La Lettre d’information juridique n° 231 – juillet 2024

Direction des affaires juridiques - Lettre d'information juridique (LIJ)

Lettre de la direction des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Éditorial

Le rôle de l’État dans l’enseignement supérieur est, eu égard à la complexité du droit qui le régit, une source régulière d’interrogations pour le juge – et, en conséquence, d’éclairages de jurisprudence.

Après que le Conseil constitutionnel a affirmé l’application de l’exigence de gratuité à l’enseignement supérieur (Cons. const., 11 octobre 2019, n° 2019-809 QPC) et que le Conseil d’État a précisé qu’elle ne concernait que les formations préparant aux diplômes nationaux (C.E., 1er juillet 2020, n° 430121, au Recueil Lebon), après que le Conseil d’État a ensuite consacré le monopole des établissements publics pour la délivrance des diplômes nationaux (C.E., 7 juin 2022, n° 441056, aux tables du Recueil Lebon) puis que le Conseil constitutionnel a refusé de regarder le monopole de l’État pour la collation des grades universitaires et ce monopole des établissements publics pour la délivrance des diplômes nationaux comme figurant au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (Cons. const., 15 décembre 2022, n° 2022-844 DC), le Conseil d’État a eu l’occasion de se pencher, dans deux décisions du 3 avril dernier, sur la nature particulière des diplômes d’établissements d’enseignement supérieur technique privés qui sont visés par l’État. Ce régime, issu de la loi Astier du 25 juillet 1919 et aujourd’hui prévu à l’article L. 443-2 du code de l’éducation, est assez largement défini par un arrêté du 8 mars 2001 qui définit les conditions dans lesquelles des établissements peuvent être autorisés à délivrer des diplômes revêtus du visa de l’État et celles dans lesquelles ces diplômes sont effectivement délivrés. Au moins à titre formel, le recteur de région académique joue un rôle central dans cette délivrance.

Le Conseil d’État n’en a pas pour autant déduit que la délivrance (ou le refus de délivrance) d’un diplôme visé était un acte administratif : malgré la place de l’État, il a estimé que cette décision était prise au nom de l’établissement privé et ne procédait pas d’une prérogative de puissance publique. Il en va différemment, en revanche, lorsque le diplôme visé confère automatiquement un grade universitaire : c’est alors au nom de l’État qu’il est délivré, ainsi que le pouvoir réglementaire l’a expressément énoncé (cf. article D. 612-34 du code de l'éducation), traduisant ainsi le monopole de l’État pour la collation des grades.

Cette clarification nouvelle vient contribuer à mettre un peu d’ordre dans le paysage fragmenté du droit de l’enseignement supérieur privé, qui demeure certainement à simplifier.


Guillaume Odinet

Jurisprudence

Enseignement scolaire
Droits et obligations des élèves
J.R.T.A. Cergy-Pontoise, 4 avril 2024, n° 2403423
Harcèlement scolaire
J.R.T.A. Versailles, 6 avril 2024, n° 2402741

Enseignement supérieur et recherche
Maintien de l’ordre
J.R.C.E., 6 mai 2024, Université Paris-Dauphine-P.S.L., n° 494003
Formations de santé
C.E., 29 mars 2024, Sorbonne Université, n° 487772
Aides à la mobilité, Erasmus
C.E., 14 mai 2024, n° 475178

Personnels
Affectation et mutation
C.E., 5 mars 2024, n° 466622, aux tables du Recueil Lebon
Congés de maternité, de paternité, d’adoption
T.A. Strasbourg, 10 avril 2024, n° 2206903
Accident de service
C.E., 16 février 2024, n° 467533, aux tables du Recueil Lebon
Répétition de l’indu
C.E., 3 avril 2024, n° 475587, aux tables du Recueil Lebon
Procédure
T.A. Cergy-Pontoise, 21 mars 2024, n° 2111852
Fautes
C.E., 27 mars 2024, Sorbonne Université, n° 470787
Admission à la retraite
C.E., 11 avril 2024, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 489202, aux tables du Recueil Lebon
C.E., 11 avril 2024, Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, n° 490652, aux tables du Recueil Lebon

Incapacité
T.A. Strasbourg, 10 avril 2024, n° 2202900
Rupture conventionnelle et indemnité de départ volontaire
T.A. Orléans, 19 avril 2024, n° 2204264
CDIsation
C.E., 26 février 2024, Commune de Sada, n° 472075, aux tables du Recueil Lebon
Personnels d’éducation et de surveillance
T.A. Strasbourg, 21 février 2024, n° 2207182

Responsabilité
Mise en cause de la responsabilité de l’administration
C.A.A. Bordeaux, 29 février 2024, n° 22BX00196
C.A.A. Bordeaux, 29 février 2024, n° 22BX00197
C.A.A. Bordeaux, 29 février 2024, n° 22BX00198

Procédure contentieuse et questions de droit civil et pénal appliquées au droit de l’enseignement
Compétence des juridictions
C.E., 3 avril 2024, n° 468768, aux tables du Recueil Lebon
C.E., 3 avril 2024, n° 472137, aux tables du Recueil Lebon

Exécution des jugements
T.A. Cergy-Pontoise, 26 mars 2024, n° 2313403

Accès aux documents administratifs
Autres motifs
C.E., 11 mars 2024, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 488227 et n° 488228, aux tables du Recueil Lebon
C.E., 11 mars 2024, n° 454305, aux tables du Recueil Lebon

Sports
Professions sportives
C.A.A. Versailles, 9 avril 2024, n° 22VE00249

Enseignement scolaire

Droits et obligations des élèves

  • Tenue vestimentaire commune – Règlement intérieur – Port d’une blouse à l’école maternelle

J.R.T.A. Cergy-Pontoise, 4 avril 2024, n° 2403423

Par une délibération du 6 février 2024, le conseil d’école d’une école publique avait modifié son règlement intérieur en vue d’imposer le port d’une tenue vestimentaire commune, sous la forme d’une blouse pour les élèves des classes maternelles.

Saisi par un représentant des parents d’élèves sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative d’une demande tendant à la suspension de l’exécution de cette délibération en tant qu’elle s’applique aux élèves des classes de maternelle, le juge des référés a rejeté cette requête, estimant qu’ aucun des moyens soulevés par le requérant n’était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délibération attaquée.

Le juge des référés a notamment écarté le moyen tiré de ce qu’il résulterait de la présentation publique par le maire de la commune de l’instauration d’une tenue unique avant même son adoption par le conseil d’école que cette mesure aurait été adoptée par une autorité incompétente, en retenant qu’il ressortait des pièces du dossier que la modification du règlement intérieur en vue de l’instauration de cette mesure avait été adoptée "sur proposition de la directrice d’école, au terme d’un processus démocratique par 22 voix contre 4, dans les conditions prévues à l'article D. 411-2 du code de l’éducation".

En outre, le juge des référés a écarté le moyen tiré de ce que les articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme s’opposeraient à ce qu’une restriction aux libertés qu’ils protègent puisse être édictée par une norme autre que législative aux motifs que : "Si, en vertu des stipulations de l’article 8-2 de la Convention européenne (…) des droits de l’homme (…) et de l’article 2-3 de son quatrième protocole additionnel, les restrictions apportées respectivement à la protection de la vie privée et à la liberté d’aller et venir doivent être "prévues par la loi", ces mots doivent s’entendre des conditions prévues par des textes généraux, le cas échéant de valeur réglementaire, pris en conformité avec les dispositions constitutionnelles. En outre, les effets et l’objet du règlement intérieur des écoles de l'enseignement scolaire public sont prévus par la loi à l'article L. 401-2 du code de l’éducation."

Il a ensuite retenu que "la tenue unique, qui est limitée pour les élèves de l’école maternelle au port d’une simple blouse, instaure une contrainte très limitée à l’habillement de ces élèves et que ces vêtements sont fournis gratuitement par la commune" et en a déduit que : "Eu égard à la portée limitée de ces dispositions, il n’est pas établi que ces dispositions ne sont pas adaptées et proportionnées au regard des finalités poursuivies."

Dans ces conditions, le juge des référés a estimé que le moyen tiré de la méconnaissance des articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des articles 13 et 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant, tous les quatre relatifs au respect du droit à la vie privée et familiale et à la liberté d’expression, n’était pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée.

Enfin, en réponse au moyen tiré de ce que la délibération contestée instaurerait l’obligation du port d’une tenue commune sans tenir compte de la situation des élèves en situation de handicap, le juge des référés a retenu que : "Dès lors que le point 1.1.5 du règlement type départemental des Hauts de Seine et le règlement de l’école (…) imposent de définir des modalités de scolarisation adaptées aux élèves handicapés par dérogation aux règles communes, le moyen tiré de ce que la délibération attaquée instaure une discrimination en défaveur des élèves handicapés en méconnaissance de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas, en tout état de cause, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la délibération attaquée."

Harcèlement scolaire

  • Harcèlement scolaire – Référé-liberté – Mesures prises par l’administration

J.R.T.A. Versailles, 6 avril 2024, n° 2402741

Une élève scolarisée en classe de seconde et ses parents avaient saisi le juge des référés par la voie du référé-liberté d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint au ministre de l’éducation nationale et des sports et au recteur de l’académie de Versailles de faire cesser sans délai la situation de harcèlement scolaire que subirait cette élève, qui se caractériserait notamment par "des regards malveillants, un isolement, des messages et des prises d’image la concernant, accessibles sur les réseaux sociaux, et des bousculades", ainsi que de mettre en œuvre toutes mesures utiles permettant de préserver son état de santé dans un délai de 48 heures.

Le juge des référés a rejeté la requête, estimant qu’eu égard aux mesures déjà mises en œuvre par l’administration, elle n’avait pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de cette élève de ne pas subir un harcèlement scolaire.

Aux termes de l’article L. 111-6 du code de l’éducation, issu de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire : "Aucun élève (…) ne doit subir de faits de harcèlement résultant de propos ou comportements, commis au sein de l'établissement d'enseignement ou en marge de la vie scolaire (…) et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de dégrader ses conditions d'apprentissage. (…) / Les établissements d'enseignement scolaire (...) publics et privés (…) prennent les mesures appropriées visant à lutter contre le harcèlement dans le cadre scolaire (...). Ces mesures visent notamment à prévenir l'apparition de situations de harcèlement, à favoriser leur détection par la communauté éducative afin d'y apporter une réponse rapide et coordonnée et à orienter les victimes, les témoins et les auteurs, le cas échéant, vers les services appropriés et les associations susceptibles de leur proposer un accompagnement."

En outre, aux termes du premier alinéa de l’article 222-33-2-3 du code pénal : "Constituent un harcèlement scolaire les faits de harcèlement moral définis aux quatre premiers alinéas de l'article 222-33-2-2 lorsqu'ils sont commis à l'encontre d'un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d'enseignement."

La jurisprudence a reconnu le droit pour les élèves de ne pas être soumis à un harcèlement comme constituant une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (cf. J.R.T.A. Melun, 7 mai 2021, n° 2104189, LIJ n° 217, novembre 2021). Le caractère manifestement illégal de l’atteinte s’apprécie notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative et des mesures déjà mises en œuvre pour la faire cesser.

En l’espèce, le juge des référés a retenu que le chef d’établissement, informé d’une possible situation de harcèlement concernant cette élève le 2 février 2024, l’avait reçue en présence de ses parents et du conseiller principal d’éducation dès le 5 février 2024 et que plusieurs entretiens étaient intervenus depuis lors.

