association, le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête, considérant que : "Il ressort des pièces du dossier, en particulier de l’extrait des recommandations du prestataire externe en cybersécurité du ministère chargé de l’enseignement supérieur, en date du 7 septembre 2022, que la publication en ligne du code source complet de l’application Parcoursup en laisserait apparaître les vulnérabilités et serait, ainsi, susceptible de porter atteinte à la sécurité des systèmes d’information de l’administration."

Autres motifs

Communication de documents administratifs – Délais de recours – Agents publics

C.E., 16 juin 2023, n° 457613

À la suite d’une décision implicite de refus de communication d’un document administratif, Mme X avait saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui avait déclaré sa demande irrecevable dès lors qu’elle n’était pas intervenue dans les délais prévus à l’article R. 343-1 du code des relations entre le public et l’administration (C.R.P.A.), à savoir deux mois après l'intervention du refus tacite.

Statuant sur le pourvoi formé par l'intéressée, le Conseil d’État a fait application de sa jurisprudence du 12 juin 2020 (n° 428760) selon laquelle, en application de l’article L. 112-6 du C.R.P.A., le défaut de délivrance d'un accusé de réception mentionnant les voies et délais de recours n'emporte pas l'inopposabilité des délais de recours à l'encontre des agents publics en matière de communication de documents administratifs en cas de décision implicite de rejet.

Cette interprétation stricte de l’article L. 112-2 du C.R.P.A., qui repose sur l’idée qu'un agent public est supposé connaître les procédures qui lui sont applicables compte tenu de la relation particulière qui le lie à son administration, semble exclure, dans une telle hypothèse, les agents publics du bénéfice de la jurisprudence Czabaj (C.E., Assemblée, 13 juillet 2016, n° 387763, au Recueil Lebon) qui permet aux demandeurs de disposer d’un délai de recours raisonnable d’un an, en lieu et place du délai de deux mois, lorsqu’une décision administrative individuelle est notifiée sans indication des voies et délais de recours.

Consultations

Commande publique, constructions et domanialité

Exécution des marchés

Contrat d’assurance – Exclusion de garantie – Occupation des locaux – Émeutes, attroupements et rassemblements

Note DAJ B1 n° 2023-011338 du 22 octobre 2023

L’avis de la direction des affaires juridiques a été sollicité concernant le désaccord d’une université avec son assureur, qui a refusé de prendre en charge l’indemnisation d’un agent de sécurité victime d’une voie de fait au titre de la protection juridique des agents de l’université et les dégâts informatiques intervenus dans le cadre de l’occupation de bâtiments universitaires, à raison de l’exclusion de garantie frappant les dommages occasionnés par des troubles intérieurs.

1. Concernant la protection juridique de l’agent de sécurité victime d’une violente agression, il résulte du contrat d’assurance en cause que seuls les agents "de la collectivité souscriptrice", c’est-à-dire de l’université, bénéficient de la garantie de protection juridique. Or, l’agent de sécurité concerné est un stagiaire de baccalauréat professionnel auprès d’une société prestataire de service pour l’université. Cet agent ne peut donc être couvert par les garanties offertes par le contrat d’assurance, qui n’a été conclu qu’au bénéfice des agents de la collectivité.

2. S’agissant de la prise en charge des dégâts informatiques, le contrat exclut du champ d’application de la garantie d’assurance les dommages de toute nature "occasionnés par les attroupements et rassemblements ainsi que les émeutes et mouvements populaires". Sous l’intitulé "Émeutes – Mouvement populaires – Actes de vandalisme", il est indiqué que : "Les garanties s’exercent selon les dispositions législatives et réglementaires."

2.1. Aux termes de l’article L. 121-8 du code des assurances : "L'assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires. / Lorsque ces risques ne sont pas couverts par le contrat, l'assuré doit prouver que le sinistre résulte d'un fait autre que le fait de guerre étrangère ; il appartient à l'assureur de prouver que le sinistre résulte de la guerre civile, d'émeutes ou de mouvements populaires."

Il résulte de cette disposition que le législateur a souhaité instituer une présomption d’exclusion de la garantie de l’assureur des dommages résultant de certains troubles intérieurs. Cette présomption n’est pas, ce que seule une mention expresse pouvait faire, renversée par le contrat en question. Au contraire, il y est stipulé une exclusion conventionnelle de garantie pour les dommages résultant d’émeutes ou de mouvements populaires.

Pour autant, l’alinéa 2 de l’article L. 121-8 du code des assurances, qui régit son mécanisme et, notamment, la charge de la preuve, reste pleinement applicable, de sorte qu’il appartient bien à l’assureur de supporter la charge de la preuve de son allégation selon laquelle les dommages informatiques procéderaient d’une émeute ou d’un mouvement populaire, ce qui lui permettrait ensuite de dégager son obligation de dédommagement.