Il a également constaté que "les élèves mis en cause pour des faits de harcèlement ont été entendus, notamment le 1er et le 13 mars 2024, en leur demandant de ne plus regarder [cette élève] avec insistance, ou le 25 mars, le jour même du signalement de la mise en ligne d’une vidéo par l’élève concernée" et que des entretiens avec l’ensemble des élèves avaient également eu lieu, notamment le 8 février 2024.

Par ailleurs, le juge a constaté que : "Après la mise en place du programme PAPI [d'action et de prévention de l'intimidation], l’établissement y a substitué le programme pHARe [de lutte contre le harcèlement à l’école], avec notamment la désignation d’un adulte référent", et que, s’il est fait état de l’interruption du programme pHARe après le dépôt d’une main courante par les parents de cette élève, "il résulte de l’instruction que tant les actions au niveau de l’établissement que celles de la cellule Stop harcèlement de la direction des services départementaux de l’éducation nationale des Yvelines, qui a été saisie de cette situation le 29 février 2024, ne se sont pas interrompues à cette date".

Enfin, il a relevé que : "Le référent police est intervenu dans la classe [de cette élève] le 7 mars 2024 à l’initiative de l’établissement. Un référent a été désigné au sein de l’équipe enseignante (…) qui a encore reçu [l'élève] pour évaluer la situation les 22 et 29 mars 2024. Un accompagnement avec un psychologue de l’éducation nationale lui a également été proposé mais n’a pas été poursuivi sur décision de la famille. Une évaluation du comportement des élèves de la classe [de l'élève] à son égard a été demandée aux enseignants, ne faisant pas apparaître d’hostilité pendant les cours selon ces derniers."

Le juge des référés en a déduit qu’"au regard des mesures mises en place tant au sein de l’établissement que de la direction des services départementaux de l’éducation des Yvelines, de la réactivité des services à chaque évènement qui leur a été rapporté, et de la complexité de la situation et des faits telle qu’elle ressort des pièces du dossier, qui révèlent incontestablement la souffrance de [cette élève] dans le cadre scolaire, mais aussi un contexte très dégradé caractérisé notamment par des dépôts de plainte croisés par les parents des protagonistes, il n’apparaît pas, à la date de la présente ordonnance et en l’état de l’instruction, que l’administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit fondamental de [l'élève en question] de ne pas subir un harcèlement scolaire".

En conséquence, il a rejeté la requête en estimant qu’il n’apparaissait "pas nécessaire d’enjoindre à l’État de prendre, dans un délai de quarante-huit heures, des mesures supplémentaires à celles qu’il met[tait] déjà en œuvre pour sauvegarder la liberté fondamentale de ne pas être harcelée dans un cadre scolaire", en soulignant néanmoins qu’"il lui appartient (…) de maintenir, aussi longtemps que la situation et l’état de [cette élève] le justifie, le suivi et l’accompagnement qu’il a mis en place, notamment dans le cadre du programme pHARe, dont la mise en œuvre, aux termes mêmes de son protocole de prise en charge d’une situation de harcèlement, n’apparaît pas incompatible avec le dépôt d’une plainte par les représentants de la victime".

Enseignement supérieur et recherche

Maintien de l’ordre

  • Libertés d’expression et de réunion des usagers de l’enseignement supérieur – Risque d’atteinte à l’ordre public – Neutralité et indépendance des établissements d’enseignement supérieur

J.R.C.E., 6 mai 2024, Université Paris-Dauphine-P.S.L., n° 494003

Le comité Palestine Dauphine avait demandé au président de l’université Paris-Dauphine l’autorisation d’organiser une conférence, ouverte aux seuls membres de l’établissement, portant sur la situation de la Palestine.

Face au refus de l’université, le comité Palestine Dauphine avait saisi le tribunal administratif de Paris d’une requête en référé-liberté à laquelle il avait été fait droit. Saisi en appel, le Conseil d’État a confirmé cette ordonnance et enjoint à l’université d’assurer l’organisation de cette conférence, sous réserve de son maintien par ses initiateurs, dans des conditions garantissant son bon déroulement.

Le juge des référés du Conseil d’État a d’abord rappelé que l’article L. 141-6 du code de l’éducation dispose que : "Le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions (...)" et que, par ailleurs, les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 811-1 du même code prévoient que les usagers de ce service "disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public. / Des locaux sont mis à leur disposition. Les conditions d'utilisation de ces locaux sont définies, après consultation du conseil académique en formation plénière, par le président ou le directeur de l'établissement, et contrôlées par lui."

Le Conseil d’État a jugé que : "Il résulte de ces dispositions que l’université Paris-Dauphine, comme tout établissement d’enseignement supérieur, doit veiller à la fois à l’exercice des libertés d’expression et de réunion des usagers du service public de l’enseignement supérieur et au maintien de l’ordre dans les locaux comme à l’indépendance intellectuelle et scientifique de l’établissement, dans une perspective d’expression du pluralisme des opinions."

Dans le cadre ainsi rappelé, le Conseil d’État a souligné que : "Si les étudiants de l'université Paris-Dauphine ont droit à la liberté d'expression et de réunion dans l'enceinte de l'établissement, cette liberté ne saurait permettre des manifestations qui, par leur nature, iraient au-delà de la mission de l'établissement, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et de recherche, troubleraient le fonctionnement normal du service public ou risqueraient de porter atteinte à l'ordre public. Il incombe aux autorités compétentes de l'université, en vue de donner ou de refuser la mise à disposition d'une salle, de prendre toutes mesures nécessaires pour, à la fois, veiller au respect des libertés dans l'établissement, assurer l'indépendance de celui-ci de toute emprise politique ou idéologique et maintenir l'ordre dans ses locaux, aux fins de concilier l'exercice de ces pouvoirs avec le respect des principes rappelés ci-dessus."

Au cas d’espèce, le président de l’université avait motivé son refus par le renforcement du plan Vigipirate à son niveau le plus élevé et par le risque de troubles à l’ordre public que créaient la sensibilité du sujet de la conférence et le contexte international particulièrement tendu l’entourant.

Le juge des référés a toutefois retenu que "les éléments invoqués par l'université ne font pas apparaître, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, de risques avérés de perturbations du fonctionnement de l'établissement ou de troubles à l'ordre public de nature à justifier, dans son principe, l'interdiction contestée".

N.B. : La présente décision doit être mise en regard d’une décision de principe rendue en 2011, abondamment citée (cf. J.R.C.E., 7 mars 2011, École normale supérieure, n° 347171, au Recueil Lebon) et qui participe de la même logique. Le refus de la directrice de l'École normale supérieure (E.N.S.) portait alors sur l’organisation d'une semaine de conférences en écho à la manifestation internationale "Israeli Apartheid Week" ("Semaine contre l’apartheid israélien").

Bien que les organisateurs aient précisé que ces conférences ne seraient ouvertes qu’aux membres de l’E.N.S., il avait cependant été jugé que la durée et l’ampleur de ces réunions étaient de nature à "associer dans l'opinion publique [l’] établissement à une campagne politique internationale en faveur du boycott des échanges scientifiques et économiques avec un État, [et que] la directrice de l'École normale supérieure, qui a pris en compte à la fois la liberté de réunion et la prévention des risques de troubles à l'ordre public et de contre-manifestations, n'a[vait] pas, en l'état de l'instruction, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion des élèves alors que les débats de ladite campagne internationale pouvaient se tenir dans tout autre lieu ayant vocation à accueillir ce type de réunion et que l'École avait proposé une solution alternative sous forme de l'organisation dans ses locaux d'une journée d'études avec débat public et contradictoire sur le Proche-Orient".

Formations de santé

  • Délibération établissant la liste des candidats admis – Formation ayant une capacité d’accueil limitée – Caractère indivisible – Conséquence – Irrecevabilité d'un recours tendant à l'annulation de la délibération en tant qu'elle écarte une candidature

C.E., 29 mars 2024, Sorbonne Université, n° 487772

Un étudiant inscrit en parcours d'accès spécifique santé (PASS) au titre de l’année universitaire 2022-2023 n’avait pas été déclaré admis en deuxième année du premier cycle des études de santé, filière médecine, par délibération du jury de la filière PASS du 30 juin 2023.

L’intéressé avait formé une demande tendant à la suspension de la délibération du jury en tant qu’il n’avait pas été admis. Le juge des référés du tribunal administratif de Paris y avait fait droit et avait enjoint à l’université de procéder, à titre provisoire et conservatoire, au réexamen de sa situation, dans un délai compatible avec la poursuite, le cas échéant, de son cursus et dans la limite d’un mois. En exécution de cette ordonnance, l’établissement avait réuni les membres du jury afin qu’ils réexaminent le dossier de l’étudiant, qui avait de nouveau été déclaré non admis. En parallèle, l’université avait saisi le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation.

Pour prononcer l’annulation de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris et rejeter la requête formée par l’étudiant en tant qu’elle était irrecevable, le Conseil d’État a rappelé les caractéristiques des études de santé : "L’article 1er de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a modifié les dispositions relatives à l’accès aux formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie et de maïeutique et, notamment, prévu que le nombre d’étudiants pouvant poursuivre en deuxième année du premier cycle de ces formations serait désormais déterminé annuellement par les universités en fonction de leurs capacités d’accueil et des besoins en santé du territoire." À ce titre, l’article R. 631-1-2 du code de l’éducation prévoit notamment que : "L'admission en deuxième ou en troisième année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie ou de maïeutique, au titre des dispositions du I. de l'article R. 631-1, est subordonnée à la réussite à des épreuves organisées selon les deux groupes suivants : / 1° (…) / 2° (…) / Le jury établit pour l'admission dans les formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie ou de maïeutique, par ordre de mérite, une liste principale et, le cas échéant, une liste complémentaire, pour le cas où des vacances viendraient à se produire sur la liste principale. L'université organisatrice assure la publicité des listes principale et complémentaire d'admission pour chacune des formations par voie électronique, sur son site internet. / Les étudiants sont admis conformément aux capacités d'accueil fixées par l'université en fonction de leur parcours ou groupe de parcours de formation antérieur. / (…)."

Il résultait ainsi de ces dispositions que "les capacités d’accueil en deuxième année du premier cycle des études de santé [étaient] limitativement arrêtées par parcours ou groupe de parcours. Il s’ensuit que la délibération par laquelle le jury de la filière PASS de l’établissement Sorbonne Université s’[était] prononcé sur l’admission des étudiants issus de PASS en deuxième année du premier cycle des études de santé [était] indivisible. Les conclusions, présentées par [le requérant] en première instance, aux fins de suspension de l’exécution de cette délibération en tant seulement qu’elle le concern[ait], étant, dès lors, irrecevables, le juge des référés a commis une erreur de droit en les accueillant."

N.B. : Bien que les étudiants admis à poursuivre leurs études en deuxième année du premier cycle des formations de santé demeurent des usagers du service public de l’enseignement supérieur, les épreuves qu’ils doivent valider pour poursuivre leurs études n’en constituent pas moins un concours et non un examen universitaire.

La décision ici commentée permet de souligner la distinction constante que la jurisprudence opère entre les concours qui offrent des places, ou des postes, en nombre limité aux admis (cf. C.E., Assemblée, 13 juillet 1967, n° 68680, au Recueil Lebon) et les examens qui, a contrario, permettent à tout candidat d’être admis dès lors qu’il est jugé apte par le jury sans qu’aucune limitation des places ne puisse lui être opposée (s’agissant d’examens professionnels, cf. C.E., 6 juin 1962, aux tables du Recueil Lebon, p. 990 ; C.E., 22 janvier 1990, n° 99001, n° 101224 et n° 101663, aux tables du Recueil Lebon).

Cette distinction emporte des conséquences sur la recevabilité des conclusions d’un candidat non admis pour contester les résultats d’un concours. De jurisprudence constante, la délibération du jury déclarant les candidats admis est un acte indivisible dès lors que le jury a porté une appréciation unique sur l’ensemble des candidats, ce qui a pour effet de rendre irrecevables les conclusions présentées par un candidat tendant à voir modifier les seuls résultats qui le concernent (cf. C.E., 20 juin 1990, n° 100888, aux tables du Recueil Lebon ; C.E., 6 novembre 2000, n° 289398, aux tables du Recueil Lebon).

Aides à la mobilité, Erasmus

  • Aide à la mobilité en master – Égalité de traitement (non) – Différence de situation entre diplôme national de master et diplôme conférant grade de master (oui)

C.E., 14 mai 2024, n° 475178

Le décret du 10 mai 2017 relatif à l’aide à la mobilité accordée aux étudiants inscrits en première année du diplôme national de master institue une aide financière destinée à ces étudiants lorsqu’ils sont inscrits dans une région académique différente de celle dans laquelle ils ont obtenu leur diplôme national de licence. Le bénéfice de cette aide est réservé aux seuls étudiants inscrits dans une formation conduisant à l’obtention du diplôme national de master, ceux poursuivant l’obtention d’un diplôme d’établissement conférant grade de master s’en trouvant exclus.

Un étudiant inscrit en première année d’une formation conduisant à l’obtention d’un diplôme d’établissement conférant grade de master, confronté au rejet de sa demande d’aide à la mobilité, avait saisi la Première ministre d’un recours tendant à l’abrogation de ce décret en tant qu’il conditionnait l’octroi de l’aide qu’il instituait à l’inscription en première année du diplôme national de master. Une décision implicite de rejet lui avait été opposée.

Le Conseil d’État était saisi de ce refus et d’une demande d’injonction à ce que la Première ministre abroge ces dispositions et prenne des mesures réglementaires prévoyant le bénéfice de cette aide pour les étudiants inscrits en première année d’une formation préparant à l’obtention d’un diplôme d’établissement conférant le grade de master.

Le requérant soutenait, notamment, que le décret méconnaissait le principe d’égalité entre les étudiants inscrits en première année d’une formation conduisant à un diplôme conférant grade de master et ceux inscrits en diplôme national de master dès lors que la différence de traitement instaurée n’aurait pas été justifiée eu égard aux objectifs poursuivis par les dispositions contestées.

Se fondant sur les dispositions des articles L. 612-6 et R. 612-36-3 du code de l’éducation, le Conseil d’État a rappelé que si les établissements peuvent opérer une sélection à l’entrée en master lorsque les capacités d’accueil sont limités, le droit à la poursuite d’études dans les formations conduisant à ce diplôme national, qui contribue à la mise en œuvre du principe d’égal accès à l’instruction pour les titulaires d’un diplôme national de licence, est toutefois garanti, notamment par l’obligation qu’a le recteur de région académique de présenter aux intéressés qui n’ont pas été admis, et sur leur demande, au moins trois propositions d’admission dans ces formations tenant compte de leur projet professionnel et de l’établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence.

À cet égard, les dispositions contestées du décret du 10 mai 2017 avaient pour objet de mettre en œuvre ce droit à la poursuite d’études en fournissant une aide à la mobilité pour que les étudiants puissent poursuivre leurs études dans une formation conduisant à l’obtention du diplôme national de master dans une région académique différente de celle où ils ont validé leur diplôme national de licence. Or, ce droit à la poursuite d’études ne s’applique qu’aux préparationnaires au diplôme national de master.

Ainsi, eu égard à l’objet de la mesure qu’il avait décidé d’instituer, le pouvoir réglementaire pouvait, "sans méconnaître le principe d’égalité, regarder les étudiants inscrits en première année d’une formation conduisant au diplôme national de master comme placés dans une situation différente de celle des étudiants inscrits en première année d’une formation conduisant à un diplôme d’établissement conférant le grade de master".

Pour les mêmes raisons, le Conseil d’État a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité et des stipulations combinées des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que de l’article 1er de son premier protocole additionnel.

Le requérant soutenait enfin que le décret du 10 mai 2017 méconnaissait les articles L. 821-1 et L. 822-1 du code de l’éducation, qui prévoient l’octroi d’aides financières aux étudiants, notamment à travers le réseau des œuvres universitaires.

Le Conseil d’État a également écarté ce moyen, jugeant que "ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire institue, en complément des prestations qu’elles prévoient, des aides ciblées au bénéfice de certains étudiants titulaires d’une bourse de l’enseignement supérieur sur critères sociaux ou d’une allocation annuelle accordée dans le cadre d’une aide spécifique dans le but, notamment, de faciliter leur mobilité".

Personnels

Affectation et mutation

  • Enseignant titulaire de zone de remplacement (T.Z.R.) – Mesure d’ordre intérieur

C.E., 5 mars 2024, n° 466622, aux tables du Recueil Lebon

Une enseignante affectée sur un emploi de titulaire de zone de remplacement (T.Z.R.) dont le régime juridique est fixé par le décret du 17 septembre 1999 avait formé un recours à l’encontre des décisions rejetant sa demande de mutation sur un poste vacant de titulaire d'un établissement scolaire et l’affectant, en qualité de T.Z.R., dans plusieurs établissements pour accomplir ses missions de remplacement.

La requérante s’était pourvue en cassation contre l’ordonnance de la cour administrative de Bordeaux qui avait rejeté ses demandes d’annulation en considérant que les décisions attaquées revêtaient le caractère de mesures d’ordre intérieur et étaient, ainsi, insusceptibles de recours.

Dans un premier temps, le Conseil d’État a rappelé que : "Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent de perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable." (Sur l'identification des mesures d'ordre intérieur prises à l'égard d'agents publics, cf. C.E., Section, 25 septembre 2015, n° 372624, au Recueil Lebon.)

Puis, il a précisé que "la décision par laquelle le recteur d'académie procède, en application de l'article 3 du décret du 17 septembre 1999, à l'affectation d'un enseignant qui exerce ses fonctions comme titulaire de zone de remplacement dans un établissement situé au sein de la zone de remplacement sur laquelle il a été affecté, ou dans une zone limitrophe, constitue une simple mesure d'ordre intérieur qui n'est pas susceptible de recours, à moins qu'elle ne traduise une discrimination ou une sanction".

"En revanche, lorsqu'un enseignant qui exerce ses fonctions comme titulaire de zone de remplacement demande sa mutation sur un poste de titulaire dans un établissement, le refus opposé à sa demande présente le caractère d'une décision lui faisant grief."

Ainsi, faisant application de ces principes à l'espèce, le Conseil d'État a jugé que les décisions procédant à l'affectation de la requérante au sein de la zone de remplacement dans laquelle elle exerçait en qualité de T.Z.R. étaient des mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours, mais que la cour administrative d’appel de Bordeaux avait commis une erreur de droit en jugeant que la décision rejetant sa demande de mutation dans un établissement l’était elle aussi.

Congés de maternité, de paternité, d’adoption

  • Fonctionnaires et agents publics – Congé de naissance – Congé de paternité et d’accueil de l’enfant

T.A. Strasbourg, 10 avril 2024, n° 2206903

Le requérant, professeur des écoles, était devenu parent alors qu'il était placé en congé de maladie ordinaire. Il avait alors sollicité le bénéfice des trois jours de congé de naissance et quatre jours de congé de paternité et d'accueil de son enfant à l'issue de son congé de maladie.

Le requérant revendiquait notamment l’application de l’article L. 1225-35-1 du code du travail, qui prévoit qu'il est interdit d'employer un salarié pendant le congé de naissance et le congé de paternité et d'accueil de l'enfant et que si la naissance intervient alors que le salarié a pris des congés payés ou un congé pour événements familiaux, l'interdiction posée à son employeur débute à l'issue de cette période de congés.

Le tribunal administratif de Strasbourg a toutefois retenu que cet article n’était pas applicable aux agents publics et qu'au demeurant, il ne prévoyait pas une telle possibilité de report en cas de congé pour maladie.

Le tribunal administratif, après avoir rappelé les articles L. 631-6 du code général de la fonction publique relatif au congé de naissance, L. 631-9 du même code relatif au congé de paternité et d’accueil de l'enfant, ainsi que les articles 8 et 13 du décret du 30 juin 2021 relatif aux congés de maternité et liés aux charges parentales dans la fonction publique de l'État, a considéré qu'il en résultait que le congé de naissance d’une durée de trois jours devait être pris à compter du jour de la naissance de l’enfant ou à compter du premier jour ouvrable qui suit.

De plus, la première période de quatre jours de congé paternité et d’accueil de l’enfant devait être prise immédiatement après le congé de naissance, selon l'article 13 du décret du 30 juin 2021.

Enfin, le tribunal, relevant que les dispositions précitées ne le prévoyaient pas, en a déduit que : "La circonstance que M. X était alors placé en congé de maladie ordinaire n'ouvre pas droit à un quelconque report de ce congé de naissance ni du congé de paternité et d'accueil de l'enfant qui lui succède" et a rejeté la requête.

N.B. : Si l'administration a rejeté la demande de report de congés présentée par le professeur, elle a, en revanche, imputé les sept jours où il s'était absenté du service après son congé de maladie sur la seconde période de son congé de paternité dont les conditions d’attribution sont plus souples, notamment au regard de la date de naissance de l’enfant, comme le précisent les dispositions du troisième alinéa de l'article 8 du décret du 30 juin 2021.

Accident de service

  • Accident lié au service – Imputabilité au service – Motivation d’un acte administratif – Secret médical

C.E., 16 février 2024, n° 467533, aux tables du Recueil Lebon

Le directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques avait refusé de reconnaître l'imputabilité au service de deux accidents survenus à l'un de ses agents par une décision du 20 juillet 2020 dont ce dernier avait contesté, en vain, la légalité devant les juges de première instance puis d'appel.

Le Conseil d’État a considéré tout d'abord qu’il résultait de la combinaison des articles L. 211-2, L. 211-5, L. 211-6 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration ainsi que de l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, codifié depuis lors aux articles L. 121-6 et L. 121-7 du code général de la fonction publique, que le refus de reconnaître l'imputabilité au service d'un accident était au nombre des décisions qui doivent être motivées, rappelant sa position en la matière.

Puis, il a précisé que si le respect des règles relatives au secret médical ne pouvait avoir pour effet d'exonérer l'administration de l'obligation de motiver sa décision, dans des conditions de nature à permettre au juge de l'excès de pouvoir d'exercer son contrôle, elle ne pouvait divulguer des éléments couverts par le secret médical.

Enfin, le Conseil d'État a ajouté que, toutefois, la circonstance que la décision comporterait de tels éléments n'était pas, par elle-même, susceptible de l'entacher d'illégalité.

Par suite, le Conseil d'État a estimé qu'en jugeant inopérant le moyen tiré de l'irrégularité de la motivation de la décision litigieuse en ce qu'elle faisait mention d'éléments permettant d'en déduire la nature de la pathologie dont souffrait l'agent, la cour n'avait pas commis d'erreur de droit.

Répétition de l’indu

  • Titre de perception – Forme – Nom, prénom et qualité du signataire

C.E., 3 avril 2024, n° 475587, aux tables du Recueil Lebon

La requérante, fonctionnaire de l’État, avait demandé au tribunal administratif l’annulation d'un titre de perception d'un montant de 20 444 euros émis à son encontre par la direction régionale des finances publiques de Bretagne en vue de récupérer des indus de pension qui lui avaient été versés, ainsi que la décharge de l'obligation de payer cette somme.

Saisi du pourvoi en cassation contre le jugement du tribunal rejetant sa demande, le Conseil d’État a précisé l’application de la règle fixée au premier alinéa de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration, selon laquelle : "Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci", dans l'hypothèse d'un titre de perception émis par l'État.