Il existe plusieurs définitions des termes "émeute" et "mouvement populaire". L’émeute est présentée comme un soulèvement populaire destiné à obtenir, par la violence, la satisfaction de revendications sociales, économiques ou politiques. Le mouvement populaire peut être assimilé à toute manifestation de la foule entraînant des désordres et la commission d’actes illégaux.

Au-delà de ces définitions, la Cour de cassation a jugé que le dommage ne sera exclu de la garantie que s’il résulte d’un événement en étroite relation avec les troubles intérieurs (cf. Cass. 1re civ., 11 mai 1965, n° 63-11.813, au Bulletin). Par ailleurs, elle a jugé que l’absence de caractère spontané des agissements des auteurs d’un sinistre ne suffit pas à écarter la qualification d’émeute ou de mouvement populaire au sens de l’article L. 121-8 du code des assurances auquel se réfère le contrat (Cass. 2e civ., 17 novembre 2016, n° 15-24.116, au Bulletin).

Au cas d’espèce, à la suite du vote, en mars 2023, de l’assemblée générale commune des étudiants et personnels de l’université, certains bâtiments ont été occupés et un blocus de ces mêmes bâtiments a été organisé jusqu’au 1er mai 2023. Si l’université précise que cette occupation était indépendante des mouvements liés à la réforme des retraites des mois de mars et avril 2023, elle n’est pas en mesure de l’établir.

Les agissements en question peuvent être alternativement regardés soit comme le fait d’émeutiers souhaitant obtenir par la violence la satisfaction de leurs revendications sociales en lien avec la contestation de la réforme des retraites, soit comme la traduction d’un mouvement populaire qui s’est accompagné de désordres ou de la commission d’actes illégaux. Mais il est très difficile d’établir que les événements en cause sont strictement isolés de la contestation générale de la réforme des retraites du début de l’année 2023, compte tenu de leur coïncidence temporelle, le projet de loi servant de véhicule de cette réforme étant alors en examen devant le Parlement.

Ainsi, il existe un faisceau d’indices tendant à démontrer que l’occupation des locaux de l’université pourrait être qualifiée d’"émeutes" ou de "mouvements populaires".

2.2. En cas d’"attroupements" ou de "rassemblements", l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure (C.S.I.) instaure un régime de responsabilité sans faute de l’État : "L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (…)."

Deux conditions essentielles doivent être vérifiées pour l’application de ce dispositif. D’une part, les dommages couverts par ce régime de responsabilité sont ceux qui résultent de crimes ou de délits par un lien de causalité direct et certain. D’autre part, les dommages doivent avoir été commis par un rassemblement ou un attroupement au sens de l’article L. 211-10 susmentionné.

La première condition semble satisfaite dès lors que la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui reçoit une qualification délictuelle à l’article 322-13 du code pénal.

La seconde condition est plus délicate à évaluer, et plusieurs éléments doivent être appréciés. Le caractère collectif du rassemblement ne semble pas douteux, même si le nombre des occupants des locaux qui ont provoqué le sinistre n’est pas aisément déterminable. Un élément de spontanéité est également pris en compte, si bien que la commission préméditée de délits s’oppose à la reconnaissance du caractère spontané du rassemblement.

À cet égard, il faut cependant distinguer l’hypothèse dans laquelle le rassemblement, s’il est prémédité et organisé, n’implique pas la préméditation des délits qui vont l’accompagner du cas où le rassemblement n’est qu’une modalité d’exécution du délit, autrement dit le cas où la préméditation concerne les actes délictueux eux-mêmes.

Or, au cas d’espèce, l’occupation et le blocus ont été rendus possibles sans effraction. Si la préméditation et l’organisation de ce rassemblement sont manifestes, rien ne permet d’affirmer que cette action emportait nécessairement les dégradations qui s’en sont suivies. Faute d’effraction et, sauf à ce que l’occupation illicite d’un bâtiment public tombe sous le coup de l’article 226-4 du code pénal, qui incrimine l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui, l’envahissement de ce bâtiment universitaire n’est pas, en lui-même, constitutif d’une infraction pénale.

Dans ces conditions, établir que les événements considérés ne pourraient être qualifiés d’"attroupements" ou de "rassemblements" au sens de l’article L. 211-10 du C.S.I., pour contraindre l’assureur à assumer son obligation contractuelle, ne sera pas chose aisée.

3. S’agissant des possibilités de contestation du refus de l’assureur, deux voies d’action sont à la disposition de l’université.