Le V. de l'article 55 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 prévoit que : "Pour l'application [de ces dispositions] aux titres de perception délivrés par l'État en application de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales, afférents aux créances de l'État ou à celles qu'il est chargé de recouvrer pour le compte de tiers, la signature figure sur un état revêtu de la formule exécutoire, produit en cas de contestation."

Ainsi que le rappellent les conclusions du rapporteur public sur cette décision (accessibles sur ArianeWeb), ces dispositions posaient des difficultés pratiques aux services chargés du recouvrement des créances publiques qui, "pour éviter d'avoir à signer individuellement les milliers de titres de perception qu'ils émettent chaque année", ont développé "la pratique (…) en leur sein de ne pas signer le titre de perception lui-même mais plutôt un état récapitulatif (…) ou un bordereau de titres de recette, décision collective dont chaque titre de perception n’est ensuite, en quelque sorte, qu’une déclinaison individuelle pour chaque débiteur".

Selon la décision du Conseil d’État : "Il résulte de ces dispositions, d'une part, que le titre de perception individuel délivré par l'État doit mentionner les nom, prénom et qualité de l'auteur de cette décision et, d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation, que l'état revêtu de la formule exécutoire comporte la signature de cet auteur. Ces dispositions n'imposent pas de faire figurer sur cet état les nom, prénom et qualité du signataire. Les nom, prénom et qualité de la personne ayant signé l'état revêtu de la formule exécutoire doivent, en revanche, être mentionnés sur le titre de perception, de même que sur l'ampliation adressée au redevable."

Ce faisant, la décision transpose à l'identique la solution dégagée, pour les titres de recettes des collectivités territoriales, par le Conseil d’État dans l’avis contentieux "Département de Seine-Saint-Denis" du 26 septembre 2018 (n° 421481, aux tables du Recueil Lebon).

Si les éléments d’identification de l’auteur de l’acte que sont ses nom, prénom et qualité, qui figurent sur le titre de perception transmis au débiteur, peuvent être dissociés de la signature de l’acte, qui ne figure que sur l’état récapitulatif revêtu de la formule exécutoire, le Conseil d’État exige une concordance entre les éléments ainsi dissociés et interdit que figure sur le titre de perception les nom et prénom d'un agent qui ne serait pas le signataire de l'état récapitulatif.

Procédure

  • Fonctionnaires et agents publics – Procédure disciplinaire – Droits de la défense – Communication du dossier – Utilité des pièces à communiquer

T.A. Cergy-Pontoise, 21 mars 2024, n° 2111852

Dans le cadre d’un contentieux tendant à contester la sanction de révocation dont il avait fait l’objet, un professeur agrégé se prévalait d’un vice de procédure tiré, notamment, de ce que le dossier qui lui avait été communiqué lors de la procédure disciplinaire était incomplet.

Le requérant soutenait notamment que les procès-verbaux d’audition de témoins ne lui avaient pas été transmis malgré ses demandes en ce sens. Le tribunal administratif a écarté ce moyen au motif qu’ils n’existaient pas et qu’aucun texte n’impose la retranscription dans des procès-verbaux des témoignages des personnes entendues pendant l’enquête administrative.

En outre, cet enseignant se prévalait également du défaut de communication de certaines pièces, telles que les messages qu’il aurait postés sur les réseaux sociaux, le signalement d’une parent d’élève ou encore les convocations des personnes entendues lors de l’enquête administrative. Le tribunal a également écarté ce moyen au motif que le requérant "avait connaissance de l’existence de ces pièces dès lors qu’elles figuraient dans le rapport d’enquête et, que, au demeurant, elles n’étaient pas utiles à sa défense".

Ce faisant, le tribunal administratif s’est inscrit dans la ligne de la jurisprudence du Conseil d’État (C.E., Section, 22 décembre 2023, Ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, n° 462455, au Recueil Lebon, LIJ n° 229, mars 2024) selon laquelle : "Dans le cas où l’agent public se plaint de ne pas avoir été mis à même de demander communication ou de ne pas avoir obtenu communication d’une pièce ou d’un témoignage utile à sa défense, il appartient au juge d’apprécier, au vu de l’ensemble des éléments qui ont été communiqués à l’agent, si celui-ci a été privé de la garantie d’assurer utilement sa défense."

Par ailleurs, le tribunal a considéré que la révocation était proportionnée à la gravité des faits de l’espèce consistant en la tenue de "propos ouvertement injurieux, outranciers et racistes" publiés sur le réseau social Twitter.

Les juges ont estimé que : "En tenant des propos incompatibles avec sa situation professionnelle, [le requérant] a, d’une part, terni l’image de l’administration, sa crédibilité, sa réputation et son honneur, et, d’autre part, compromis le lien de confiance qui doit unir les élèves et leurs parents aux enseignants. En outre, le bon fonctionnement du service a été perturbé (…). De plus, [M. X] n’a manifesté aucun regret pour ces propos. Par suite, les publications [du requérant] (…) ont manifestement porté atteinte à ses devoirs de réserve, de correction et de dignité."

Fautes

  • Enseignants-chercheurs – Comportement fautif (oui) – Absence de sanction disciplinaire

C.E., 27 mars 2024, Sorbonne Université, n° 470787

Poursuivi disciplinairement pour son comportement inapproprié envers l’une de ses étudiantes dont il assurait la direction de mémoire, un professeur des universités avait été relaxé par la section disciplinaire de son université. L’université avait formé un pourvoi en cassation contre la décision du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) statuant en matière disciplinaire ayant rejeté son appel formé contre cette décision de relaxe.

Le Conseil d’État a rejeté le pourvoi, considérant que le CNESER, statuant en matière disciplinaire, n’avait pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis "[en relevant], par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que l’échange d’un baiser entre [le professeur] et l’une de ses étudiantes, dont il assurait la direction de mémoire, lors d’une soirée passée dans un bar à l’occasion de laquelle les intéressés avaient consommé de l’alcool, constituait un fait isolé, n’ayant pas eu de conséquence sur le déroulement de la scolarité et le parcours professionnel de l’étudiante et pour lequel M. X avait immédiatement exprimé des regrets [et] en jugeant (…) qu’en dépit [de son] comportement fautif (…), ces faits ne justifiaient pas, dans les circonstances particulières de l’espèce, une sanction disciplinaire".

Ainsi, exerçant son office de juge de cassation limité, s’agissant de la matérialité des faits, à un contrôle de la dénaturation et, sur le caractère fautif, à un contrôle de la qualification juridique (cf. C.E., 27 février 2015, La Poste, n° 376598, au Recueil Lebon), le Conseil d’État a reconnu le caractère fautif du comportement de l’intéressé mais a considéré que cette faute, au regard des circonstances particulières de l’espèce, notamment du caractère incertain de l’initiative du baiser, des remords immédiats du professeur et de son comportement ultérieur vis-à-vis de l’étudiante, laquelle avait indiqué que cet évènement n’avait pas eu de conséquences sur sa scolarité et son parcours professionnel, n’était pas de nature à justifier une sanction disciplinaire.

Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, cette décision ne saurait être lue comme venant remettre en cause les récentes décisions sanctionnant les comportements inappropriés des enseignants-chercheurs vis-à-vis de leurs étudiants (cf. C.E., 18 décembre 2017, n° 396256 ; C.E., 10 mars 2023, n° 456602), les premiers demeurant soumis à l’exemplarité, à l’irréprochabilité et au respect des règles déontologiques inhérents à leurs fonctions (C.E., 9 octobre 2020, n° 425459, aux tables du Recueil Lebon ; C.E., 18 juillet 2018, Ministre de l'éducation nationale, n° 401527, aux tables du Recueil Lebon ; J.R.C.E., 26 août 2014, n° 382511).

Admission à la retraite

  • Maintien en fonctions sans radiation des cadres au-delà de la limite d'âge – Refus – Intérêt du service – Motif tiré du rajeunissement des effectifs

C.E., 11 avril 2024, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 489202, aux tables du Recueil Lebon
C.E., 11 avril 2024, Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, n° 490652, aux tables du Recueil Lebon

L'article 10 de la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 a créé pour les agents publics une nouvelle modalité de maintien en fonctions introduite au cinquième alinéa de l’article L. 556-1 du code général de la fonction publique (C.G.F.P.) qui prévoit que : "(…) le fonctionnaire occupant un emploi qui ne relève pas de la catégorie active et auquel s'applique la limite d'âge mentionnée au 1° du présent article [soixante-sept ans] ou une limite d'âge qui lui est égale ou supérieure peut, sur autorisation, être maintenu en fonctions sans radiation des cadres préalable, jusqu'à l'âge de soixante-dix ans."

Ce dispositif de droit commun de maintien en fonctions a été décliné, dans une rédaction similaire mais pas totalement identique, pour certaines catégories d'agents dans des textes spécifiques tels que l'article 1er de la loi du 23 décembre 1986 relative à la limite d'âge et aux modalités de recrutement de certains fonctionnaires civils de l'État, dont les membres du service de l'inspection générale des finances.

Bien que différents syntaxiquement, le dispositif de droit commun décrit à l'article L. 556-1 du C.G.F.P. et ceux inscrits dans des textes spécifiques par l'article 10 de la loi du 14 avril 2023 sont similaires dans leur structure comme dans leurs finalités : le maintien en fonctions de l'agent n'est pas de droit. Ce dispositif comprend une condition restrictive s'imposant à la demande de l'agent, à savoir l'intérêt du service qui ne peut, lui-même, être vérifié que par l'employeur doté sur cette question d'un large pouvoir d'appréciation.

Ainsi, dans la première affaire (n° 489202), ayant trait à la légalité du refus opposé à la demande d'un membre du service de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) d'être maintenu en fonctions au-delà de soixante-sept ans en application du cinquième alinéa de l'article L. 556-1 du C.G.F.P., le Conseil d'État a jugé que pour refuser cette demande, "comme elle en avait la faculté, l'administration s'est fondée sur la nécessité de renouveler, dans l'intérêt du service, la composition du service de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, par une réduction du nombre de membres de l'inspection appartenant, comme M. X, au groupe I et le recrutement d'inspecteurs plus jeunes appartenant aux groupes II et III. Ce motif, sur lequel pouvait légalement se fonder l'administration pour la mise en œuvre des dispositions précitées [article L. 556-1 du C.G.F.P.] relatives au maintien en activité au-delà de la limite d'âge dont M. X demandait l'application, rendait nécessaire la prise en compte de l'âge de l'intéressé. Par suite, en jugeant que le moyen tiré de l'illégalité de la décision en raison du caractère discriminatoire du motif tenant à l'âge de M. X était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit."

Après avoir annulé l'ordonnance du 20 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris, le Conseil d'État a rejeté la demande de l'inspecteur général de l'IGÉSR au motif que les éléments qu'il invoquait ne caractérisaient pas une situation d'urgence au sens et pour l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. En effet, si, pour caractériser l'existence d'une situation d'urgence, le requérant avait invoqué la perte de revenus correspondant à la différence entre sa rémunération et la pension à laquelle il aurait droit ainsi que l'absence de prise en compte dans le calcul de celle-ci de son dernier échelon indiciaire et l'impossibilité de bénéficier de soixante jours de congés inscrits sur son compte épargne-temps, "il n'apport[ait] toutefois aucune précision sur le caractère insuffisant de la pension qui lui serait octroyée au regard de ses charges actuelles, alors même qu'il ne pouvait ignorer le moment où il atteindrait la limite d'âge et les conséquences normalement attendues de celle-ci-sur ses revenus".

Dans la seconde affaire (n° 490652), ayant trait à la légalité du refus opposé à la demande d'une membre du service de l'inspection générale des finances (I.G.F.) d'être maintenue également en fonctions au-delà de soixante-sept ans en application de l'article 1er de la loi du 23 décembre 1986, le Conseil d'État a jugé que "comme elle en avait la faculté, l'administration s'est fondée sur la nécessité de renouveler, dans l'intérêt du service, la composition du service de l'inspection générale des finances, par une réduction du nombre de membres de l'inspection appartenant, comme Mme Y, au groupe I et le recrutement d'inspecteurs plus jeunes appartenant aux groupes II et III. (…) l'administration, qui dispose d'un large pouvoir d'appréciation, pouvait légalement se fonder sur ce motif pour refuser le maintien en activité au-delà de la limite d'âge dont Mme Y demandait le bénéfice. Par suite, en jugeant que le motif tiré de la volonté de rajeunir les effectifs du service de l'inspection générale des finances, qui rendait nécessaire la prise en compte de l'âge de l'intéressée et n'est, au demeurant, pas incompatible avec un objectif de féminisation du service, était en contradiction avec l'intention du législateur, que la décision était entachée d'erreur manifeste sur l'appréciation de l'intérêt du service et que les moyens soulevés étaient ainsi de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier."

Après avoir annulé l'ordonnance du 20 décembre 2023 du même juge des référés du tribunal administratif de Paris, le Conseil d'État a rejeté la demande de l'inspectrice générale de l'I.G.F. au motif que les moyens qu'elle invoquait, tirés de ce que la décision de refus qui lui avait été opposée serait entachée d'erreurs de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation, ne paraissaient pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

N.B. : Ainsi, et comme, du reste, c'était déjà le cas sous l'empire d'un précédent dispositif différent prévu à l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, qui permettait un maintien en activité, mais pour les seuls fonctionnaires qui n'avaient pas cotisé assez longtemps pour obtenir une pension à taux plein au moment de la limite d'âge (dispositif repris à l'article L. 556-5 du C.G.F.P.), le maintien en fonctions du fonctionnaire au-delà de la limite d’âge, en application de l'article L. 556-1 du C.G.F.P., constitue une simple faculté laissée à l’appréciation de l’autorité administrative. Celle-ci détermine et motive sa position en fonction de l’intérêt du service, qui peut procéder de considérations tirées d’équilibres internes à un corps ou à une institution, comme le fait de privilégier le recrutement de nouveaux agents sur le maintien en activité d’agents au-delà de la limite d’âge, ou de considérations relatives à l'agent concerné, à l'instar de son aptitude physique, de sa manière de servir ou de compétences rares.

En ce qui concerne le motif tiré du rajeunissement des effectifs d'un service, le Conseil d'État avait déjà jugé, sous l'empire de l'article 1-1 de la loi du 13 septembre 1984, que la nécessité de privilégier le recrutement de jeunes agents sur le maintien en activité au-delà de la limite d’âge peut fonder le refus de maintenir un fonctionnaire en activité au-delà de la limite d'âge (cf. C.E., 21 septembre 2020, C.N.R.S., n° 425960, aux tables du Recueil Lebon).

Dans cette affaire, une circulaire fixait aux services de l'établissement des orientations générales pour l'appréciation des demandes de maintien en activité au regard de l'intérêt du service, en leur demandant de privilégier le recrutement de jeunes chercheurs plutôt que le maintien en activité des agents ayant atteint la limite d'âge, tout en invitant à procéder à un examen particulier de chaque demande et en précisant qu'il devait être dérogé à cette orientation générale lorsque les circonstances propres au cas particulier le justifiaient dans l'intérêt du service.

Incapacité

  • Incapacité professionnelle entraînant la radiation des cadres – Condamnation pour crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs – Provocation publique à la haine raciale ou à la violence

T.A. Strasbourg, 10 avril 2024, n° 2202900

La requérante, professeure dans l'enseignement secondaire, avait été condamnée par le tribunal correctionnel de Metz à une peine de six mois d’emprisonnement délictuel avec sursis pour s’être rendue coupable de faits de provocation publique à la haine raciale ou à la violence en raison de l’origine, de l’ethnie, la nation, la race ou la religion par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, délit prévu au septième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

En raison de ces faits, le ministre de l’éducation nationale avait, par une décision du 4 mars 2022, radié des cadres cette professeure sur le fondement du 1° du I. de l’article L. 911-5 du code de l’éducation, qui édicte une incapacité professionnelle d’exercer des fonctions au sein d’un établissement scolaire pour les personnes qui ont subi une condamnation judiciaire pour un "délit contraire à la probité et aux mœurs, y compris un crime ou un délit à caractère terroriste".

En l’espèce, cette professeure avait été condamnée pour avoir brandi, au cours d’une manifestation publique réunissant des opposants au passe sanitaire, une pancarte comportant l'apostrophe "traîtres, mais qui ?" suivie de noms de personnalités politiques et intellectuelles françaises appartenant supposément à la communauté juive.

Pour condamner l’intéressée, le juge pénal a considéré que "le fait de qualifier la communauté juive de "traître" avec une iconographie invitant à la diaboliser visait à faire naître à son égard un sentiment de haine, d’hostilité, de rejet, en la désignant publiquement comme étant responsable de la gestion de la crise épidémique dans le cadre de l’émergence et de la propagation du virus de la Covid-19".

Dans ces conditions, le tribunal a jugé qu'"eu égard à leur nature même, les faits (…) qui ont donné lieu à une condamnation à une peine de six mois d’emprisonnement délictuel avec sursis, sont contraires à la probité, ainsi que l’a retenu l’administration sans entacher son appréciation d’une erreur. Mme X ne saurait sérieusement soutenir que les faits retenus par le tribunal correctionnel et l’administration, et ayant motivé sa condamnation pénale, ne seraient que la simple expression de sa liberté d’opinion et ne seraient pas incompatibles avec ses fonctions d’enseignante. Il ressort des propres termes de l'arrêté en litige que le ministre a rappelé que la radiation prise en application de l'article L. 911-5 du code de l'éducation vise à garantir la moralité d'une profession et à protéger les enfants et les adolescents en interdisant que soient employées dans les établissements d'enseignement des personnes condamnées pour des faits graves. La circonstance que les faits reprochés n'ont pas été commis dans l'exercice de ses fonctions est sans incidence sur la gravité des actes commis par Mme X et leur incompatibilité avec les fonctions d'enseignante. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté."

En conséquence, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête.

Rupture conventionnelle et indemnité de départ volontaire

  • Psychologue de l’éducation nationale – Demande de rupture conventionnelle – Motif de refus – Intérêt du service – Déficit d’effectifs

T.A. Orléans, 19 avril 2024, n° 2204264

La requérante, psychologue de l’éducation nationale spécialité Éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle (EDO), affectée au sein d’un centre d'information et d'orientation (C.I.O.), avait saisi la rectrice de l’académie d’Orléans-Tours d’une demande de rupture conventionnelle en vue d’une reconversion professionnelle.

Par une décision du 17 juin 2022, la rectrice avait refusé de faire droit à cette demande compte tenu du déficit important d'effectifs de psychologues de l'éducation nationale titulaires de la même spécialité que la sienne au sein de la circonscription académique.

Par un jugement du 19 avril 2024, le tribunal administratif a rejeté la demande d'annulation de ce refus.

Le tribunal a tout d’abord cité le I. de l’article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique aux termes duquel : "L'administration et le fonctionnaire (…) peuvent convenir en commun des conditions de la cessation définitive des fonctions, qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire. La rupture conventionnelle (…) ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties."

Le tribunal a ensuite rappelé, ainsi que cela a déjà été jugé, d’une part, que la rupture conventionnelle ne constitue pas un droit pour l’agent et que saisie d’une demande en ce sens, l'administration peut la rejeter dans l'intérêt du service et, d’autre part, que le contrôle du juge sur l'appréciation portée par l’administration sur la demande est restreint à l’erreur manifeste (cf. C.A.A. Marseille, 27 juin 2023, n° 22MA02314, et C.A.A. Lyon, 11 janvier 2024, n° 22LY02371).

En l’espèce, la requérante soutenait que le déficit d’effectifs motivant la décision de refus de la rupture conventionnelle était compensé par le recrutement d'agents contractuels. Elle faisait également valoir que cette circonstance n’avait pas fait obstacle au détachement dans un autre corps de deux psychologues de l'éducation nationale affectés au sein du même C.I.O., ni à son propre placement en disponibilité, qu'elle avait demandé et obtenu à la suite du refus opposé à sa demande de rupture conventionnelle.

Le tribunal a écarté ces arguments comme étant inopérants, tout en relevant qu’en tout état de cause, l’acceptation par l’administration de demandes de détachement ou de disponibilité formulées par des psychologues de l’éducation nationale titulaires de la même spécialité ne remettaient pas en cause le bien-fondé du motif de refus opposé, lesdites positions ne mettant pas fin au lien de ces agents avec le service, contrairement à la rupture conventionnelle qui entraîne cessation définitive de fonctions, radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire, conformément aux dispositions du I. de l'article 72 de la loi du 6 août 2019.

CDIsation

  • Agent contractuel de la fonction publique territoriale – Durée des services publics – Contrat à durée déterminée – Non-renouvellement – Contrat à durée indéterminée

C.E., 26 février 2024, Commune de Sada, n° 472075, aux tables du Recueil Lebon

La commune de Sada avait recruté le requérant à compter du 1er septembre 2016 pour occuper un emploi permanent, par quatre contrats successifs d’une durée d’un an et un mois pour les deux premiers, d'un an pour le troisième et de trois ans pour le dernier. Le maire avait informé l'agent de son intention de ne pas reconduire son dernier engagement. Ayant atteint une ancienneté de six ans au cours de l'exécution de ce quatrième et dernier contrat, l'intéressé avait revendiqué sa transformation en contrat à durée indéterminée.

La commune de Sada s'était pourvue en cassation contre l’ordonnance rendue le 24 février 2023 par le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, qui avait suspendu l'exécution de la décision du maire et enjoint à la commune de procéder, à titre provisoire, à la réintégration de l'intéressé au titre d'un contrat à durée indéterminée (C.D.I.).

Après avoir rappelé qu’en application des articles L. 332-9 à L. 332-11 du code général de la fonction publique, le renouvellement d’un contrat à durée déterminée (C.D.D.) ne peut se faire que par une décision expresse et pour une durée indéterminée si l’agent "justifie d'une durée de services publics de six ans au moins auprès de la même collectivité ou du même établissement sur des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique", le Conseil d’État a précisé, d’une part, qu’il n’existe pas de droit au renouvellement pour un titulaire d’un C.D.D. et, d’autre part, qu’alors même que l’agent disposerait des conditions d’ancienneté requises, son C.D.D. ne saurait, pour autant, être tacitement transformé en contrat à durée indéterminée (cf. C.E., 30 septembre 2015, n° 374015, aux tables du Recueil Lebon, sous l'empire de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale).

Ainsi, si les parties au contrat peuvent conclure un nouveau contrat à durée indéterminée sans attendre l’échéance du C.D.D. en cours, l’administration n’est toutefois pas tenue de procéder à une telle transformation de la nature du contrat ni de procéder à son renouvellement à son échéance.

Par suite, le Conseil d’État a jugé qu’en retenant que la décision du maire méconnaissait le droit de l’intéressé à voir son engagement poursuivi au-delà d’une durée de services de six ans sous la forme d’un C.D.I., le juge des référés avait commis une erreur de droit.