Les personnes publiques ont le choix de recouvrer elles-mêmes leurs créances par l'émission d'un titre exécutoire ou de saisir le juge d'une action indemnitaire en responsabilité (cf. C.E., 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, au Recueil Lebon, p. 583 ; C.E., 24 février 2016, Département de l'Eure, n° 395194, au Recueil Lebon). Les deux voies sont, toutefois, exclusives l'une de l'autre (C.E., 15 décembre 2017, Société Ryanair Designated Activity Company et autre, n° 408550, aux tables du Recueil Lebon), sauf à ce que l’action contentieuse soit engagée sur le terrain distinct de la responsabilité extracontractuelle (C.E., 10 juillet 2020, Commune de la Remaudière, n° 429522, aux tables du Recueil Lebon).

Dans les deux cas, ces voies d’action ressortent de la compétence du juge administratif. La juridiction administrative est en effet compétente pour connaître d'un recours de la personne publique contre son propre assureur, dans la mesure où le contrat conclu avec celui-ci constitue un marché public de services et, par suite, un contrat administratif (articles L. 2 et L. 6 du code de la commande publique).

Le Conseil d'État a confirmé que les litiges relatifs à l'exécution d'un tel contrat relèvent de la compétence de la juridiction administrative (cf. C.E., avis, 31 mars 2010, n° 333627, au Recueil Lebon).

S’il est opté pour l’émission d’un titre exécutoire, la contestation éventuelle de l’exigibilité de cette créance portée par l’assureur ressortirait alors également de la compétence de la juridiction administrative, compte tenu de la nature administrative de cette créance. Le titre doit indiquer les bases de liquidation de la dette, le cas échéant par référence à un document joint ou précédemment adressé au débiteur (cf. C.E., 5 novembre 2003, Coopérative des agriculteurs de la Mayenne et autre, n° 224941 et n° 224942, au Recueil Lebon).

D'un point de vue plus pratique, saisir directement le juge administratif d'une demande d'indemnisation pourrait avoir pour effet de réduire le temps contentieux, dès lors que la contestation d’un titre exécutoire a un effet suspensif sur son recouvrement forcé, conformément à un principe général du droit (cf. C.E., 30 avril 2003, Union nationale des industries de carrières et des matériaux de construction et autre, n° 244139, Fédération nationale des promoteurs constructeurs, n° 244186, et Syndicat national des professionnels et des bénévoles de l'archéologie et autres, n° 2444255, au Recueil Lebon).

En outre, bien que saisir le juge place, en principe, le demandeur dans l’obligation d’établir le bien-fondé de sa demande, le mécanisme de l’alinéa 2 de l’article L. 121-8 du code des assurances, qui fait peser la charge de la preuve de l’existence d’émeutes et de mouvements sociaux sur l’assureur, exonérerait l’université.

Mais, au vu du fort aléa juridictionnel et de l’enjeu financier du dossier, il est recommandé d’engager une procédure amiable auprès de l’assureur, afin de mesurer la persistance de sa volonté d’appliquer cette exclusion de garantie.

Compte tenu du mécanisme institué par l’alinéa 2 de l’article L. 121-8 du code des assurances, selon lequel il appartient à l’assureur de supporter la charge de la preuve de son allégation tenant à ce que les dommages informatiques procéderaient d’une émeute ou d’un mouvement populaire, une réclamation écrite pourrait lui être adressée lui rappelant cette obligation et le mettant en demeure de justifier de la qualification dont il se prévaut, alors même qu’un concurrent n’a pas entendu en réclamer l’application pour exclure la garantie d’autres dommages.

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Rédaction de la LIJ :
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Directeur de la publication : Guillaume Odinet
Rédacteurs en chef et adjoints : Fabrice Bretéché, Victor Lespinard, Samira Tahiri,
Marie-Noémie Privet, Éric Donnart
Responsable de la coordination éditoriale : Frédérique Vergnes
Maquette : Gwénaëlle Le Moal
Secrétariat de rédaction et mise en page : Anne Vanaret
Ont participé à ce numéro : Simon Barthelemy, Mathilde Bauché, Jennifer Bême, Cédric Benoit, Louise Benoit, Philippe Dhennin, Isaure Ferran, Stéphanie Frain, Alexandra Gaudé, Julien Hée, Carla-Mary Hennion, Chloé Hombourger, Alice Johanet, Jean Laloux, Alexandra Lecomte, Barbara Le Guennec, Louanne Le Quere, Chloé Lirzin, Alexis Maquart, Joffrey Mercier, Sylvain N’Diaye, Pauline Ozenne, Alexandre Pancracio, Clothilde Poulain, Marion Puget, Amandine Renault, Virginie Simon, Baptiste Soubrier, Marlène Spinhirny, Juliette Uzabiaga, Henrick Yerbe, Dana Zeitoun

N° ISSN : 1265-6739