Personnels d’éducation et de surveillance

  • Accompagnants des élèves en situation de handicap – Transformation d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (absence)

T.A. Strasbourg, 21 février 2024, n° 2207182

Depuis la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, l’article L. 917-1 du code de l’éducation prévoit que : "Lorsque l’État conclut un nouveau contrat avec une personne ayant exercé pendant six ans en qualité d’accompagnant des élèves en situation de handicap en vue de poursuivre ces missions, le contrat est à durée indéterminée."

Une accompagnante d’élèves en situation de handicap (A.E.S.H.) ayant cumulé six années de services effectifs en cette qualité et remplissant les conditions pour obtenir la transformation de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (C.D.I.) sur le fondement de l’article L. 917-1 du code de l’éducation, demandait au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler les décisions par lesquelles le directeur académique des services de l’éducation nationale du Bas-Rhin, d’une part, puis, sur recours gracieux, le directeur de cabinet du recteur de l’académie de Strasbourg, d'autre part, lui avaient indiqué qu’à l’issue de sa période d’engagement de travail expirant le 31 août 2022, son contrat ne serait ni transformé en C.D.I. ni renouvelé.

Le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête.

La requérante, qui avait cumulé en cours de contrat ses six années de services effectifs en qualité d’A.E.S.H., soutenait qu’en décidant qu’à l’expiration de sa période d’engagement de travail, son contrat ne serait pas transformé en C.D.I., l’administration aurait commis une erreur de droit.

Le juge a d’abord rappelé que le contrat de cet agent A.E.S.H. avait été conclu sur le seul fondement des dispositions spéciales de l’article L. 917-1 du code de l’éducation, et non sur les dispositions générales du code général de la fonction publique qui prévoit à son article L. 332-4, reprenant l’article 6 bis de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, dans sa rédaction issue de la loi du 12 mars 2012, dite "loi Sauvadet", que lorsque l’agent atteint la durée de six années de services accomplis avant l’échéance de son contrat en cours, l’autorité d’emploi lui adresse une proposition de transformation de son contrat en C.D.I., et qu’à défaut de proposition, l’agent peut, jusqu’à, au plus tard, deux mois après l’expiration de son contrat, demander le bénéfice de cette transformation (cf. C.E., 27 novembre 2020, Institut national de la santé et de la recherche médicale, n° 432713, aux tables du Recueil Lebon).

Le tribunal administratif a ensuite interprété les dispositions de l’article L. 917-1 du code de l’éducation comme "n’impliqu[ant] pas une transformation en contrat à durée indéterminée du contrat alors en cours (…) [mais] impliqu[ant] seulement que lorsque l’État conclut un nouveau contrat avec l’agent, ce contrat est à durée indéterminée" (point 4), et il a, par suite, écarté le moyen d’erreur de droit.

Enfin, sur la base d’un contrôle restreint (cf. C.E., 13 février 1987, n° 35499, aux tables du Recueil Lebon) et en application de la jurisprudence permettant de refuser un renouvellement du contrat d’un agent en raison de ce que son comportement n'aurait pas donné entière satisfaction dans l’exercice de ses fonctions (C.E., 5 décembre 2005, n° 262948 ; C.E., 10 juillet 2015, Département de la Haute-Corse, n° 374157, aux tables du Recueil Lebon ; C.E., 19 décembre 2019, Commune du Vésinet, n° 423685, aux tables du Recueil Lebon), le tribunal a estimé qu’en l’espèce, la requérante, qui avait eu une posture et un positionnement inadaptés à l’égard des enfants accompagnés, de leurs parents et des professionnels, ne démontrait pas que le recteur aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de renouveler son contrat pour ce motif (point 6).

Responsabilité

Mise en cause de la responsabilité de l’administration

  • Blocage d’établissements scolaires – Mouvements de grève – Préjudice subi par les élèves – Absence de carence fautive de l’État et des collectivités territoriales – Absence de responsabilité sans faute de l’État

C.A.A. Bordeaux, 29 février 2024, n° 22BX00196
C.A.A. Bordeaux, 29 février 2024, n° 22BX00197
C.A.A. Bordeaux, 29 février 2024, n° 22BX00198

Des élèves et leurs parents avaient engagé une action en responsabilité à l’encontre de l’État, de la commune de Fort-de-France, de la commune de Schœlcher et de la collectivité territoriale de Martinique au titre des préjudices qu’ils estimaient avoir subis en raison du blocage des établissements scolaires au sein desquels ces élèves étaient scolarisés, intervenu dans le cadre de la mobilisation autour du projet de loi instituant un système universel de retraite, entre décembre et mars 2020.

Par trois arrêts en date du 29 février 2024, la cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé les jugements attaqués et rejeté ces requêtes.

En premier lieu, les requérants, qui se prévalaient de la méconnaissance du droit à l’éducation reconnu par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, du principe d’égalité de l’accès à l’éducation, du principe de continuité du service public de l’éducation et des articles L. 111-1 et L. 111-2 du code de l’éducation, mettaient en cause "l’inaction et les carences de l’État en l’absence de mesures pour faire cesser les blocages, à travers des procédures de référé ou l’intervention des forces de l’ordre ou un meilleur suivi des agents grévistes".

La cour a tout d’abord rappelé la jurisprudence du Conseil d’État aux termes de laquelle, d’une part :"Il incombe à l'autorité administrative de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la continuité du service public, notamment en cas d'interruption due à la grève des agents de ce service" (cf. C.E., Assemblée, 18 janvier 1980, Syndicat C.F.D.T. des Postes et télécommunications du Haut-Rhin, n° 07636, au Recueil Lebon) et, d’autre part : "Dans le cas d’un mouvement de grève illicite, les manquements disciplinaires ainsi commis par chacun des agents participant au mouvement n'ont pas de lien direct avec le préjudice subi par les usagers du service. Ceux-ci peuvent seulement se prévaloir, soit de la faute commise par l'État en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour assurer le fonctionnement normal du service, soit de l'atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques résultant du préjudice anormal qu'ils auraient éprouvés de ce fait." (C.E., 6 novembre 1985, Société Condor-Flugdienst, n° 48630, au Recueil Lebon.)

La cour a ensuite estimé qu’il résultait de l’instruction que "les chefs d’établissement et les services du rectorat ont été confrontés à un mouvement de contestation qui touchait pratiquement l’ensemble des établissements du secondaire de la Martinique et dont les enjeux dépassaient le cadre local et les agents relevant du ministère de l’éducation nationale (…) [et que] le rectorat et le ministère se sont efforcés, en lien avec les chefs d'établissement, de maintenir le dialogue avec les agents grévistes et les fédérations de parents d'élèves et de trouver des solutions de nature à permettre la réouverture des établissements (…). Dans ce cadre de tensions généralisées, et alors que des rencontres avec les syndicats ont été organisées notamment le 21 janvier 2020 et que des inspecteurs généraux de l’éducation nationale ont été missionnés par le ministre début février, la réaction des services de l’État ne peut être regardée comme tardive. En outre, les seules affirmations d[es] requérant[s] ne sont pas de nature à établir qu’il était facilement possible de libérer les accès ou de reprendre les enseignements lorsque les accès ont été ponctuellement dégagés par des parents d’élèves. De même, en raison de la nature multiforme de ce mouvement, il ne résulte pas de l’instruction qu’un meilleur suivi des agents grévistes aurait permis le retour à une situation normale."

La cour en a déduit que : "Dans ce contexte, l’absence de recours à des mesures coercitives pour faire cesser les blocages ne peut être considérée comme une carence systématique constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l’État, le[s] requérant[s] ne pouvant à cet égard utilement se prévaloir de l’intervention des forces de l’ordre en métropole dans des situations qui n’étaient pas comparables."

Elle a également retenu que "quand bien même tous les enseignants n’auraient pas été grévistes, il ne résulte pas de l’instruction que les services de l’éducation nationale disposaient à cette date de moyens, notamment numériques, lui permettant de mettre en place de façon rapide des modes d’enseignement alternatifs en distanciel. À cet égard le[s] requérant[s] ne saurai[ent] utilement se prévaloir des solutions mises en place en urgence au niveau national quelques semaines plus tard dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19." Elle en a conclu que : "Dans ce contexte, l'absence de solution alternative d'enseignement ne peut être regardée comme fautive."

En outre, elle a rappelé que, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État mentionnée supra (n° 48630), "les manquements disciplinaires collectivement commis par les agents grévistes n’ont pas de lien direct avec le préjudice subi par les usagers du service public [et que] dès lors, [les requérants] ne peu[vent] se prévaloir, pour engager la responsabilité de l’État, de l’illégalité des actes d’entrave qui auraient été commis par les agents grévistes de l’éducation nationale à l’occasion du blocage [des établissements scolaires]".

Enfin, elle a jugé que, d’une part, "cette situation ne [pouvait] être regardée comme une atteinte à la liberté d’aller et venir et, d’autre part, [les requérants] ne saurai[ent] se prévaloir d’une atteinte portée au droit de [leurs] enfants à suivre une scolarité normale, protégés par les articles 28 et 29 de la Convention relative aux droits de l'enfant, dès lors que les stipulations de ces articles, qui créent des obligations entre États sans ouvrir de droit aux intéressés, ne peuvent utilement être invoquées à l'appui d'un recours en responsabilité".

En deuxième lieu, la cour a estimé, à l’égard de la demande d’engagement de la responsabilité de la collectivité territoriale de Martinique que : "Si les locaux des établissements d'enseignement secondaire sont la propriété de la collectivité territoriale de Martinique, qui est responsable des conditions d'accueil et du fonctionnement matériel des établissements, en application de l'article L. 213-2 du code de l'éducation, ces locaux sont mis à la disposition de l'État pour assurer le service public de l'enseignement", et que : "Dans ce cadre, la gestion des accès et l'organisation des enseignements, qui se rattachent aux missions d'encadrement et de surveillance des élèves, relèvent, en application de l'article L. 421-3 du code de l'éducation, de la responsabilité du chef d'établissement, au nom de l'État. Dès lors, [elle a jugé que] la seule circonstance invoquée par le[s] requérant[s] de ce que la collectivité territoriale de La Martinique est propriétaire des locaux [des établissements concernés] n’est pas de nature à engager sa responsabilité du fait de l’interdiction de l’accès [à leurs] locaux (…)." (Arrêts nos 22BX00196 et 22BX00198.)

En troisième lieu, la cour a rappelé qu’aux termes de l'article L. 2212‑2 du code général des collectivités territoriales : "La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (…)."

Elle a ensuite estimé que : "En se bornant à se prévaloir de ces dispositions, [les requérants], qui ne soutiennent pas que les dispositifs utilisés par les manifestants pour entraver l'accès aux établissements d'enseignement se trouvaient sur le domaine public communal et obstruaient la voie publique ou les trottoirs, n'apporte[nt] aucun élément de nature à démontrer que le blocage [des établissements scolaires] aurait porté atteinte à la sûreté ou à la commodité de passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ni généré un risque quelconque pour la sécurité des personnes ou des biens (…)." Ainsi, elle a considéré que "le moyen tiré de ce que la responsabilité [des] commune[s] (…) devrait être engagée à raison d'une carence fautive dans la mise en œuvre des pouvoirs généraux de police municipale de [leur] maire doit être écarté". (Ibid. : arrêts nos 22BX00196 et 22BX00198.)

Enfin, la cour a écarté la responsabilité sans faute de l’État au motif que : "Alors que les blocages ont concerné la quasi-totalité des établissements secondaires de Martinique et que les seules affirmations [des] requérant[s] ne sont pas de nature à établir un exercice illégal du droit de grève par les personnels de l’éducation nationale, les calculs [des] requérant[s] fondés sur l'application au nombre d'heures de cours non assurés d'un tarif de cours particuliers et l'invocation générale du préjudice moral subi du fait de la rupture des enseignements ne sont pas de nature à établir l'existence d'un préjudice anormal et spécial, alors, en outre, qu'il ne résulte pas de l'instruction que [leurs] enfants auraient rencontré par la suite des difficultés scolaires particulière du fait de cette situation."

Procédure contentieuse et questions de droit civil et pénal appliquées au droit de l’enseignement

Compétence des juridictions

  • Établissements d’enseignement supérieur technique privés – Compétence du juge judiciaire – Refus de délivrance du diplôme – Refus de redoublement – Diplôme visé – Diplôme conférant grade

C.E., 3 avril 2024, n° 468768, aux tables du Recueil Lebon
C.E., 3 avril 2024,
n° 472137, aux tables du Recueil Lebon

Le Conseil d’État, qui était saisi de deux pourvois en cassation contre des ordonnances de référé rejetant des requêtes formées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative par deux étudiants inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur technique privés, en l’occurrence les écoles de commerce Neoma Business School et Excelia, est venu préciser la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction au regard des caractéristiques de ces diplômes.

Dans l’instance n° 468768, un étudiant demandait la suspension de la décision du jury de fin d’études de l’établissement en ce qu’elle lui avait refusé la délivrance de son diplôme "Grande école – Master in management" et ne l’autorisait pas à redoubler. S’agissant de l’instance n° 472137, une étudiante demandait la suspension de la décision par laquelle le directeur général de son établissement avait notamment refusé la validation de sa troisième année de diplôme de "Bachelor en management du tourisme et de l'hôtellerie". Les juges des référés avaient, par leurs ordonnances respectives n° 2203977 du 24 octobre 2022 et n° 2202973 du 19 décembre 2022, rejeté les requêtes.

D’une part, le Conseil d’État a tout d’abord rappelé l’article L. 443-1 du code de l’éducation et l'article L. 641-5 du même code, aux termes duquel : "Des certificats d'études et des diplômes peuvent être délivrés, dans les conditions déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil supérieur de l'éducation, par les écoles techniques privées reconnues par l'État."

Il a alors énoncé que : "À ce titre, l'arrêté du 8 mars 2001 relatif aux diplômes délivrés par les établissements d'enseignement supérieur technique privés et consulaires reconnus par l'État prévoit, à son article 1er, que ces établissements peuvent être autorisés à délivrer à leurs étudiants des diplômes revêtus du visa de l'État, que cette autorisation est accordée, après évaluation des formations, par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur pour une durée maximale de six ans, renouvelable, après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, [et] que le ministre chargé de l'enseignement supérieur arrête les conditions d'admission dans ces établissements et publie annuellement le nombre de places mises aux concours."

D’autre part, le Conseil d’État a retenu que les termes de l’article L. 613-1 du code de l’éducation disposent que : "L'État a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires. / Les diplômes nationaux délivrés par les établissements sont ceux qui confèrent l'un des grades ou titres universitaires dont la liste est établie par décret (…)."

Dans le cadre ainsi tracé, le Conseil d’État a fait application des dispositions propres aux diplômes de chacun de ces étudiants.

Ainsi, sur le fondement de l’article D. 612-34 du code de l’éducation, aux termes duquel "(…) le grade de master est également conféré de plein droit aux titulaires des diplômes délivrés au nom de l’État, de niveau analogue, figurant sur une liste établie après une évaluation nationale périodique de ces diplômes, par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur après avis conforme du ou des ministères dont relèvent les établissements concernés et après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche", le Conseil d’État a jugé qu’il ressortait des pièces du dossier que le diplôme afférent au programme "Grande école – Master in management", dans lequel était inscrit l’étudiant, était revêtu du visa de l’État et conférait le grade de master. Le Conseil d’État en a conclu qu’un tel diplôme étant délivré au nom de l’État, les litiges relatifs à sa délivrance ressortissaient à la compétence du juge administratif.

En revanche, en vertu de l'article D. 612-32-2 du même code selon lequel : "Le grade de licence est conféré de plein droit aux titulaires : / (…) / 21° Des diplômes de premier cycle délivrés par les établissements d'enseignement supérieur privés mentionnés à l'article L. 641-3 et les écoles supérieures de commerce relevant de l'article L. 753-1 et figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé de l'enseignement supérieur après avis du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche", le Conseil d’État a relevé que si ce diplôme de "Bachelor en management du tourisme et de l'hôtellerie" était bien revêtu du visa de l'État, il ne conférait pas de grade universitaire et n’était donc pas délivré au nom de l'État. Il en a déduit que les contestations de l'étudiante dirigées contre la décision du directeur général de son établissement refusant de valider sa troisième et dernière année ne ressortissaient pas à la compétence de la juridiction administrative.

N.B. : Les diplômes conférant grade sont délivrés au nom de l’État, même lorsqu’ils sont obtenus à la suite d’une formation suivie dans un établissement privé d’enseignement supérieur, et procèdent donc d’une décision administrative.

A contrario, un diplôme simplement revêtu du visa de l’État est délivré par les établissements privés. À partir de cette distinction, le Conseil d’État détermine les diplômes des établissements privés d’enseignement supérieur dont le contentieux ressortit à la compétence du juge administratif et ceux qui ressortissent à l’ordre judiciaire.

Il était, en revanche, déjà jugé que les litiges portant sur les refus de redoublement au sein des programmes de l’enseignement supérieur privé sont des mesures d’ordre interne ressortissant à la compétence du juge judiciaire (cf. C.E., 30 juin 1978, n° 03883, au Recueil Lebon ; C.E., 28 juin 1995, n° 75258, n° 108281 et n° 110416, aux tables du Recueil Lebon) et la décision n° 468768 ne constitue donc qu’une confirmation sur ce point.

La Cour de cassation a, par ailleurs, récemment rappelé que les contrats conclus entre les établissements d’enseignement supérieur privés et leurs étudiants n’échappaient pas au contrôle du juge judiciaire en cas de litige (cf. Cass. 1re civ., 31 janvier 2024, n° 21-23.233, au Bulletin, LIJ n° 230, mai 2024).

Exécution des jugements

  • Délai d’exécution trop long – Responsabilité de l’université – Préjudice moral – Perte de chance (absence)

T.A. Cergy-Pontoise, 26 mars 2024, n° 2313403

Une étudiante, inscrite en deuxième année de master "psychologie : enfance, adolescence et institution" au titre de l’année universitaire 2017-2018, avait été ajournée par une délibération du jury. Par un jugement n° 1809243 du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait, d’une part, annulé cette délibération au motif qu’elle était dépourvue de base légale et, d’autre part, enjoint à l’université de délivrer à l’étudiante le relevé de notes portant la mention "admise en M2" et le diplôme correspondant dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement.

L’université n’avait délivré à l’étudiante le diplôme de master 2 et le relevé de notes correspondant que le 29 novembre 2023, à la suite de l’ouverture, par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d’une procédure juridictionnelle en vue de prescrire les mesures d’exécution du jugement.

En l’espèce, l’étudiante demandait au même tribunal de condamner l’université à l’indemniser des préjudices qu’elle estimait avoir subis en raison de l’illégalité de la décision de refus d’admission en deuxième année de master et du délai d’exécution du jugement intervenu trois ans après sa notification.

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé que l’illégalité de la décision d’ajournement ainsi que le délai, anormalement long, d’exécution du jugement du 10 juillet 2020 étaient de nature à engager la responsabilité de l’université.

Après avoir considéré que la requérante ne pouvait prétendre à une indemnisation au titre de la perte de revenus résultant de l’impossibilité d’exercer sa profession pendant plus de cinq ans, au motif que "l’étude de marché qu’elle a réalisée, en l’absence de tout autre élément, est insuffisante à établir le caractère certain de la perte de revenus dont elle se prévaut", les premiers juges ont, en revanche, retenu que les suites des fautes de l’université avaient causé à l’intéressée un préjudice moral direct et certain, évalué à 3 000 euros. À cet égard, la circonstance que la crise sanitaire survenue en 2020 aurait perturbé le bon fonctionnement de l’université ne suffisait pas à justifier une exécution aussi tardive d’un jugement rendu en 2018.

Accès aux documents administratifs

Autres motifs

  • Refus de communication de documents administratifs – Délai raisonnable – Délai de recours

C.E., 11 mars 2024, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 488227 et n° 488228, aux tables du Recueil Lebon

Dans cette décision, le Conseil d’État a étendu au contentieux de l’accès aux documents administratifs l’application de sa jurisprudence "Czabaj" (C.E., Assemblée, 13 juillet 2016, n° 387763, au Recueil Lebon) selon laquelle une décision administrative qui ne mentionne pas les délais et voies recours, dont l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire, faisant ainsi obstacle à l’opposabilité du délai de recours contentieux, ne peut être contestée que dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder un an, sauf circonstances particulières. Il a, par ailleurs, précisé le point de départ de ce délai raisonnable.

En l’espèce, une société d’édition avait demandé en septembre 2020 au ministre chargé de l’éducation nationale de lui communiquer des résultats d’évaluation des acquis des élèves de différents niveaux pour les années 2016 à 2019.

Sa demande ayant été implicitement rejetée, la société avait ensuite saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), le 27 octobre 2020, qui avait rendu, le 10 décembre 2020, un avis favorable (n° 20204268) à la communication de ces documents. Entre-temps, par courriel du 9 novembre 2020, le ministre avait confirmé à la société son refus de communication.

Le 1er décembre 2021, soit plus d’un an à compter du refus de communication explicite opposé par le ministre, la société requérante avait saisi le tribunal administratif qui avait fait droit à sa demande d’annulation de la décision de refus de communication.

Le tribunal administratif a jugé que la requête n’était pas tardive, en faisant application de la jurisprudence "Czabaj" et en fixant le point de départ du délai raisonnable à la date de naissance d’une décision implicite de refus, soit deux mois après la saisine de la CADA, en application des articles R. 343-4 et R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration qui prévoient que le silence gardé par l’administration dans un délai de deux mois suivant la saisine de la CADA vaut décision implicite de rejet.

Il a ainsi estimé que le courriel du 9 novembre 2020 ne pouvait pas constituer la confirmation du refus de communication de l’administration, au motif que l’avis de la CADA, qui doit permettre d'éclairer la décision de l'administration, n’avait pas encore été rendu. En tout état de cause, il a également jugé que la notification de l'avis de la CADA constituait une circonstance particulière justifiant de prolonger le délai raisonnable d'un an.

Statuant sur le pourvoi formé par le ministre, le Conseil d’État a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il a appliqué la jurisprudence "Czabaj".

Il a toutefois jugé, d’une part, que le refus de communication explicite opposé à la société, postérieurement à la saisine de la CADA, devait être regardé comme la confirmation du refus de communication, qui avait donc fait obstacle à la naissance d'une décision implicite à l'expiration du délai de deux mois mentionné à l'article R. 343-5, et que, par suite, le tribunal avait commis une erreur de droit.

D’autre part, le Conseil d’État a également jugé que l’intervention de l’avis de la CADA ne constituait pas une circonstance particulière susceptible d’augmenter le délai raisonnable de recours au-delà d’un an. La requête formée par la société d’édition a donc été jugée irrecevable car tardive.

  • Communication de documents administratifs – Demande de protection fonctionnelle – Refus de communication à un tiers

C.E., 11 mars 2024, n° 454305, aux tables du Recueil Lebon

Dans cette décision, le Conseil d’État a tracé les contours de la communicabilité d’une demande de protection fonctionnelle.

En l’espèce, un agent public, mis en cause pour des faits de harcèlement au sein d’un établissement public administratif, avait sollicité, sur le fondement du code des relations entre le public et l’administration (C.R.P.A.), la communication de deux demandes de protection fonctionnelle présentées par deux autres agents de l’établissement.

Sa demande n’ayant pas été satisfaite, il avait saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) puis le tribunal administratif qui avaient confirmé le refus de communication en se fondant sur le 3° de l’article L. 311-6 du C.R.P.A., aux termes duquel ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs "faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice", et qui avaient estimé que seul l’auteur d’une demande de protection fonctionnelle avait la qualité de personne intéressée à l’égard de ce document, qui n’était, par conséquent, pas communicable aux tiers.

Statuant sur le pourvoi formé par le requérant, le Conseil d’État a jugé que la demande adressée par un agent public à l’administration dont il dépend en vue d’obtenir le bénéfice de la protection fonctionnelle faisait apparaître son comportement au sens et pour l’application du 3° de l’article L. 311-6 du C.R.P.A. et que la communication d’une telle demande de protection fonctionnelle à un tiers était, par elle-même et quel que soit son contenu, de nature à porter préjudice à la personne concernée, à savoir l’auteur de la demande.

Il a donc admis, par exception au principe selon lequel l’appréciation de l’existence d’un préjudice pour la personne intéressée relève d’un examen au cas par cas, qu’une demande de protection fonctionnelle n’était communicable qu’à son auteur et ne saurait être communiquée à des tiers sur le fondement du 3° de l’article L. 311-6 du C.R.P.A.

Sports

Professions sportives

  • Mesure d'interdiction d'exercer – Principe du contradictoire – Communication de témoignages

C.A.A. Versailles, 9 avril 2024, n° 22VE00249

Un entraîneur bénévole d’athlétisme contestait la décision par laquelle il s’était vu infliger une interdiction, par le préfet, d’exercer les fonctions mentionnées à l’article L. 212-1 du code du sport en raison des faits d’attouchements sexuels et de harcèlement moral, physique et sexuel pour lesquels il avait été mis en cause.

Après avoir cité l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration relatif aux décisions soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ainsi que l'article L. 211-2 du même code, visant notamment les "décisions qui (…) / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (…)", la cour a précisé que ces dispositions étaient applicables aux décisions par lesquelles le préfet interdit d'exercer les fonctions mentionnées à l'article L. 212-1 du code du sport.

Puis, la cour a considéré que : "Ni ces dispositions, ni celles du code du sport, non plus qu'aucun principe général du droit n'imposent à l'autorité administrative, avant de prendre une décision d'interdiction d'exercice des fonctions mentionnées à l'article L. 212-1 du code du sport, de communiquer à l'intéressé l'intégralité des documents au vu desquels il entend fonder sa décision."

Si l'autorité administrative décide de communiquer des documents, voire l'intégralité des documents, elle doit, pour déterminer les modalités de cette communication, en apprécier au préalable les risques de préjudice pour les personnes entendues.

Faisant ainsi application de la jurisprudence du Conseil d’État concernant la communication de témoignages dans le cadre de procédures disciplinaires (cf. C.E., 28 janvier 2021, n° 435946, aux tables du Recueil Lebon, LIJ n° 215, mai 2021, et C.E., Section, 22 décembre 2023, Ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, n° 462455, au Recueil Lebon, LIJ n° 229, mars 2024), la cour administrative d’appel de Versailles a indiqué, s’agissant des interdictions édictées par le préfet, que les témoignages ainsi que les comptes rendus d’auditions pouvaient ne pas être communiqués dans leur intégralité dans les cas où cette communication porterait gravement atteinte aux personnes entendues. Dans un tel cas, "il incombe à l’administration, non de les communiquer dans leur intégralité, mais d’informer l’intéressé de leur teneur, de telle sorte que, tout en veillant à la préservation des autres intérêts en présence, l’intéressé puisse se défendre utilement".

Dès lors, alors que la communication des attestations de témoins et des comptes rendus d'auditions était susceptible de porter atteinte aux témoins et déclarants, en permettant au requérant de consulter le dossier ainsi qu’en lui communiquant le rapport d’enquête qui reprenait et citait de larges passages des témoignages, et ce, sous une forme anonymisée, la cour a considéré que l'intéressé avait été à même de connaître les motifs de la décision ainsi que de les discuter, et que, partant, les droits de la défense et le principe du contradictoire n’avaient pas été méconnus.

Consultations

Personnels

Protection fonctionnelle

  • Diffamation – Conditions d’octroi de la protection

Note DAJ B2 du 18 avril 2024

La direction des affaires juridiques a été interrogée sur les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle à un agent qui s’estime victime de diffamation par voie de presse.

Les agents publics sont protégés contre les diffamations dont ils pourraient être victimes

La diffamation peut être constituée par la voie d’un article de presse (cf. C.E., 31 mars 2010, Ville de Paris, n° 318710, au Recueil Lebon ; C.E., 24 juillet 2019, Ministre de l'économie et des finances et ministre de l'action et des comptes publics, n° 430253, aux tables du Recueil Lebon).

Il appartient à l’administration d’apprécier si les termes de l’article de presse en cause sont constitutifs de diffamation à l’encontre de l’agent public et, par conséquent, si celui-ci est en droit d’obtenir la protection prévue aux articles L. 134-1 et L. 134-5 du code général de la fonction publique qui prévoient en effet, respectivement, que : "L'agent public ou, le cas échéant, l'ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions (…) d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date (…) des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (…)" et que : "La collectivité publique est tenue de protéger l'agent public contre (…) les diffamations (…) dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée."

En l’absence de dispositions précises sur ce que recouvre la notion de "diffamation d’un agent public", qui impose en tout état de cause que la victime soit clairement identifiée (cf. Cass. crim., 26 mai 1987, n° 85-92.065, au Bulletin), le juge administratif se reporte à la définition de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (visant cette loi, cf. C.E., 23 juin 2023, n° 462285) dont l’article 29 définit la diffamation comme "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé (…)", et ce, "même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation" (cf. Cass. crim., 25 avril 2017, n° 16-81.925).

Une atteinte à l’honneur et à la considération qui inclut la considération professionnelle

La Cour de cassation définit l’"atteinte à l’honneur et à la considération" comme résultant de la "réprobation unanime qui s’attache soit aux agissements constitutifs d’infractions pénales, soit aux comportements considérés comme contraires aux valeurs morales et sociales communément admises au jour où le juge statue" (cf. Cass. 1re civ., 17 décembre 2015, n° 14-29.549, au Bulletin), ces notions devant s'apprécier "non pas en fonction de la sensibilité subjective de la personne visée, mais au regard de considérations objectives d'où s'évincerait une réprobation générale, que le fait soit prohibé par la loi ou considéré comme d'évidence contraire à la représentation communément admise de la morale" (Cass. 1re civ., 3 novembre 2016, n° 15-24.879). L’appréciation par le diffamateur ou le diffamé du caractère diffamatoire de l’atteinte est donc sans incidence.

Par ailleurs, la Cour de cassation a jugé que "la considération professionnelle est protégée par [l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881] au même titre que la considération morale" (cf. Cass. crim, 12 octobre 1993, n° 92-81.538, au Bulletin), si bien que l’atteinte à l’honneur et à la considération peut également se rattacher à la réputation professionnelle, auquel cas la diffamation est caractérisée par l’imputation d’un fait contraire aux bonnes pratiques et diligences professionnelle. Relève ainsi, à titre d’illustration, de la diffamation "un article [de presse] mettant en cause la probité du maire à raison de ses fonctions" (C.A.A. Marseille, 1er octobre 2018, Association de défense des contribuables d'Aigues-Vives, n° 16MA04110).

Une conciliation avec la liberté d’expression

La Cour de cassation considère néanmoins qu’une information critique peut ne pas dépasser les limites de la liberté d’expression et ne pas présenter un caractère diffamatoire (à titre d’illustration, cf. Cass. crim., 11 mars 2008, n° 06-84.712, au Bulletin, s’agissant de l’évocation d’un sujet d’intérêt général ; Cass. 1re civ., 5 juillet 2005, n° 04-11.8341, au Bulletin). Le Conseil d’État a, par exemple, aussi jugé, s’agissant de propos tenus dans un ouvrage permettant d'identifier la personne visée par les critiques qui y sont formulées, que "ces dernières, pour vives qu'elles soient, ne revêtent pas le caractère d'injures, d'outrages ou de diffamations" (C.E., 5 mai 2010, n° 326551 ; également : C.E., 31 décembre 2008, n° 310172).

La Cour de cassation a aussi précisé que "pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire", et qu’à défaut d’une telle articulation, il ne peut s’agir que de l’expression d’une opinion générale (cf. Cass. crim., 16 mars 2004, n° 03-82.828, au Bulletin).

Une présomption réfragable de l’intention coupable

La Cour de cassation juge par ailleurs que : "L'intention de nuire est présumée en matière de diffamation" (cf. Cass. crim., 24 février 1966, n° 64-92.614, au Bulletin), ou encore que : "L'intention coupable, en matière de diffamation, [est] présumée et se dédui[t] des imputations diffamatoires mêmes." (Cass. crim., 3 mai 1966, n° 65-90.515, au Bulletin.) Cette présomption peut être renversée si la personne accusée de diffamation parvient à démontrer la vérité des faits diffamatoires (article 35 de la loi du 29 juillet 1881) ou sa bonne foi, qui "constituent deux questions distinctes", en conséquence de quoi "le prévenu qui n'entend pas offrir la preuve de la vérité du fait diffamatoire ne saurait être déchu du droit d'exciper de sa bonne foi" (Cass. crim., 24 mai 2005, n° 03-86.460, au Bulletin), laquelle "ne peut résulter de la croyance à l'exactitude des faits allégués" (Cass. crim., 24 février 1966, n° 64-92.614, au Bulletin).

Pour établir sa bonne foi, la personne accusée de diffamation doit établir l’absence d’animosité personnelle préexistante à l’encontre de la personne diffamée, ce qui suppose qu’elle démontre être demeurée objective et raisonnable (cf. Cass. crim., 11 avril 2012, n° 11-83.007, au Bulletin). Elle doit aussi démontrer qu’il a été usé de prudence et de mesure dans son expression (Cass. 2e civ., 3 juillet 2003, n° 00-15.468, au Bulletin) et, enfin, qu’elle a poursuivi un but légitime, c’est-à-dire porter à la connaissance d’autrui, et notamment du public en général, une information utile (à titre d’exemple : Cass. 2e civ., 17 mars 1993, n° 91-19.472, au Bulletin).

Si l’ensemble de ces conditions se trouve réuni, dont transparaît la délicate appréciation, alors l’autorité administrative est tenue d’accorder la protection à l’agent public demandeur, sous réserve que les critères propres à la protection fonctionnelle (faute personnelle de l’agent, absence de rattachement des faits diffamatoires à ses fonctions ou motif d’intérêt général) ne justifient pas, en tout état de cause, le rejet de la demande.

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Ont participé à ce numéro : Simon Barthelemy, Jennifer Bême, Cédric Benoit, Louise Benoit, Valérie Blaise, Chloé De Jonckheere, Philippe Dhennin, Jules Dietsch, Mila Feugas, Stéphanie Frain, Calixthe Girod, Simon Grairia, Julien Hée, Carla-Mary Hennion, Chloé Hombourger, Alexandre Jamet, Jean Laloux, Alexandra Lecomte, Barbara Le Guennec, Morgane Le Nozarch, Chloé Lirzin, Alexis Maquart, Pauline Ozenne, Alexandre Pancracio, Inès Paris, Sarah Prieux, Marion Puget, Virginie Simon, Baptiste Soubrier, Juliette Uzabiaga, Pierre-Louis Vincent, Henrick Yerbe

N° ISSN : 1265-6739